Читать книгу La Séparation des Églises et de l'État - Raoul Allier - Страница 8

Оглавление

I

Table des matières

Une négation de l’histoire

6 novembre 1904

Cette fois, la question de la séparation des Églises et de l’État est bien posée. Nous ne sommes pas seulement en présence d’un projet élaboré, à propos d’initiatives individuelles, par une commission de la Chambre. M. Combes a rédigé ses propositions en un texte clair et précis. La discussion parlementaire commencera peut-être dans deux mois. Le moment est venu d’examiner avec soin ce que doit être dans le détail un régime nouveau, qui, selon la façon dont il sera compris, consolidera la République par la pacification des esprits ou la compromettra par un déchaînement de rancunes et de haines.

Il faut que chacun dise nettement son avis sur la question posée. J’apporterai ici, en toute liberté, ma pensée personnelle. Je l’exprimerai sous ma propre responsabilité. Je n’engage que moi. Aucun de nos collaborateurs n’est solidaire des idées que je développerai. Il faut que ceci soit bien entendu. D’autre part, je ne sers pas de porte-plume à un groupe. Je. suis protestant. Je crois, — et j’ai de bonnes raisons pour le croire, — que je me trouve en conformité de pensée avec la grande majorité du peuple protestant de France. Mais je n’ai reçu mandat de personne et je n’engage la responsabilité de personne.

Il faut qu’une autre chose soit entendue. Ce que j’écris ici n’est point pour faire obstacle à la séparation, mais pour contribuer, dans l’humble mesure de mes forces, à la préparer. Disciple convaincu de Vinet et d’Edmond de Pressensé, j’ai toujours professé que la séparation des Églises et de l’État est l’idéal à poursuivre. Ce n’est pas à l’heure où la démocratie supporte avec impatience l’union des Églises et de l’État que j’irai renier l’idéal de toute ma vie. Mais, si je désire ardemment la séparation, c’est pour qu’elle soit une cause de paix sociale et politique. Elle ne peut l’être qu’à la condition d’être réalisée dans la justice et dans la liberté.

Sans doute l’État a des précautions à prendre. Fou serait celui qui exclurait a priori toutes les mesures de garantie contre les empiétements de la société religieuse. Dans l’intérêt même de celle-ci, il faut que l’action politique lui soit impossible. La formule «l’Église libre dans l’État libre» ne signifie rien à moins qu’on ne précise bien le sens des mots: «L’Église religieusement libre dans l’État politiquement à l’abri de ses menaces». L’idée d’une police des cultes est donc absolument rationnelle.

Mais ces garanties ont pour limite la nécessité même de défendre l’État. Quand cette défense est assurée, tout ce qui les exagère est vexatoire, tout ce qui est vexatoire prépare des conflits et des réactions.

Sortons des généralités qui ne sont matière qu’à dissertations académiques, c’est-à-dire inutiles.

Dans le projet qui a été apporté l’autre jour par M. Combes à la commission de la séparation, un article a soulevé une émotion intense. Nos lecteurs en ont eu une preuve dans la lettre qui a paru, dans ce journal, mardi dernier, sous ce titre: «Les protestants et le projet du gouvernement», Il n’est que trop vrai que, chez tous les protestants, et en particulier chez ceux qui tiennent le plus à la séparation, un sursaut de surprise douloureuse a été provoqué par cet article 8.

Il ne faut pas s’en étonner. En interdisant aux associations formées pour l’exercice du culte de s’unir en dehors des limites du département, M. Combes, d’un trait de plume, a biffé toute l’organisation historique du protestantisme français depuis le seizième siècle. Que penserait-on de son projet, s’il renfermait une disposition comme celle-ci: «Il n’y aura plus désormais d’évêques dans le catholicisme.» On dirait qu’il serait plus simple d’écrire: «Il n’y aura plus d’Église catholique.» Sans le vouloir, sans y penser même, sous l’obsession d’une crainte juste, l’auteur du projet a rédigé un article qui équivaut, pour les Églises protestantes, à leur arrêt de mort.

J’expliquerai ce simple fait dans un prochain article. Je me contenterai pour aujourd’hui de quelques souvenirs historiques.

On ne soutiendra pas, j’imagine, que Louis XIV, en révoquant l’édit de Nantes, était préoccupé de défendre contre les empiétements d’une Église la liberté de conscience et les droits de la société civile. Il voulait bel et bien extirper cette Église et convertir les âmes par la contrainte. Tout ce qui rappelle sa politique sur ce point est mauvais. Or, son premier acte contre l’édit de Nantes a été la suppression du synode national des Églises réformées.

Il sentait si bien ce que ce synode était pour ces Églises organisées démocratiquement qu’il n’a pas osé, lui, le potentat, le faire disparaître brutalement et d’un coup. Il a usé d’un biais. Au Synode de 1659, le dernier, le commissaire royal pressa l’assemblée de hâter la clôture de ses séances, puis il dit: «Sa Majesté ayant considéré qu’on ne peut pas tenir de synode national sans qu’il en coûte de grandes sommes et sans causer beaucoup d’embarras et de peines à ceux qui y sont envoyés; et d’autant qu’on peut terminer plus facilement, et à moins de frais, plusieurs matières et affaires dans les synodes provinciaux, lesquels Sa Majesté permet qu’on tienne une fois l’année pour conserver la discipline de la religion prétendue réformée; pour ces raisons, messieurs, Sa Majesté a jugé à propos que je vous proposasse de sa part de donner tout pouvoir aux synodes provinciaux de connaître de toutes les affaires qui arriveront dans les provinces, dont la connaissance appartenait seulement aux synodes nationaux, et de les régler et terminer, car Sa Majesté a résolu qu’elle n’en assemblerait plus que lorsqu’elle le jugerait expédient.»

