Читать книгу Le mentor vertueux, moraliste et bienfaisant - Laurent-Pierre Bérenger - Страница 14
CHÉLONIDE ÉPOUSE ET FILLE.
ОглавлениеLÉONIDAS, roi de Sparte, étant poursuivi, comme infracteur des lois de la patrie, par Cléombrotus, son propre gendre, se réfugia dans le temple de Minerve; et depuis étant cité pour rendre compte de sa conduite devant l’assemblée du peuple, il ne jugea point a propos de se présenter, et se retira à Tégée. En conséquence, il fut privé du royaume, qui fut donné à son gendre. Sa fille, Chélonide, abandonna son mari, et après avoir inutilement sollicité pour son père, elle le suivit dans son exil. Quelque temps après, une nouvelle révolution ayant rétabli Léonidas sur le trône, et forcé Cléombrotus de se réfugier dans le temple de Neptune, son beau-père alla l’y investir avec une troupe de soldats; et, étant entré dans le temple, il lui reprocha avec de grands emportemens qu’étant son gendre, il se fût élevé contre lui, qu’il lui eût ôté son royaume, et qu’il l’eût chassé de sa patrie.
Cléombrotus n’avait rien à répondre à ces reproches; mais il se tenait là assis dans un profond silence, et avec une contenance qui marquait son embarras. Sa femme? qui avait d’abord embrassé le parti de son père injustement persécuté , et quitté son mari pour le suivre, quitta alors sans balancer son père triomphant pour son mari malheureux. On la vit, changeant d’une manière héroïque avec la fortune, assise auprès de cet époux dont elle n’avait pas daigné partager la grandeur, suppliante comme lui, et le tenant embrassé avec ses deux enfans à ses pieds, l’un d’un côté, l’autre de l’autre. Tous ceux qui étaient présens fondaient en larmes, et admiraient la vertu de cette femme et cet amour conjugal. Cette pauvre femme montrant ses habits de deuil et ses cheveux épars et négligés:Mon père, s’écria-t-elle, ces habits lugubres, ce visage abattu, et cette grande affliction où vous me voyez, ne viennent point de la compassion que j’ai pour Cléombrotus,. ce sont les restes et les suites du deuil que j’ai pris pour tous les maux qui vous sont arrivés et pour votre fuite de Sparte. Que faut-il donc que je fasse présentement? Faut-il que pendant que vous régnez à Sparte et que vous triomphez de vos ennemis, je continue de vivre dans la désolation où je me trouve? ou faut-il que je prenne des robes magnifiques et royales, lorsque ce mari que vous m’avez donné dans ma jeunesse, je le vois sur le point d’être égorgé par vos mains? S’il ne peut désarmer votre colère, ni vous fléchir par les larmes de sa femme et de ses enfans, sachez qu’il sera plus puni de son mauvais dessein, et qu’il souffrira un supplice plus cruel que celui que vous lui préparez, lorsqu’il verra sa femme, qui lui est si chère, mourir avant lui. Car comment pourrais-je me trouver avec les autres femmes de Sparte, moi qui n’aurai pu, par mes prières, toucher de compassion ni mon mari pour mon père, ni mon père pour mon mari, et qui, femme et fille, me serai toujours vue également malheureuse, et toujours un objet de mépris pour les miens? Quant à mon mari, s’il a pu avoir quelques raisons apparentes pour justifier ce qu’il a fait, je les lui ai ravies en le quittant, en prenant votre parti, et en servant presque de témoin contre lui-même; et vous, vous lui fournissez des moyens bien plausibles pour justifier son injustice, en faisant voir, par votre conduite, que la royauté est un si grand bien et un bien si désirable, que pour l’obtenir on peut avec justice égorger ses gendres, et sacrifier tout le bonheur de ses enfans.
En faisant ces lamentations, Chélonide appuya son visage sur la tête de Cléombrotus, et tourna sur les assistans des yeux abattus par la tristesse, et dont les larmes avaient terni tout éclat. Léonidas, après avoir parlé un moment avec ses amis, ordonna à Cléombrotus de se lever, et de sortir promptement de Sparte. En même temps il pria instamment sa fille de demeurer, et de ne pas l’abandonner après la marque de tendresse qu’il venait de lui donner, en lui accordant cette faveur insigne, le salut de son mari; mais il ne put la persuader, et dès que son mari se fut levé, elle lui remit l’un de ses enfans entre les bras, prit l’autre entre les siens, et après avoir fait sa prière à la déesse et adoré son autel, elle alla en exil avec lui; de sorte que, si Cléombrotus n’eût eu le cœur entièrement corrompu par la vaine gloire et par cette ambition démesurée de régner; il aurait trouvé que l’exil avec une compagne si vertueuse, était pour lui un bonheur préférable à la royauté.