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PAIX AVEC LA TOSCANE, ET DISPOSITIONS DES AUTRES PUISSANCES DE L’ITALIE.

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(Suite de pluviôse.)

PEU de temps après le 10 août, la Toscane avait été la première à reconnaître la République. Mais le 8 octobre suivant, lord Hervey, parlant au nom du roi d’Angleterre, avait signifié au Grand-Duc qu’il lui donnait douze heures pour se déclarer contre la France, et, depuis ce moment, toute communication officielle s’était trouvée interrompue entre Paris et Florence.

Il était assez naturel cependant que la Toscane aspirât à se relever de l’état forcé où cette sommation impérieuse de l’Angleterre l’avait réduite; aussi n’a-t-elle cessé de faire des démarches pour y parvenir. Le Grand-Duc tenait secrètement le fil de cette affaire. Il était secondé par le ministre Manfredini, et par les conseillers-d’état Corsini et Carletti; ce dernier était même désigné depuis long-temps pour se rendre à Paris auprès du comité de Salut Public. Ses pouvoirs dataient du 14 brumaire ( 4 novembre 1794), et il s’était avancé jusqu’à Gênes où il attendait des passe-ports. Mais le Comité avait mis un prix à ce raccommodement. Ce qu’il exigeait, ce n’était ni des concessions politiques, ni des tributs d’or, de tableaux ou de statues, c’était du pain. Nos départemens du midi étaient affamés, et telle était la pénurie du temps, qu’elle avait placé le nœud de cette négociation dans des sacs de blé. Des grains destinés pour Toulon, nous ont été enlevés à Livourne par les Anglais; la Toscane est responsable de cette violation de son territoire, et le comité de Salut Public n’a voulu entendre aucune parole de conciliation avant que les grains de Livourne n’eussent été rendus. Cette restitution ayant été faite dans le courant de nivôse, des passe-ports ont été envoyés aussitôt à M. Carletti; il est arrivé à Paris le 11 pluviôse, et dix jours après, le représentant Richard se présente à la tribune au nom du Comité. «La Convention, dit-il, a

» déclaré qu’elle aurait égard à la situation des

» gouvernemens que la crainte et la violence ont

» contraints de marcher à la suite de la coalition;

» la première preuve qu’elle va donner de la sincérité

» de cette disposition sera en laveur de

» la Toscane... Le Grand-Duc ayant restitué tout

» récemment, et à ses frais, les grains qui nous

» ont été enlevés à Livourne, le comité de Salut

» Public a cru devoir conclure le traité que je viens

» soumettre à votre ratification.»

On allait ratifier le traité, séance tenante, quand Thibaudeau se lève: «Je ne souffrirai pas

» pour ma part, s’écrie-t-il, que le premier traité

» qui soit fait avec une puissance belligérante soit

» ratifié sans avoir été médité. Ce n’est pas avec

» le Comité que les puissances font la paix; c’est

» avec la Convention.»

«Il ne faut pas tant se dépêcher, dit Bourdon

» de l’Oise; il ne faut pas qu’on croie que nous

» avons soif de la paix!»

«La Toscane ne vaut pas deux de nos départemens,» ajoute un autre membre; mais il est aussitôt rappelé à l’ordre: on lui répond que nous ne devons insulter aucun état, quelle que soit sa force ou sa faiblesse.

«Hâtons-nous, dit Cambacérès à son tour,

» de faire cesser une discussion. incidente sans

» objet comme sans utilité.»

Enfin, sur la demande expresse du Comité qui repousse toute idée de précipitation et toute influence trop exigeante, la Convention ordonne l’impression du traité et l’ajournement.

Quelques jours après, dans la séance du 25 pluviôse, on fait une seconde lecture du traité, et l’assemblée approuve en ces termes: «La

» Convention nationale, après avoir entendu le

» rapport de son comité de Salut Public, décrète

» qu’elle confirme et ratifie le traité de paix conclu

» le 21 pluviôse, présent mois, entre le comité

» de Salut Public et le ministre plénipotentiaire

» du Grand-Duc de Toscane .»

Ce premier acte diplomatique en introduisant la République dans le système politique de l’Europe, donne occasion de régler définitivement le protocole de notre nouveau droit public, ainsi que toutes les questions de forme qui s’y rattachent. L’article le plus délicat de la discussion engagée à cet égard est relatif à la nature et à l’étendue des pouvoirs du Comité dans les négociations, et particulièrement dans les stipulations secrètes.

