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CHAPITRE IV.

Table des matières

NOUVELLE CORRESPONDANCE DU GENÉRAL URRUTIA.

( Fin de février. Ventôse. )

ON a reçu de nouvelles lettres du général espagnol Urrutia. Nous avons déjà fait connaissance avec ce correspondant. Son style n’est pas commun dans les affaires de ce genre, et nous ne craignons pas que l’attention se fatigue à le lire. Il est assez piquant d’entendre, le soir, se parler des gens qui se sont battus pendant toute la journée.

«Au quartier-général de Gironne, le 16 février 1795.

» Le général en chef de l’armée espagnole au général

» en chef de l’armée française.

» Il y a quelque temps que j’avais lu le discours

» de Merlin de Douai, que tu m’as fait passer traduit,

» et je lirai celui de Boissy-d’Anglas contenu

» dans le Moniteur qui, par ton canal, m’est

» parvenu quelques jours plus tôt que je ne l’aurais

» reçu.

» Je n’ai jamais douté que le sort du général

» d’armée ne fût, comme tu me le dis, de se

» battre; mais je crois que les généraux, ainsi

» que tous les hommes, doivent s’occuper à servir

» le dieu de l’humanité. C’est dans ce sens que

» je t’ai écrit le 13 du mois dernier: je suis ici

» pour faire la guerre, et je la ferai avec générosité

» Mais tous mes désirs n’en sont pas moins

» pour une réconciliation entre les deux nations,

» de préférence aux gloires militaires et ensanglantées.

» Je souhaite la paix avec plus d’ardeur

» que de gagner des batailles. Tels sont et seront

» mes principes. Plût au ciel que je pusse contribuer

» à lier, par une amitié ferme et stable, ceux

» qui se regardent à présent comme ennemis, et

» qui se préparent à consommer leur ruine réciproque!

» Signé, JOSEPH D’URRUTIA.»

«Deuxième lettre du même jour. Le général en

» chef de l’armée espagnole au général en

» chef de l’armée française.

» Je reçois aujourd’hui ta lettre qui accompagnait

» celle du ministre des États-Unis de l’Amérique,

» résidant à Paris, à son collègue résidant

» à notre cour, et je lui donne cours dans

» l’instant par un courrier extraordinaire, comme

» tu me le recommandes.

» Le trompette a remis le paquet de lettres

» pour les prisonniers.

» Signé, JOSEPH D’URRUTIA.»

«Au quartier-général de Gironne, le 21 février 1795.

» Troisième lettre du général en chef de l’armée

» espagnole au général en chef de l’armée

» française.

» Le brigadier, duc de Mahon, est arrivé au

» quartier-général. Je suis informé que c’est en

» faveur de son père qu’il a obtenu cette grâce.

» Il est reconnaissant du bon traitement qu’il a

» reçu; de mon côté, j’estime ta générosité envers

» les prisonniers. Je n’en ai jamais douté,

» et tu peux croire que j’y correspondrai.

» Signé, JOSEPH D’URRUTIA.»

«Au quartier-général de Gironne, le 25 février 1795.

» Quatrième lettre du général en chef de l’armée

» espagnole au général en chef de l’armée

» française.

» En lisant le discours de Boissy-d’Anglas, qui

» paraît avoir trouvé un accueil favorable du public

» de ta capitale, je n’ai pu douter des vues

» que tu as eues en me l’envoyant. Je me livre

» avec plaisir à l’idée qu’il y a en toi aussi une

» propension humaine et louable vers le véritable

» bien des deux nations; et, en effet, quelle plus

» grande gloire que celle de promouvoir l’esprit

» de fraternité dans le moment même que nos

» armées se disposent à recommencer les scènes

» sanglantes et horribles de la guerre? Dès mon

» arrivée à l’armée, je te fis part de mes réflexions

» sur ce point. Mes principes sont invariables, et

» je me confirme toujours en ce que les fonctions

» d’un général n’excluent pas le droit de servir

» l’humanité.

» Pour entrer dans la discussion de divers points

» établis par Boissy d’Anglas, il faudrait s’accorder

» pour travailler sur cette matière. Il pourrait

» se faire que le moment ne fût pas loin;

» mais, en attendant, je ne puis que faire observer

» que les Espagnols, nullement indécis dans

» leurs sentimens, ont regardé avec douleur les

» sanguinaires agitations de la France et la dévastation

» totale à laquelle la conduisait la fureur

» de ses partis; et à présent ils se plaisent à

» entendre publier que les dissensions intestines

» sont réprimées, les échafauds abattus, les prisons

» ouvertes, le sang innocent vengé, les ministres

» de la Terreur livrés à la mort et à l’infamie.

» Depuis que cet horizon heureux d’humanité

» et de modération s’est montré, je me suis

» flatté de l’espoir d’employer tous mes efforts

» dans l’agréable travail d’une pacification; mes

» désirs vont être comblés, et je ne suis retenu

» que par faute de savoir à qui l’on doit s’adresser.

» Sans cette connaissance, il est clair que je

» ne puis faire aucune proposition à ma cour,

» pour sûr que je sois des principes qui ont dicté

» et dicteront toujours ses démarches. Les premières

» que l’on fait pour rétablir la bonne intelligence

» interrompue essuyent des difficultés,

» et celle de pouvoir se communiquer ses idées

» n’est pas la moindre. Le bruit des armes trouble

» et confond les voix de la philosophie, et

» quelquefois même l’alternative des succès éloigne

» le moment de les écouter. Qu’il serait glorieux

» de se charger avec l’ardeur de la bonne

» foi de faire fraterniser deux nations que la Providence

» a destinées pour vivre en amitié et en

» union d’intérêts! Éloignons tous les obstacles

» qui pourraient entraver ou prolonger cette œuvre.

»Réponds-moi avec clarté. — L’officier

» porteur de la présente pourra l’être de ta réponse

» ou l’écouter.

» Signé, JOSEPH D’URRUTIA.»

L’officier que le général espagnol a chargé du dernier message s’est présenté au camp français le 8 ventôse (26 février). Admis en présence de Goupilleau de Fontenay et de Pérignon, il a multiplié les questions sur le mode de traiter avec la France; il a même donné à entendre qu’une suspension d’armes faciliterait les négociations. On lui a répondu que si la crainte de la publicité retient l’Espagne, elle doit sentir qu’une suspension d’armes est le moyen le moins propre à tenir nos communications secrètes; que la politique de la République voit avec défaveur ces propositions d’armistice; que ce qu’il y a de mieux à faire, c’est de s’expliquer franchement et directement avec le comité de Salut Public, et que la conduite récente de la Toscane fournit un exemple bien simple à suivre. L’officier espagnol s’est retiré en disant que son général avait été sur le point d’envoyer une personne de confiance, chargée de ses pouvoirs, pour faire des propositions, et qu’on ne tardera pas sans doute à prendre ce parti.

D’après cette conversation, le Comité s’attend à voir l’Espagne entrer sous peu de jours en négociations; il croit n’avoir pas de temps à perdre pour s’occuper du choix des négociateurs et préparer leurs instructions.

Manuscrit de l'an trois (1794-1795)

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