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V

Table des matières

Une correction à préciser

11 décembre 1904

Il faut bien croire que l’article 8 du projet Combes n’était pas irréprochable. La preuve en est que son auteur a consenti sans trop de résistance à le corriger de façon assez profonde. On sait comment les choses se sont passées. La majorité de la commission, pour permettre à la discussion de s’engager devant la Chambre le plus tôt possible, a voté le projet qui lui était soumis, ses membres se réservant de présenter au cours des débats leurs objections et leurs amendements. Avant de procéder à une seconde lecture, elle a chargé son rapporteur de conférer avec M. Combes, de lui demander certaines modifications et de déterminer une entente complète sur un projet commun. Cette entrevue a eu lieu. Une des concessions obtenues par M. Briand porte précisément sur l’article qui a soulevé, dans tant de milieux, une si forte émotion.

La note communiquée à la presse indique que le président du conseil et le rapporteur de la commission se sont mis d’accord pour «autoriser les unions d’associations, en tant qu’elles correspondront aux circonscriptions ecclésiastiques des différents cultes, telles qu’elles existent actuellement». C’est ce que la commission a formulé de la façon suivante: «Ces associations pourront, dans les formes déterminées par l’article 7 du décret du 16 août 1901, constituer des unions dans les limites actuelles des circonscriptions ecclésiastiques des différents cultes antérieurement reconnus».

Il ressort clairement de ce texte que la rédaction primitive de la commission est toujours écartée par. M. Combes. Elle disait simplement: «Ces associations pourront, dans les formes, etc..., constituer des unions avec administration ou direction centrale». C’était d’un libéralisme intelligent. On s’apercevra sans doute un jour, — et je le déplore à l’avance, — qu’en empêchant les associations cultuelles de se fédérer sous le contrôle de l’État, on n’aura pas gêné l’organisation des forces cléricales, mais qu’on aura placé chaque diocèse et chaque évêque dans une dépendance plus étroite et plus directe à l’égard de Rome. C’est un des cas ou la peur d’un spectre ôte la vue du danger réel.

Mais si M. Combes n’a pas admis la rédaction de M. Briand, il n’a pas maintenu la sienne propre qui était de tous points inacceptable. Il ne s’est même pas attaché à l’amendement bizarre que, d’accord avec lui, et dans une très bonne intention, M. Georges Berger avait présenté. On ne nous parlera plus, — espérons-le du moins, — de ce découpage savant de la France en quatre ou cinq régions à l’intérieur desquelles les associations protestantes et israélites auraient eu le droit de se fédérer. La solution adoptée est beaucoup plus large, soit pour le culte catholique, soit pour les autres cultes.

Elle n’est certes pas ce que je voudrais pour le catholicisme, qu’elle ne diminue en aucune façon comme force cléricale et qu’elle forcera à créer, en dehors des formes prévues par la loi, un moyen d’assurer aux régions pauvres les secours des régions riches. Mais elle a du moins l’avantage de respecter l’organisation traditionnelle de cette Église. On brisait cette organisation, on la désarticulait, en la forçant à se calquer sur la distribution géographique et surtout artificielle des départements. On en conserve au contraire les traits essentiels en permettant les unions diocésaines et métropolitaines. Si les évêques et les archevêques perdent leur situation officielle, ils ne sont pas diminués dans leurs fonctions ecclésiastiques.

La France entière étant divisée en évêchés et archevêchés, la formule sur laquelle M. Combes et M. Briand se sont entendus ne soulèvera peut-être jamais de difficultés pour le culte catholique proprement dit. Mais il y a une hypothèse sur laquelle je m’excuse de revenir sans cesse. Que fera-t-on pour les groupes schismatiques qui pourront surgir, qui rompront avec Rome, mais qui refuseront de s’agréger à des Églises protestantes? Comment leur sera-t-il permis de former des unions d’associations qui correspondront aux circonscriptions actuelles de ce culte?

Ni les circonscriptions, ni ce culte n’existent actuellement. Appliquée à la lettre, la formule qu’on nous propose servirait peut-être un jour à protéger le catholicisme contre toutes les tentatives de dissidence. Ce n’est pas ce que M. Combes et M. Briand ont voulu. Donc la formule n’est pas heureuse.

