Читать книгу Le mentor vertueux, moraliste et bienfaisant - Laurent-Pierre Bérenger - Страница 11
LE PRÉCEPTEUR PERFIDE.
ОглавлениеLES Romains assiégeaient depuis long-temps la ville de Falère, sous la conduite de Camille, sans la pouvoir prendre. C’était alors un usage chez les Falisques de mettre les enfans de plusieurs familles entre les mains d’un même maître, qui, après leur avoir donné la leçon, assistait aussi à leurs divertissemens. Les premiers de la ville confiaient le soin de leurs enfans au maître qui surpassait ses confrères en science et en habileté. Celui qui occupait alors cette place, menait en temps de paix ses disciples hors des murailles de la ville, pour les exercer à différens jeux. Il n’interrompit point cette coutume depuis que la guerre eut été déclarée.
Un jour donc il les éloigna insensiblement des portes de la ville; puis, quand l’occasion lui parut favorable, il les mena dans le camp des Romains, et enfin dans la tente même de Camille, lui disant qu’il le rendait maître de Falère, en lui livrant ces enfans, dont les pères tenaient le premier rang dans la ville. Dès que Camille eut entendu ce début: Arrête, lui dit-il, et apprends que le général et le peuple que tu crois éblouir par une offre aussi détestable que ta personne, ne te ressemblent pas. Nous ne sommes point unis par aucun de ces traités que les hommes font ensemble; mais la nature a mis entre les Falisques et nous une liaison que rien n’est capable dé rompre. La guerre a ses lois aussi bien que la paix, et nos pères nous ont appris à observer la justice à l’égard de nos ennemis, dans le temps que nous les combattons avec courage. Nous avons les armes à la main pour les employer non contre des enfans, qu’on épargne même dans des villes prises d’assaut, mais contre des hommes qui sont armés contre nous, et qui, sans avoir reçu aucune injure du peuple romain, sont venus attaquer ses légions dans leur camp. Tu veux me livrer leur ville par une trahison dont il n’y a pas d’exemple; mais je suis sûr de prendre Falère par la valeur, la patience, le travail et les armes.
Après lui avoir ainsi parlé, il le fit dépouiller, lui fit attacher lés mains derrière le dos, et ayant armé de verges les mains de ses disciples, il leur commanda de ramener ce traître dans la ville, en le chassant devant eux à grands coups de fouet. Quand ils rentrèrent tout le peuple s’assembla autour d’eux; et les magistrats ayant assemblé le sénat, il se fit un si grand changement dans les esprits, que ce peuple, qui était auparavant aveuglé par la haine et par la colère, demanda la paix tout d’une voix. Ils admirèrent la bonne foi des Romains, et se rendirent à eux, persuades de vivre plus heureux sous leur empire que sous leurs propres lois. Camille reçut de grands remercîmens et de ses ennemis, et de ses concitoyens; et la paix ayant été faite, l’armée fut ramenée à Rome.