Читать книгу Le mentor vertueux, moraliste et bienfaisant - Laurent-Pierre Bérenger - Страница 20
CLÉMENCE D’AUGUSTE.
ОглавлениеAUGUSTE, ce prince cruel et vindicatif avant l’époque où il se vit le maître du monde, se distingua par sa douceur et par son humanité lorsqu’il fut parvenu à l’empire. Tandis qu’il séjournait dans les Gaules, on vint lui donner avis que L. Cinna, personnage de peu de mérite et d’un génie borné, tramait une conjuration contre lui. On lui dit où, quand et de quelle manière la chose devait s’exécuter: c’était un des complices qui l’en informait. Auguste résolut de se venger du perfide, indiqua pour le lendemain uu conseil de ses amis. Il passa une nuit fort agitée et fort inquiète, pensant qu’il s’agissait de condamner un jeune homme qui d’ailleurs était sans reproche, un jeune homme de la plus haute noblesse, et petit-fils du grand Pompée. Il ne pouvait plus se déterminer à ordonner la mort d’un seul homme, lui qui avait autrefois dicté, en soupant avec Marc-Antoine, l’édit de proscription. Poussant des soupirs, il parlait seul avec lui-même, et exprimait vivement les différentes pensées qui se combattaient dans son esprit: «Quoi, disait-il,
«je laisserai mon assassin libre et tranquille, et
«l’inquiétude restera pour moi! Après que tant
«de guerres civiles ont respecté mes jours, après
«que j’ai échappé aux périls de tant de combats
«sur terre et sur mer, un traître veut m’immoler
«au pied des autels, et je ne lui ferai pas subir
«la peine qu’il mérite!» Car il devait être attaqué pendant qu’il offrirait un sacrifice. Il s’arrêtait; et, après quelques momens de silence, il élevait de nouveau sa voix pour se faire son procès à soi-même avec plus de sévérité qu’à Cinna. Il continuait de s’apostropher ainsi: «Si ta mort
«est l’objet des vœux de tant de citoyens, es-tu
«digne de vivre? Quand finiront les supplices?
«quand cesseras-tu de verser du sang? Ta tête
«est exposée en butte aux coups de la jeune noblesse
«qui compte s’immortaliser en t’égorgeant
«. Non, la vie n’est pas d’un assez grand
«prix? si, pour t’empêcher de périr, il faut
«que tant d’autres périssent.» Sa femme Livie, qui entendit tous ces discours, l’interrompit enfin: «Voulez-vous; lui dit-elle,
«écouter les conseils d’une femme? Imitez les
«médecins, qui, lorsque les remèdes accoutumés
«ne réussissent point, essaient de leurs contraires
«. Jusqu’ici vous n’avez rien gagné par la
«sévérité : Lépidus a succédé à Salvidienus, Murena
«à Lépidus, Cepion à Murena, Egnatius à
«Cepion, pour ne point parler de tant d’autres
«que vous avez fait repentir de leur audace. Essayez
«maintenant de la clémence; pardonnez
«à Cinna, il est découvert, il ne peut plus vous
«nuire; et la grâce que vous lui accorderez peut
«vous procurer beaucoup de gloire.» Auguste, charmé d’avoir trouve quelqu’un qui approuvait le parti de la douceur, vers lequel il penchait déjà lui-même, remercia tendrement son épouse, et contremanda sur-le-champ ses amis; et, ayant appelé Cinna seul, il fit sortir tout le monde de son appartement, lui ordonna de s’asseoir, et lui parla en ces termes: «J’exige avant tout que
«vous m’écoutiez sans m’interrompre; que vous
«me laissiez achever ce que j’ai à dire sans vous
«récrier; lorsque j’aurai fini, vous aurez
«toute liberté de répondre. Je vous ai trouvé,
«Cinna, dans le camp de mes adversaires
«: vous n’étiez pas seulement devenu mon
«ennemi, mais vous étiez né pour l’être. Dans
«de telles circonstances, je vous ai accordé la
«vie, je vous ai rendu tout votre patrimoine.
«Vous êtes aujourd’hui si riche, et dans une situation
«si florissante, que les vainqueurs portent
«envie à la condition du vaincu; je vous ai accordé
«le sacerdoce que vous m’avez demandé,
«en faisant un passe-droit à plusieurs autres dont
«les pères avaient servi dans mon armée. Après
«que je vous ai comblé de tant de bienfaits,
«vous avez formé le projet de m’assassiner!» A ce mot, Cinna s’étant écrié qu’une telle fureur était bien loin de sa pensée: «Vous ne me tenez
«point parole, reprit Auguste; nous étions convenus
«que vous ne m’interrompriez point: oui,
«je vous le répète, vous voulez m’assassiner.» Il lui exposa ensuite toutes les circonstances, toutes les mesures prises; il lui nomma le lieu et les complices, et en particulier celui qui devait porter le premier coup. En voyant alors que Cinna était consterné et gardait un morne silence, non plus en vertu de la convention, mais par remords de conscience et par terreur, il ajouta:
«Par quel motif avez-vous conçu un pareil dessein
«? Est-ce pour régner à ma place? Assurément
«le peuple romain est bien à plaindre si je
«suis le seul obstacle qui vous empêche de devenir
«empereur: à peine pouvez-vous gouverner
«votre maison. Dernièrement un affranchi
«vous a écrasé par son crédit dans une affaire
«particulière qui vous intéressait. Tout vous est
«difficile, excepté de conjurer contre votre prince
«et votre bienfaiteur. Voyons, examinons: suis-je
«le seul qui arrête le succès de vos projets ambitieux?
«Pensez-vous réduire à supporter votre
«domination un Paulus, un Fabius Maximus,
«les Cossus et les Servilius, et tant d’autres nobles
«qui ne se parent point d’un vain titre, et
«qui rendent à leurs ancêtres l’honneur qu’ils en
«reçoivent?» Auguste continua dé parler sur ce ton pendant plus de deux heures, alongeant exprès la durée de la seule vengeance qu’il prétendait exercer sur le coupable. Il finit en lui disant:
«Cinna, je vous ai autrefois donné la vie comme
«à mon ennemi, je vous la donne maintenant
«comme à mon assassin. Commençons aujourd’hui
«à être sincèrement amis. Efforçons-nous de
«rendre douteux, si en vous pardonnant j’aurai
«plus de générosité que vous ne ferez voir de
«reconnaissance.» Il donna ensuite à Cinna le consulat pour l’année suivante, en se plaignant de ce qu’il n’osait pas le lui demander lui-même. Depuis ce temps, Auguste n’eut qu’à se féliciter de sa clémence. Cinna lui fut toujours fort attaché et très-fidèle: il le fit son légataire universel, et il n’y eut plus dans la suite de conspiration contre Auguste. (Par M. de Poncol.)