Laissons momentanément la formule de côté. L’idée qu’elle traduit mal vaut mieux que l’expression. En même temps que la constitution traditionnelle du catholicisme, elle sauvegarde l’organisation historique des autres Églises. Chacune d’elles pourra constituer les unions d’associations qui correspondent aux diverses catégories de ses circonscriptions. Dans l’Église réformée et dans l’Église luthérienne, il y a, au-dessus de la paroisse, le consistoire qui comprend un certain nombre de paroisses, le synode régional qui réunit plusieurs consistoires, et enfin le synode national qui se superpose à l’ensemble. Dans les Églises libres, il y a, au-dessus de la paroisse, le groupe avec sa conférence annuelle, puis le synode général. Dans les Églises méthodistes, la série des conseils est analogue: la paroisse, le district, le synode. Dans le nouveau régime, tous ces corps seront conservés sous la forme d’unions d’associations. Ici encore, l’histoire et les principes seront respectés.

Et voici que, de nouveau, tout en approuvant avec plaisir le régime que l’on promet, je ne puis trouver satisfaisants les termes par lesquels on le désigne. Pour que le projet signifie ce que je viens de dire, — et je sais que M. Briand lui a prêté formellement cette signification, — il faut prendre les mots «circonscription ecclésiastique» dans un sens tout abstrait. C’est le sens qui apparaît si, dans la formule proposée, on insère deux mots et si on dit: «Les unions d’associations sont permises en tant qu’elles correspondent aux diverses espèces de circonscriptions ecclésiastiques des différents cultes, telles qu’elles existent actuellement.» Je ne soutiens pas que la phrase, ainsi corrigée, soit bien élégante. Elle a le mérite, avec cette adjonction, de ne pas permettre un contre-sens qui risquerait d’avoir, un jour ou l’autre, les plus graves conséquences. Une correction de ce genre serait également utile dans le texte voté par la commission.

Ce qu’il ne faut pas, en effet, ce qu’il faut rendre absolument impossible, c’est qu’un gouvernement réactionnaire et mal intentionné puisse ôter à la formule son sens abstrait, — le vrai, — et ne lui attribuer qu’un sens strictement géographique. On verrait alors apparaître une interprétation de la loi qui rappellerait un peu trop les sophismes chers aux magistrats de Louis XIV.

L’édit de Nantes portait que le culte «prétendu réformé » pourrait être célébré partout où il avait été «établi et fait publiquement par plusieurs et diverses fois en l’année 1596 et en l’année 1597, jusqu’à la fin du mois d’août». A partir de 1660, Sa Majesté Très Chrétienne commanda à chaque Église réformée de prouver que le culte public (c’est-à-dire un culte que des pièces officielles permettaient de qualifier tel) y avait été célébré publiquement (il fallait d’autres pièces pour justifier cet adverbe) dans un lieu public (c’est-à-dire que d’autres pièces démontraient avoir été public) par un pasteur attitré (dont on devait présenter tous les papiers) et pendant les années 1596 et 1597 (les deux années, pas l’une ou l’autre) jusqu’à la fin d’août. Et l’on n’a pas oublié le résultat de ces exigences, que l’on compliquait d’autres quand elles ne suffisaient pas pour ordonner la démolition des temples.

On doit éviter, dans la loi nouvelle, tous les termes ambigus qui pourraient fournir aux casuistes d’une réaction toujours possible un instrument d’oppression. Pourquoi donc les mouvements d’opinions et de sentiments s’arrêteraient-ils le jour où la loi de séparation, sera promulguée? Pourquoi l’hérésie ne se répandrait-elle pas dans telle région où elle n’est pas actuellement représentée? Pourquoi la distribution géographique des groupes consacrés à la diffusion de telle ou telle idée serait-elle éternellement figée? Des législateurs républicains ne laisseront pas croire, au début du vingtième siècle, qu’ils ont prétendu fixer à jamais, pour la France, la carte des convictions philosophiques ou religieuses.

Qu’on y prenne garde! Un gouvernement clérical aurait vite fait de tourner la formule de M. Combes et de la commission contre les dissidents détestés, même contre la franc-maçonnerie qu’il traiterait comme une Église. Il leur dirait: «Aviez-vous dans tel endroit une circonscription organisée en 1904 ou en 1905? Non? Eh bien, vous n’y aurez pas non plus une union d’associations. »

Il y a, dans un détail du projet concerté entre M. Combes et le rapporteur de la commission, une pensée heureuse et libérale. Il ne faut pas l’enfermer en une formule qui pourrait, dans une heure de crise politique, fournir une arme contre la liberté de conscience.

La Séparation des Églises et de l'État

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