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IV

Table des matières

La précaution inutile

25 novembre 1904

Il n’est personne qui ne comprenne pourquoi le projet de M. Combes interdit aux associations de culte de s’unir et de posséder une caisse commune en dehors des limites d’un département. D’aucuns, tout en ayant parfaitement compris, n’hésitent pas à dénoncer un dessein machiavélique et, comme ils disent, «infernal» : ce dessein est tout simplement de rendre, de propos délibéré, la vie impossible aux Églises, de les isoler pour les anémier et de les tuer par cette anémie. La vérité est moins dramatique. Sans se demander s’il n’allait pas ôter aux groupements ecclésiastiques une condition même de l’existence, — et il a commis une injustice en ne se posant pas cette question, — M. Combes a voulu éviter un danger politique: la formation d’une Église de combat, solidement organisée et munie d’une caisse centrale.

Cette crainte est légitime. L’histoire du catholicisme, — son histoire chez nous, même réduite aux trente ou quarante dernières années, — est bien pour fortifier cette crainte. Mais j’avoue ne point distinguer comment la mesure proposée par le gouvernement est de nature à nous épargner ce danger prévu.

Si le projet est voté, les associations de culte ne pourront pas se fédérer de département à département. Soit. Mais j’imagine que d’autres associations, formées sous une autre étiquette et pour un autre but, le pourront. On en créera de toutes sortes. Il me semble que, depuis quelque temps, il en surgit sans cesse de nouvelles. Elles ont les titres les plus variés. Je relève ceux-ci dans un article que le Siècle publiait ces jours-ci: Union des familles catholiques de...; Association des pères et des mères de famille de...; Association catholique de...; Association scolaire des familles de... En voici une dont l’action veut être très étendue: Association départementale pour la protection des intérêts catholiques et plus spécialement de l’enseignement chrétien dans le département de la Lozère. Est-ce que tous ces comités n’ont pas le droit de se liguer comme ils l’entendent?

Remarquons, — il y a quelquefois dans le public des gens pour l’oublier, et même pour l’ignorer tout à fait, — que nous possédons depuis trois ans une liberté nouvelle: la liberté d’association, garantie par la loi de 1901.

Nous ne pourrions plus voir aujourd’hui, comme au beau temps de l’ «Affaire», ce qu’on a nommé le «procès des Ligues», les représentants de la Ligue des Droits de l’Homme et ceux de la Ligue de la Patrie française cités en même temps devant le tribunal de police correctionnelle. Les circonstances sont changées et la tolérance administrative a fait place à un droit formel.

La plupart des associations que je citais tout à l’heure paraissent, — je n’ose pas être absolument affirmatif, — avoir été fondées par le Comité catholique de défense religieuse. S’il en est ainsi, elles sont déjà reliées à un centre. S’il en est autrement, peu importe pour l’instant: rien ne les empêche de se fédérer dès qu’elles le voudront, et aussi étroitement que possible. Elles peuvent se donner l’organisation financière qu’il leur plaira. Elles sont libres d’avoir une caisse centrale. Leurs adversaires n’ont aucun moyen d’appeler contre elles la rigueur des lois. Ils ont seulement le droit de se grouper de leur côté et de se grouper encore mieux s’ils en sont capables.

Supposons qu’il y ait dans chaque paroisse un comité catholique de ce genre, que tous ces comités fassent partie d’une vaste ligue nationale, qu’ils recueillent partout d’abondantes cotisations et les fassent aboutir à une commune caisse électorale, qu’ils acceptent pour eux et pour leurs membres une discipline sévère, qu’ils opèrent avec ensemble et sur le mot d’ordre envoyé de Paris... ou de Rome. Est-ce que, ce jour-là, la grande ligue catholique, avec son trésor de guerre, n’existera pas sous le couvert même de la loi?

Donc on ne pare pas au péril deviné, en interdisant aux associations de culte de se fédérer. J’estime, au contraire, que, loin de le supprimer, on ne le diminue en rien et même qu’on l’aggrave.

