Читать книгу Le mentor vertueux, moraliste et bienfaisant - Laurent-Pierre Bérenger - Страница 15
L’AMI A TOUTE ÉPREUVE.
ОглавлениеAGATHOCLÈS était de Samos, et n’avait rien d’illustre que son amitié pour Dinias, natif d’Éphèse, d’une famille ancienne et opulente, mais qui s’était enrichie depuis peu. Or, comme ceux qui sont devenus riches en peu de temps ont toujours autour d’eux des parasites pour servir à leurs divertissemens, Dinias ne manquait pas de ces sortes de courtisans, qui font la cour à nos richesses plutôt qu’à nous-mêmes. Mais Agathoclès, qui l’aimait dès sa plus tendre jeunesse, ne les pouvait souffrir, quoiqu’il ne laissât pas de vivre avec eux pour complaire à son ami, qui en était si charmé, qu’il en faisait plus d’état que de lui, jusque-là qu’il lui devint même insupportable par ses fréquentes remontrances; car il ne pouvait s’empêcher de lui représenter la grandeur et le mérite de ses ancêtres, et de le conjurer avec larmes de ne pas dissiper le bien que son père avait amassé avec beaucoup de peine; tant qu’à la fin Dinias ne l’appelait plus à ses plaisirs, et se cachait de lui lorsqu’il voulait faire quelque partie. Comme un mal en attire toujours un autre, ses flatteurs lui mirent dans l’esprit l’amour d’une célèbre coquette, qui était adroite à gagner les cœurs, et tantôt par des dédains affectés, tantôt par de feintes caresses, savait si bien enflammer ceux qu’elle avait pris, qu’ils ne pouvaient plus s’en défaire. Lorsqu’elle eut attrapé ce jeune homme, simple et niais; à l’aide de ses faux amis, qui mettaient tout en œuvre pour le surprendre, elle ne le laissa pas échapper; mais, après l’avoir enveloppé dans ses filets, pour mieux en triompher, elle feignit de l’amour, et causa mille maux à ce pauvre infortuné : car, pour lui mieux faire valoir sa fausse tendresse, elle le tourmentait souvent en se dérobant à sa vue, sous prétexte qu’elle craignait de donner de la jalousie à son mari, qui était un homme de condition, et des principaux de la ville d’Éphèse. Cela l’enflamma de telle sorte, que, ne pouvant souffrir son absence, il envoyait tous les jours quelqu’un de ses amis la visiter; il ne s’entretenait que d’elle, et lorsqu’il ne la pouvait voir, il se consolait par la vue de son portrait-Cependant il lui donnait tout ce qu’il avait, meubles, argent, maisons, pierreries: de sorte qu’en peu de temps on vit fondre cette famille si opulente! qui était la première du pays; et, lorsqu’il n’eut plus rien, elle le quitta pour un jeune Candiote fort riche, qui commença d’entrer sur les rangs, surpris par les mêmes artifices. Dinias s’en plaint inutilement, tant que, se voyant abandonné par ses faux amis et par sa perfide maîtresse, il a recours à Agathoclès, qui voyait tout cela, il y avait long-temps, sans le pouvoir empêcher. Il lui conte donc son aventure avec quelque pudeur d’abord; mais à la fin il tranche le mot, lui avoue franchement qu’il ne pouvait plus vivre sans elle. Agalhoclès, qui vit que ce serait peine perdue d’essayer de l’en dissuader, et qu’il n’était pas temps de lui faire des reproches, vend une seule maison qu’il avait, et lui en donne l’argent. Aussitôt il va trouver sa maîtresse qui le reçoit à bras ouverts, et ses flatteurs rentrent en grâce comme auparavant; leurs amourettes recommencent si bien, qu’elle lui donne rendez-vous la nuit; mais il ne fut pas plus tôt entré, que son mari se présente l’épée à la main, soit qu’il en fût averti par sa femme, ou non, et menace de le tuer. En cette extrémité, il ne perd point le jugement, mais empoignant un bâton, il lui en donne un si grand coup sur la tête, qu’il l’assomme, et de rage en fait autant à sa femme, qu’il achève de tuer avec l’épée de son mari; ensuite il repousse les valets étonnés qui se mettaient en devoir de l’arrêter, et se sauve chez Agathoelès, où, dès le matin, il est pris et mené au gouverneur de la province, qui le renvoie à l’empereur après avoir tout confessé. Dans cette triste conjoncture, son ami ne le quitte point; il le suit prisonnier en Italie, où il entreprend sa défense. Comme il fut condamné, il accompagne dans son exil, et va demeurer avec lui en la petite île de Gyare, où il fut confiné pour le reste de ses jours. Il emploie à le nourrir le peu de bien qui lui restait; et, lorsque tout fut mangé, il se loua à des pêcheurs d’huîtres qui servaient à la teinture de la pourpre, et l’entretint de son travail, sans l’abandonner, même après sa mort: car il s’habitua là , et ne retourna point en son pays.