L’admission d’articles qui resteront secrets éprouve une vive opposition. — Quels sont donc ces si grands secrets dont on nous fait peur? disent les uns. — Il n’est point digne du peuple français de traiter dans le secret, disent les autres. — Réfléchissez, leur répond Cambacérès, sur la multiplicité et sur la divergence des intérêts des puissances, et dites-nous s’il est sage de se priver de tous les avantages que peuvent offrir des stipulations secrètes? — Mais quelle garantie aurons-nous que le traité ainsi modifié sera conforme à nos principes et aux grands intérêts de la République? — La meilleure garantie, réplique Boissy-d’Anglas; vous l’avez dans la composition du gouvernement actuel. Si les douze membres du comité de Salut Public avaient signe des articles secrets qui compromissent l’honneur ou l’intérêt national, les trois nouveaux membres, que le renouvellement du mois ne tarderait pas à introduire dans la connaissance intime des affaires, viendraient aussitôt vous avertir.

Après une délibération suivie dans plusieurs séances, on autorise le comité de Salut Public à admettre des articles secrets; mais il est expressément entendu que ces articles ne peuvent avoir pour objet que d’assurer la défense de la République ou d’accroître ses moyens de prospérité, et que, dans tous les cas, ils ne peuvent être contraires aux articles patens, ni les atténuer.

Au surplus, on est généralement d’accord sur la nécessité de laisser une grande latitude au comité de Salut Public dans ses transactions diplomatiques.

«Si vous n’investissez pas votre Comité

» d’une confiance entière, dit Thibaudeau, comment

» pourra-t-il obtenir celle des gouvernemens

» étrangers?» — «Collègues du comité de

» Salut Public, s’écrie Crassous, vous allez, je

» l’espère, je le désire, donner la paix au peuple

» français: remplissez cette mission importante,

» et ne craignez pas qu’on vous chicane sur

» cette responsabilité.»

Le Comité croit devoir répondre à des encouragemens qui lui ont été contestés d’abord, mais qu’on lui accorde maintenant avec libéralité, et cette réponse, dont Cambacérès fait les principaux frais, est une nouvelle manifestation de principes.

«Rassurons l’Europe, après l’avoir étonnée, dit

» l’orateur; ne soyons pas des conquérans inexorables.

» Au surplus, le Comité comprend ses

» devoirs et de certaines méfiances; voici toute

» sa pensée: la génération n’a pas subi tant d’épreuves,

» et fait tant de sacrifices, sans vouloir

» en assurer le fruit à sa postérité. Nous tracerons

» donc d’une main sûre les limites de la

» République; et, quoi qu’il en soit, il faut que

» l’Europe sache que dans ce grand œuvre nous

» ne sommes pas dirigés par des vues d’agrandissement,

» mais par le besoin du epos public.»

A ces paroles remarquables, Fréron, qui s’appelle l’orateur du peuple, s’empresse d’ajouter le secours de son éloquence emphatique et sonore. «Le bras

» que nous tendons aux nations, dit-il, est un

» bras vainqueur et non fatigué ; traitons, mais

» ne composons pas avec la gloire! La victoire

» elle-même a tracé nos limites, ferons-nous rétrograder

» son vol? non!... Peuples étrangers,

» l’Hercule français posera ses colonnes là où

» vous cesserez de le combattre! Nos nouvelles

» frontières sont déjà tracées par une immense

» guirlande de lauriers, et il nous tarde que l’olivier

» vienne y marier ses rameaux.»

Les bocages ensanglantés de la Vendée répètent en ce moment pour la première fois ces mêmes accens de paix et de concorde; mais, de ce côté, plus de guirlandes de lauriers, plus de fanfares, plus de triomphes. Les plaies hideuses de la guerre civile, même quand elles commencent à se cicatriser, repoussent de telles allusions. Toutefois, l’accommodement qui vient d’être conclu à la Jaunaie, près Nantes, avec les chefs vendéens, est pour la Convention un heureux prélude aux traités qu’elle cherche à négocier avec l’ennemi du dehors.

La pacification de la Jaunaie a été signée le 27 pluviôse, ou 15 février. On y assure la liberté religieuse aux curés des campagnes, et l’arrangement s’est terminé par une distribution de deux millions aux Vendéens. Les chefs, après avoir écrit sur leurs drapeaux cette inscription, Conquis par la justice et par l’humanité, en ont fait la remise au représentant du peuple Ruelle, leur pacificateur. La lettre d’envoi est revêtue des signatures de Charette, Fleuriot, Sapinaud, Coetus et Dubruc. On y lit ces paroles: «Puisque

» vous êtes celui qui sûtes nous inspirer, avec

» la confiance, le désir de faire cesser une guerre

» affligeante, soyez aussi celui auquel nous nous

» adressons pour faire passer à la Convention ces

» gages de notre réconciliation sincère!»