D’abord, on ne le diminue pas. Les associations auxquelles on interdit de se fédérer doivent avoir uniquement pour objet l’exercice d’un culte (article 6). Elles doivent tenir un état de leurs recettes et de leurs dépenses et dresser, chaque année, le compte financier de l’année écoulée. Elles peuvent constituer un fonds de réserve dont le montant ne devra pas être supérieur au tiers de l’ensemble de leurs recettes annuelles. Ce fonds de réserve sera placé soit à la Caisse des dépôts et consignations, soit en titres nominatifs de rentes françaises ou de valeurs garanties par l’État. Elles seront tenues de présenter leurs comptes sur toute réquisition du préfet (article 9). Si elles contreviennent à ces dispositions, leurs directeurs et administrateurs sont passibles d’une amende de 16 à 1.000 francs et même d’un emprisonnement de six jours à un an (article 10). Voilà des associations dont on peut être sûr que leurs caisses ne seront pas consacrées à des opérations électorales et politiques. Que gagne-t-on à les empêcher de se fédérer alors que toutes les autres, celles qui mèneront le combat contre la République laïque, en auront absolument le droit?

La commission qui a préparé un projet de séparation avait bien compris ce point. Elle a essayé de combiner un système ingénieux (imité d’ailleurs par M. Combes) pour placer les fonds des associations cultuelles sous le contrôle permanent de l’État, réserver ces fonds à des œuvres exclusivement religieuses, et n’autoriser la capitalisation que d’une somme calculée d’après les dépenses. Ayant pris de semblables garanties, elle a permis à ces associations de s’unir. Les deux choses se tiennent en effet. Du moment que l’activité politique est impossible à des groupements, pourquoi leur interdire ce qui leur est peut-être une condition de vie et ce qui est sûrement permis aux autres, même aux plus militants? Le péril n’existe qu’avec les associations qui échappent au contrôle de l’État. Et celles-là étant fondées en vertu de la loi de 1901, personne ne peut les empêcher de se fédérer. L’article 8 du projet Combes n’est pas seulement vexatoire. Il l’est pour rien: on dira bientôt qu’il l’est pour le plaisir.

Et pour ce motif il aggrave le danger que l’on désire écarter. Tout ce qui a un air de taquinerie provoque les ressentiments et les rancunes; et il y aura des gens qui se trouveront dans leur rôle en exploitant ces passions. C’est un thème facile que l’on va fournir, si l’on adopte cet article fâcheux, à ces associations politiques qui se multiplient déjà, qui pulluleront demain et que l’on n’a pas le droit d’empêcher. Elles répéteront sur tous les tons ce que l’on a déjà commencé de dire: que le gouvernement de la République a pris pour prétexte un péril qu’il savait imaginaire; qu’il en voulait, non pas au cléricalisme, mais à la religion catholique; qu’il a cherché un moyen de ruiner et de tuer les paroisses des régions pauvres en les empêchant de recevoir les secours des régions plus riches. On peut être sûr que cet argument agira sur les populations.

Ce n’est pas tout. Ces associations politiques auront un moyen infaillible de se procurer des ressources abondantes, des ressources qu’elles n’obtiendraient pas sans cet article 8. A leurs souscripteurs elles feront dire: «Nous ne quêtons pas seulement pour des besoins électoraux. Nous quêtons pour les paroisses misérables et qu’on s’est promis de vaincre par la famine. Nous procurerons quelques secours aux prêtres qui, dans certaines régions, n’ont même pas leur pain quotidien. C’est par notre intermédiaire officieux et secret que la solidarité catholique, interdite par les persécuteurs, sera possible malgré eux et par dessus les limites des départements.» Cette supplique déliera les cordons de bien des bourses. Sur les fonds ainsi collectés, quelles sommes iront aux comités purement électoraux et quelles sommes aux curés et aux vicaires dans le besoin? Ce n’est certes pas le gouvernement qui le saura.

C’est pourquoi il serait d’une grave imprudence, pour la République, de fournir à des adversaires aux aguets la bonne aubaine d’accusations qui portent... et qui rapportent. La sagesse commande de laisser les associations de culte, dont l’État surveillera les fonds et contrôlera les agissements, assurer en paix, et en se fédérant suivant la nécessité, la vie matérielle du clergé catholique. Il y a un véritable intérêt public à ce que leurs caisses soient suffisamment garnies. Ce qui leur sera versé diminuera d’autant le trésor de guerre du parti clérical, celui dont les comités militants se préoccupent avant tout. La suppression de l’article 8 n’enlèvera pas seulement aux hommes politiques une argumentation facile à exploiter; elle leur ôtera de l’argent.

La prudence est cette fois d’accord avec la justice.

La Séparation des Églises et de l'État

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