Toute l’assemblée comprit ce qu’il y avait sous cette politesse. C’était la confiscation pure et simple d’un droit reconnu par Henri IV et inscrit dans la charte des Églises réformées. L’illustre Daillé répondit au nom du synode: «Nous supporterons très volontiers tous les frais et toutes les fatigues que nous sommes obligés d’endurer pour un tel sujet.» Et, séance tenante, l’assemblée décida que, sous le bon plaisir de Sa Majesté, un nouveau synode national se tiendrait à Nîmes dans le délai de trois ans.

Le «bon plaisir de Sa Majesté » fut que ce synode ne se réunît pas. L’année 1660 marqua le début des mesures restrictives qui devaient anéantir peu à peu, et dans le détail, l’édit de Nantes avant que le roi ne le déclarât révoqué en 1685. Puis vint la grande débâcle. En 1715, il semblait que l’hérésie fût anéantie. Or, à ce moment même, dans les gorges des Cévennes, quelques paysans entreprenaient de travailler à la restauration des Églises dispersées. Leur premier acte était de réorganiser des synodes régionaux. La perpétuelle menace des galères ou du gibet ne les empêchait pas de rêver d’un synode national; et ils donnaient ce nom, le 16 mai 1726, à une assemblée qui se réunissait dans une vallée très écartée et qui créait, en même temps qu’une caisse de secours, la confédération des Églises réformées du Vivarais, du Languedoc et du Dauphiné...

Les années se passent. La loi de germinal an X reconnaît officiellement l’existence des Églises réformées. Elle énumère les attributions des synodes d’arrondissement. Elle passe sous silence le synode général. Le premier consul n’aimait pas ce qui rappelait la démocratie et ressemblait trop au régime parlementaire. On comprend qu’il ait essayé de supprimer par prétérition ce qui faisait avec la dictature un contraste par trop criant. Mais chaque fois que la République reparaît, les synodes reparaissent également avec la liberté.

En 1848, le 11 septembre, un synode national se réunissait à Paris; et le second du siècle s’assemblait, au lendemain de l’année terrible, en 1872. On ne se représente guère le gouvernement de la troisième République remontant, par delà l’autoritarisme de Bonaparte, jusqu’aux brutalités despotiques de Louis XIV.

Ce n’est pas tout. En 1848, un certain nombre de réformés ont estimé que le principe de la séparation des Églises et de l’État primait tout. Ils ont voulu réaliser ce principe, sans attendre plus longtemps. Ils ont constitué des Églises; ils ont bâti leurs temples; ils ne demandent aucun subside à l’État; ils assurent eux-mêmes le traitement de leurs pasteurs. Ces groupements, souvent très éloignés les uns des autres, ont formé une fédération connue sous le nom d’«Union des Églises évangéliques libres de France» ; ils ont leur synode général qui se réunit tous les deux ans. L’Empire a respecté ce synode. Après l’avoir toléré plus de trente ans, la troisième République va-t-elle l’interdire? Dira-t-on que, pour faire l’expérience de la liberté et réaliser de soi-même et à l’avance un vœu de la démocratie, il valait mieux vivre sous l’Empire que sous la République? Des républicains ne peuvent pas accepter cette idée.

Il n’y a pas seulement en France des réformés. Ici et là, quelques groupes de protestants se rattachent au méthodisme. Naturellement, n’ayant aucun rapport avec l’État, ils se sont fédérés entre eux. Ils ont une organisation synodale. Parce qu’ils sont établis dans des départements différents et parfois très distants les uns des autres, faut-il que, de par la loi, ils renoncent à se tendre la main?

Et voici qui est peut-être plus paradoxal encore. A la suite de la guerre de 1870, par la perte de l’Alsace, l’Église luthérienne, unie à l’État, avait été diminuée de plus de la moitié de ses membres. De plus, avec Strasbourg, lui avait été enlevé le centre de son administration propre. Elle était affaiblie, désorganisée; elle risquait de s’émietter. Pour lui donner le moyen de se reconstituer et de vivre, le gouvernement réunit à Paris, le 23 juillet 1872, le synode de l’Église de la confession d’Augsbourg. Et, depuis, ce synode n’a cessé de fonctionner régulièrement. Le gouvernement a jugé cette assemblée indispensable, même dans le régime de l’union avec l’État. Peut-il la supprimer, quand la disparition du budget des cultes va la rendre encore plus nécessaire? En fait de logique, on ne distinguerait ici que la logique du despotisme et de l’arbitraire.

Il paraît évident, pour tout homme de bonne foi, que M. Combes n’a pas eu tant de noirs desseins. Il n’a pas prémédité un arrêt de mort contre les Églises protestantes. La vérité est sans doute qu’il n’a même pas pensé à elles, pas plus qu’aux communautés israélites qui ne seraient pas moins menacées. Il n’a travaillé que sous la hantise du péril romain. Averti, il verra les faits tels qu’ils sont. Or je n’ai parlé jusqu’ici que d’histoire et de principes. Je montrerai quels intérêts vitaux sont mis en péril par le projet du gouvernement.

La Séparation des Églises et de l'État

Подняться наверх