Sur ces entrefaites, les ratifications du Grand-Duc de Toscane sont arrivées, et le comte Carletti demande à présenter les lettres de créance qu’il a reçues de son prince pour résider auprès de la République. La Convention veut qu’il soit introduit dans le lieu de ses séances; l’envoyé toscan vient annoncer sa mission par un discours au président. Le président Thibeaudeau lui répond par les complimens d’usage, lui donne l’accolade de l’amitié républicaine, et l’invite aux honneurs de la séance. Désormais le ministre de Toscane aura place dans la tribune réservée aux membres du corps diplomatique. Telle est, dans toute sa simplicité, la première réception de ce genre faite par la Convention nationale.

La Toscane a donné l’exemple à ses voisins de l’Italie. Le suivront-ils? à les entendre, ils voulaient le devancer.

A Rome, on demande à rentrer en communication avec la France; mais on se récrie contre un traité de paix: on n’en a pas besoin parce qu’on prétend n’être pas en guerre. Cependant l’Italie est inondée de prédicateurs romains qui tonnent contre la nouvelle république.

Depuis quelques mois, la cour de Naples, par l’organe du chevalier Micheroux, son envoyé à Venise, est en pourparlers avec le citoyen Lallemant, agent de la République française, à la même résidence. Elle a fait faire en même temps par un émigré français, M. de Naillac, des démarches auprès du citoyen Villars, envoyé de la République à Gênes; et le comité de Salut Public a répondu à ces ouvertures, en ne mettant d’autres conditions à la paix que des envois de blé. Il demande que la Sicile en expédie cinq cent mille quintaux, ou au moins trois cent mille à la destination de Toulon, de Villefranche et de Marseille.

Le Piémont, dépouillé de la Savoie et du comté de Nice, ruiné au dehors par une guerre qui se prolonge au-delà de tous les calculs, au dedans par le despotisme intolérable des Autrichiens, se voit sur le point de devenir la proie de ses ennemis ou de ses auxiliaires. Sans doute, il se trouverait fort heureux d’échapper aux difficultés de sa position, par une prompte paix avec la République: le fils du roi et l’archevêque de Turin sont hautement de cet avis; mais le difficile est de faire cette paix à l’insu des Autrichiens qui s’en méfient. On tremble qu’au premier mot de la négociation, l’Autriche ne s’arme de ce prétexte pour confisquer aussitôt et s’adjuger le reste de l’Italie septentrionale. Cependant on a déjà risqué quelques ouvertures auprès du citoyen Desportes, résident de la République à Genève. Le baron Vignet des Étolles, ministre de Sardaigne en Suisse, a essayé aussi, dès le mois de février dernier, d’entrer en communications avec le citoyen Barthélemy; M. Monnot, secrétaire de l’état de Berne, lui servait d’intermédiaire. Enfin, un certain M. Pagès, émigré français, se disant secrétaire du baron Vignet des Etoiles, a écrit directement au comité de Salut Public. Dans ce correspondant officieux, le Comité n’a vu qu’un intrigant qui cherche à obtenir sa rentrée par un service, ou qu’un espion de l’Autriche qui voudrait savoir où nous en sommes avec le Piémont. C’est directement par le citoyen Desportes et par le citoyen Barthélemy que le Comité a transmis sa réponse. Les Alpes étant une des barrières naturelles de la France, on exigeait que le Piémont renonçât à toute idée de recouvrer la Savoie et le comté de Nice; mais on se montrait disposé à l’indemniser, en prenant pour base l’arrangement de 1733, par lequel la France assurait secrètement le Milanais et la Lombardie à la Sardaigne. — A peine ces premières paroles ont-elles été échangées, que l’Autriche, dévoilant ses soupçons, a fait enlever la malle contenant les lettres de Suisse à Turin. Cette leçon a suffi pour jeter le Cabinet sarde dans l’immobilité de l’inquiétude et de la peur.

En résumé, il est évident que les puissances de l’Italie supportent impatiemment le joug de l’Autriche et de l’Angleterre; mais elles sont retenues par la crainte des dangers qu’une défection peut leur attirer. Elles attendent une occasion et un protecteur. L’Espagne peut leur donner l’une et l’autre.

Manuscrit de l'an trois (1794-1795)

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