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CHAPITRE X.

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SITUATION INTÉRIEURE DE LA FRANCE.

(Nivôse. Janvier 1795. )

UNE lutte opiniâtre se poursuit entre les chefs révolutionnaires, que la journée du 9 thermidor a divisés: devenus ennemis acharnés, après avoir été trop long-temps complices, ils s’accablent les uns les autres des récriminations les plus odieuses. Tous les excès de la terreur, ils se les reprochent et s’en accusent tour à tour. Le parti républicain s’énerve ainsi, en réagissant sur lui-même; il avilit la cause en montrant à nu les personnes; et la majesté du pouvoir, dont il est si important de ménager le prestige, reçoit un grave échec à travers toutes les révélations qu’on se jette à la tête.

Dans ce moment, un représentant ( Merlin de Thionville) arrive de l’armée où il était en mission. En rentrant dans la Convention, les yeux encore éblouis de l’horizon de gloire qu’il vient de quitter, il se croit plongé tout à coup au fond d’un antre où les passions les plus sombres se déchaînent, et, cédant à l’émotion que ce pénible contraste lui fait éprouver, il ne peut retenir ces paroles:

«Il existe donc un système pour neutraliser le

» courage des Français, et pour rendre inutiles les

» victoires de nos braves défenseurs! La situation

» dans laquelle je retrouve cette assemblée me

» prouve que ce système est suivi dans son sein.

» C’est lorsque du nord au midi, de l’orient à l’occident,

» nos troupes triomphantes arborent partout

» le drapeau tricolore, que la discorde vient

» se refugier ici.

» Je le demande, est-ce au milieu de tant de

» victoires que nous devons nous abandonner à

» des querelles insignifiantes, au lieu de songer

» au moyen de briser les chaînes de tous les peuples,

» en préparant une campagne encore plus

» belle que celle qui vient de se terminer? Vous

» ne sentez donc pas, vous qui entretenez ces

» misérables divisions dans la Convention, vous

» ne sentez donc pas combien il est beau, combien

» il est glorieux d’être Français! L’Angleterre

» et l’Autriche tremblent. Si vous savez être

» fermes, si vous savez commander aux factions,

» vous commanderez aussi à tous les tyrans de

» l’Europe; mais si vous épousez d’autres querelles,

» c’en est fait de la République!»

Ces remontrances sont vaines; les passions sont trop vives pour les entendre, et la pente qui entraîne est trop rapide! celui-là même qui vient de parler ne s’est pas plus tôt jeté dans ce foyer d’effervescence, qu’il bouillonne comme les autres. Les Thermidoriens ne veulent voir que les Jacobins; ils ne craignent que les Jacobins. Pour les comprimer sous une majorité plus pesante, ils se décident à rappeler soixante-treize de leurs collègues qui ont été expulsés au 31 mai, et ce renfort de haine envenime la réaction, bien loin de la calmer. Les plus modérés s’obstinent eux-mêmes à punir les plus fous, moins pour se venger de ce qui s’est fait que pour s’en absoudre!

Il s’agit de mettre en accusation ce qui reste des anciens membres du comité de Salut Public. On fait le procès au comité révolutionnaire de Nantes. Ce procès commence celui de Carrier; le procès de Carrier entraîne celui de Joseph Lebon; d’autres procès s’instruisent encore; le rideau qui couvrait la plus grande partie des crimes de 1793 se déchire, et la France frémit d’horreur.

«Tenez, voyez, disent alors quelques hommes

» habiles, voilà ce que c’est que la République!...»

La Convention elle-même reste muette quand Carrier, se réveillant de son délire à l’aspect de l’échafaud, et promenant ses derniers regards sur tous ses collègues, leur jette ce en d’adieu:

«Puisque vous me condamnez, tout est donc

» coupable ici, jusqu’à la sonnette du président!»

Cependant des avis reçus du dehors ont fait comprendre au parti royaliste tout l’avantage qu’on peut tirer de l’indignation qui éclate, et jusqu’où la réaction peut aller. Des bruits nouveaux se font entendre. Des journaux sont créés pour répéter ces bruits et les commenter; on commence à dire que le gouvernement républicain ne saurait durer longtemps. On parle des enfans de Louis XVI; on risque des insinuations; on provoque la Convention elle-même par des conjectures hardies: «Si l’assemblée, dit-on,

» persiste à garder sous sa main les rejetons de

» nos rois, c’est peut-être parce qu’elle nourrit le

» secret dessein de relever le trône!... il n’y a

» qu’un pas de la prison du Temple au palais

» des Tuileries!...»

Avec ces propos qui circulent, avec ces arrière-pensées qui se déguisent mal, on réussit à jeter de nouveaux fermens de discorde; mais si l’opinion royaliste se réveille dans les salons; s’il est de bon ton dans quelques sociétés de confondre la Terreur avec la République, et les républicains avec les énergumènes, il n’en est pas moins vrai que la haine de la royauté est toujours l’instinct populaire, et même le préjugé qui domine encore les principaux meneurs de la Convention nationale.

Au milieu du conflit tumultueux de tant de partis extrêmes, on ne saurait se dissimuler combien le voisinage des prisonniers du Temple devient inquiétant. Les plus modérés de l’assemblée voudraient qu’on leur rendit la liberté, en les mettant hors de France. Brival est de cet avis. Mais de quelles expressions, grand Dieu! la modération croit avoir besoin de se hérisser! Dans cette motion, il lui échappe de regretter qu’au milieu de tant de crimes inutiles, la Terreur ait épargné les restes d’une race qui est aujourd’hui si embarrassante! — Il n’y a pas de crimes inutiles, lui crie-t-on aussitôt. — La guerre de la Vendée, reprend l’orateur interrompu, ne se poursuit-elle pas au nom des enfans de Louis XVI? Je persiste à demander leur bannissement. — Eh quoi! réplique Chazal, c’est donc dans la Vendée que vous voulez les envoyer pour tout terminer?

Le comité de Salut Public, par l’organe de Cambacérès, prend lui-même part à cette discussion. «On parle beaucoup trop depuis quelque

» temps des prisonniers du Temple, dit l’orateur

» du Comité : il y a peu de dangers à prolonger

» leur captivité ; il y en aurait beaucoup

» à les expulser. Un ennemi est bien moins à

» craindre lorsqu’il est en notre puissance, que

» lorsqu’il passe aux mains de ceux qui soutiennent

» sa cause.» La Convention se range de cet avis... Mais la corde la plus délicate a vibré !

D’autres difficultés encore fatiguent la Convention nationale et troublent en tous lieux et à tous les instans le repos de la France La famine est partout. Paris est dans la pénurie la plus inquiétante. Chaque matin, de nombreux attroupemens de femmes se disputent les distributions des boulangers, et, pour comble de désordre, sur toutes les routes, on intercepte à main armée les arrivages. La sûreté des transports, la liberté des communications sont compromises. Un relâchement général a succédé à une compression trop forte, et la police intérieure n’a presque plus de ressort.

Nous n’avons rien dissimulé ; la plaie intérieure est profonde, d’autant plus profonde que le secret du mal se cache dans la politique anglaise.

Manuscrit de l'an trois (1794-1795)

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