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VII

Table des matières

Encore les associations cultuelles

8 décembre 1904

Je suppose résolues toutes les questions relatives aux personnes. Les associations pour l’exercice des cultes sont constituées. Elles vont fonctionner. Quelle est leur capacité ? Il y a la réponse de M. Combes, et il y avait naguère la réponse de la commission. Celle-ci semble maintenant faire fi du projet qu’elle avait longuement préparé. Mais ce n’est qu’une tactique. Elle ne fait sien, en apparence, le projet de M. Combes que pour apporter devant la Chambre ce qu’on appelle une «base de discussion». Son travail reparaîtra sous forme d’amendements. Il a trop d’importance pour que je le considère comme inexistant. Je continuerai donc à parler du «projet de la commission». On me comprendra.

D’après les deux documents, les associations pourront, d’abord, toucher les cotisations prévues par la loi du 1er juillet 1901. Elles pourront, en outre, recevoir le produit des quêtes et collectes faites pour les frais et l’entretien d’un culte. Elles pourront enfin percevoir des taxes ou rétributions, même par fondations, pour les cérémonies et services religieux, pour la location des bancs et sièges, pour la fourniture des objets destinés au service des funérailles dans les édifices religieux et à la décoration de ces édifices.

M. Combes et la commission sont absolument d’accord pour déclarer légitimes toutes ces ressources. Ils se séparent sur une question de pratique. M. Combes exige que les quêtes et collectes pour les frais et l’entretien d’un culte se fassent «dans les édifices consacrés à l’exercice public de ce culte». Cela signifie que partout ailleurs elles sont interdites. La commission n’avait pas admis cette restriction. Il y a ici une volonté trop visible de vexation.

Une mesure mérite bien ce nom, qui établit pour une catégorie d’associations une gêne particulière et qui ne se justifie par aucune raison d’utilité réelle. Quelle association politique, — j’entends une de ces associations dont les caisses échapperont à tout contrôle de l’État et qui très souvent auront été fondées pour combattre la République, — quelle association politique se dispensera d’aller chercher au domicile de ses amis et souscripteurs les fonds dont elle aura besoin pour sa propagande? Aucune ne s’en privera. Alors à quoi bon l’interdire aux associations qui ne peuvent faire de politique et dont les livres de recettes et de dépenses doivent toujours être à la disposition de l’autorité ?

Cette défense ne saurait servir à rien. Un tel a décidé de participer aux frais du culte qui se célèbre dans telle église ou dans tel temple. C’est son droit strict. Il a fixé la somme qu’il veut consacrer à cet objet. Pourquoi lui refusez-vous le droit de la remettre, chez lui, au trésorier de l’association? Vous ne l’empêcherez pas de la verser. Il ira, puisque vous l’y obligez, l’apporter dans un local en dehors duquel la collecte n’est pas permise. Mais vous ne l’empêcherez pas, non plus, d’en vouloir à un gouvernement qu’il accusera de multiplier les taquineries. Et pourvu qu’il ne s’en prenne pas à la République elle-même!...

Je cherche quel motif sérieux a pu dicter cette mesure. Je n’en puis entrevoir qu’un seul. On a voulu empêcher les tournées organisées de mendicité religieuse. On suppose donc que les Français ne sont pas assez grands garçons pour fermer leur porte, si cela leur plaît, aux quêteurs laïques ou ecclésiastiques. C’est toujours la même doctrine, paternelle et encombrante, de fonctionnaires qui tiennent le reste des humains pour des mineurs incapables de savoir par eux-mêmes co qu’ils veulent faire ou ne pas faire.

Et puis, on ne les supprimera pas, ces collectes à domicile. Si elles ne se font pas au profit d’une association de culte, elles se feront au profit d’une société de pères et de mères de famille ou d’une «ligue de défense catholique». Elles ne seront pas moins fructueuses. L’on peut être sûr, d’ailleurs, que beaucoup de ces collectes seront entreprises pour des associations cultuelles. L’agent recevra les dons, et le dimanche suivant, à la messe ou au sermon, il versera le tout dans la bourse qui circulera parmi les rangées de chaises. La quête de ce jour s’en trouvera grossie, et c’est elle qui figurera dans le livre des recettes. A quoi donc aura servi la loi? A suggérer la tentation de la tourner. Eh bien, je me fais de la loi une idée trop haute pour admettre qu’on la rabaisse au niveau d’une invitation perpétuelle et officielle à l’hypocrisie.

Passons à un autre point. Les associations devront-elles se résigner à vivre au jour le jour, sans ressources économisées? La commission ne l’a point pensé. Elle a répondu dans son projet: «Les valeurs disponibles des associations... seront placées en titres nominatifs. Leur revenu total ne pourra dépasser la moyenne annuelle des sommes dépensées pendant les cinq derniers exercices pour les frais et l’entretien du culte.» Je ne vois pas ce que les esprits les plus libéraux seraient en droit d’objecter à cette disposition. Elle permet aux associations de prévoir des besoins extraordinaires et d’y parer. Supposons une catastrophe, une crise économique comme celle du phylloxéra, une guerre avec ses conséquences financières: les Églises seront en état de vivre en attendant des temps meilleurs pour tout le monde. D’autre part, la capitalisation indéfinie que d’aucuns, — dont je suis, — estiment mauvaise au point de vue religieux, et qui ne manquerait pas d’inquiéter à juste titre la société civile, est rendue impossible. C’est excellent.

