Читать книгу Le mentor vertueux, moraliste et bienfaisant - Laurent-Pierre Bérenger - Страница 16
LA VENGEANCE D’UNE GRANDE AME.
ОглавлениеDÉMÉTRIUS Poliorcète avait fait beaucoup de bien au peuple de la ville d’Athènes. Ce prince, en partant pour la guerre, laissa sa femme et ses enfans chez les Athéniens. Il perdit la bataille, et fut obligé de s’enfuir. Il crut d’abord qu’il n’avait qu’à se retirer chez ses bons amis les Athéniens, mais ces ingrats refusèrent de le recevoir: ils lui renvoyèrent même sa femme et ses enfans, sous prétexte qu’ils ne seraient peut-être pas en sûreté dans Athènes, où les ennemis pourraient les venir prendre. Cette conduite perça le cœur de Démétrius, car il n’y a rien de si cruel pour un honnête homme, que l’ingratitude de ceux qu’il aime et auxquels il a fait du bien. Quelque temps après, ce prince raccommoda ses affaires, et vint avec une grande armée mettre le siège devant la ville d’Athènes. Les Athéniens, persuadés qu’ils n’avaient aucun pardon à espérer de Démétrius, résolurent de mourir les armes à la main, et donnèrent un arrêt qui condamnait à mort ceux qui parleraient de se rendre à ce prince; mais ils ne faisaient pas réflexion qu’il n’y avait presque pas de blé dans la ville, et que bientôt ils manqueraient de pain. Effectivement, après avoir souffert la faim très-long-temps, les plus raisonnables dirent: «Il vaut mieux que Démétrius nous fasse tuer tout d’un coup, que de mourir par la faim; peut-être aura-t-il pitié de nos femmes et de nos enfans.» Ils lui ouvrirent donc les portes de la ville. Démétrius commanda que tous les hommes mariés fussent assemblés dans une grande place, qu’il venait de faire environner de soldats qui avaient tous l’épée nue, Alors on n’entendait dans la ville que des cris et des gémissemens: les femmes embrassaient leurs maris, les enfans leurs pères, et leur disaient leur dernier adieu. Quand ils furent tous dans cette place, Démétrius monta dans un lieu élevé, et leur reprocha leur ingratitude dans les termes les plus touchans; il était si pénétré, qu’il versait des larmes en leur parlant. Ils gardaient le silence, et s’attendaient à tout moment que ce prince allait commander à ses soldats de les massacrer. Ils furent donc bien surpris lorsque ce bon prince leur dit: «Je veux vous montrer combien vous êtes coupables à mon égard, car enfin ce n’est pas à un ennemi à qui vous avez refusé du secours, c’est à un prince qui vous aimait, qui vous aime encore, et qui ne veut se venger qu’en vous pardonnant et en vous faisant du bien. Retournez chez vous; pendant que vous êtes restés ici, mes soldats, par mon ordre, ont porté du blé et du pain dans vos maisons.»