Avec le projet de M. Combes, tout change. Il déclare: les associations «peuvent constituer un fonds de réserve dont le montant ne devra pas être supérieur au tiers de l’ensemble de leurs recettes annuelles». Ainsi une association dont le budget est de 10.000 francs sera autorisée à mettre de côté 3.333 francs 33. C’est se moquer lourdement que d’appeler cela une réserve. Il n’y a là, comme le disait justement M. Méjan dans sa réponse à l’enquête du Siècle, il n’y a là que l’avance d’un trimestre environ. L’intention est trop visible de mettre les Églises à la merci de tous les accidents.

Il est clair que les associations de culte n’auront pas seulement à subvenir aux dépenses de la vie courante. D’autres nécessités surgiront de temps en temps. Ce sera une église à réparer, un temple à construire. Pour les travaux de ce genre, le budget ordinaire n’aura pas de ressources; la réserve elle-même sera insuffisante. La commission et M. Combes admettent, l’un et l’autre, que les associations pourront verser à la Caisse des dépôts et consignations des sommes exclusivement destinées à l’achat, à la construction ou à la réparation des immeubles indispensables. Seulement, ils sont en désaccord sur une grosse question de pratique; et, cette fois, c’est M. Combes qui a raison.

J’ai assez combattu certaines dispositions de son projet pour être heureux de lui rendre hommage sur un point. D’après la commission, les fonds ainsi déposés dans une caisse publique ne pourront être affectés qu’après avis du Conseil d’État à l’objet pour lequel ils auront été réunis. M. Combes est opposé à cette restriction qui est, en vérité, exorbitante. Qu’un jour ou l’autre, les membres du conseil d’État soient violemment anticatholiques, ils trouveront dans cet article le moyen, non pas de combattre le cléricalisme, mais de persécuter le catholicisme comme religion. S’ils sont cléricaux et réactionnaires, ils pourront opprimer à leur aise les dissidents. Ils empêcheront l’ouverture de chapelles protestantes, de synagogues israélites, de «temples» maçonniques. Un groupe se séparant de Rome et continuant à se dire catholique, ils l’empêcheront de construire une église; ils n’auront qu’à déclarer que la nécessité de ce nouveau lieu de culte ne se fait pas sentir... sentir à eux, bien entendu. C’est bien la liberté de culte qui est menacée, et, derrière elle, la liberté de conscience.

Ceci est plus grave que tout. Certes, bien des mesures que j’ai discutées sont des tracasseries toujours pénibles et quelquefois dangereuses pour les Églises. Il serait aisé d’en citer d’autres encore. Par exemple, celle qui ordonne que les comptes et états devront être présentés, sur toute réquisition, au préfet ou à son représentant. On comprend que l’État ait l’œil sur les finances des associations cultuelles. On peut admettre qu’il exige, dans certains cas à spécifier, la communication des livres. Mais il ne faut pas faire de cette surveillance nécessaire un moyen de brimade. Les administrateurs bénévoles de ces associations ne seront pas des fonctionnaires à poste fixe et qui ne doivent pas s’éloigner. Ce seront des commerçants, des industriels, qui ont leurs affaires, qui font des voyages. S’amusera-ton à tomber sur leur dos dans les moments où on les dérangera le plus? Ce n’est pas dans l’intention du gouvernement, je le sais bien. Mais il suffit que ce soit dans l’intention de quelques sectaires à l’affût et qui, sous un prétexte quelconque, interviendront à la préfecture. La loi a pour but de garantir l’État. Elle sort de sa mission, si elle tend à transformer un pays en une réunion de méchants potaches dont la moitié organise le «canular» perpétuel des autres. Et si l’on songe que, pour une négligence ou une irrégularité, le projet de M. Combes édicte la prison dans les cas où la loi de 1901 ne prononce que l’amende, la simple possibilité de ces vexations devient odieuse.

Eh bien, pour insupportables que soient toutes ces mesquineries malveillantes, quelque agacement ou quelques rancunes qu’elles risquent de provoquer, elles ne violent pas directement, comme la mesure imaginée par la commission, un principe essentiel. La liberté de conscience ne va pas sans la liberté de culte; et la liberté de culte n’existe plus, si, pour ouvrir une église, il faut l’autorisation du Conseil d’État. C’était la doctrine de Louis XIV. Et il n’admettait point que l’autorisation pût être donnée aux insolents qui osaient n’être point de sa religion. Décidément, Louis XIV est encombrant, même sous la troisième République.

La Séparation des Églises et de l'État

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