Читать книгу La Séparation des Églises et de l'État - Raoul Allier - Страница 13
ОглавлениеAssociations cultuelles
27 novembre 1904
L’article 8 du projet Combes n’a pas été le seul à provoquer une profonde inquiétude chez les hommes qui désirent sincèrement la séparation, qui la réclamaient alors que le père de cet extraordinaire projet n’en voulait pas, mais qui ne la conçoivent pas possible en dehors de la justice. Si je passais maintenant à celui qui les a le plus scandalisés, — le mot n’est pas trop fort, — c’est de l’article 3 que je devrais parler, de cet article qui prétend procéder à des confiscations que M. Briand, un socialiste, avait écartées.
Mais cette marche me ferait sauter, sans ordre, d’un sujet dans un autre. Elle n’aurait d’autre logique que celle des émotions éprouvées. Elle nous conduirait à perdre de vue des détails qui semblent, au premier abord, secondaires, et dont l’importance pourtant, à les considérer de près, est loin d’être médiocre. Tâchons d’épuiser ce qui concerne les associations de culte.
Nous avons vu que, d’après le projet, elles ne peuvent pas former entre elles des unions qui dépassent les limites d’un département. Examinons comment elles-mêmes doivent se constituer et fonctionner. C’est par là qu’il aurait fallu débuter, si une protestation contre des procédés à la Louis XIV n’avait été plus urgente.
L’article 6 de M. Combes reproduit dans sa première partie, en y ajoutant d’inutiles longueurs d’expression, l’article 16 de la commission: «Les associations formées pour subvenir aux frais et à l’entretien d’un culte devront être constituées conformément aux articles 5 et suivants de la loi du Ier juillet 1901; elles seront soumises aux autres prescriptions de cette loi sous la réserve des dispositions ci-après.» La différence est que les restrictions annoncées par la commission sont développées dans les articles suivants et se rapportent toutes aux ressources de ces associations; M. Combes les complique d’autres qui prennent place dans l’article 6 lui-même et qui visent surtout les personnes.
On commence par déclarer que ces associations «devront avoir exclusivement pour objet l’exercice d’un culte». C’était sous-entendu pour toutes les dispositions que la commission a votées. Il est déclaré que l’État contrôlera les fonds de ces associations, s’assurera qu’ils ne sont dépensés que pour les besoins du culte, et réprimera sévèrement l’immixtion de la politique dans le culte. M. Combes juge utile d’exprimer dans un article un fait que toute la loi s’applique à garantir. Il n’a peut-être pas tort.
La suite est plus discutable: «Elles (ces associations) ne pourront employer aucun étranger dans les fonctions de ministre du culte.» La préoccupation qui inspire cette défense est visible. On est inquiété par le caractère international du catholicisme. On veut éviter l’invasion de moines espagnols ou italiens qui seraient en France les agents fanatiques de l’absolutisme romain. La crainte est légitime. Il serait fou de ne pas songer à ce danger. Mais la garantie que M. Combes a cru bon d’imaginer ne vaut rien.
Ce qui fait le péril, ce n’est pas qu’un étranger puisse prononcer un sermon ou célébrer la messe. L’État, ainsi que je le rappellerai tout à l’heure, n’est pas désarmé contre lui. Ce qui doit donner du souci à la société laïque, c’est la prétention du pape à diriger les catholiques, non seulement par les évêques, mais surtout par des missi dominici, par des «visiteurs», par des «enquêteurs», qui agiront au nom du Saint-Siège, le mettront au courant de ce qui se passera dans les diocèses et mèneront à la baguette les évêques suspects d’indépendance, Ces personnages ne seront pas au service des associations de culte. Elles dépendront d’eux et elles leur obéiront. A quoi servira contre eux la disposition réclamée? A rien.
En revanche, cette disposition introduit une injustice flagrante. Les groupements socialistes, pour faire prêcher la lutte des classes, sont en droit de s’assurer le concours d’Allemands, d’Anglais, d’Italiens, etc. Les sociétés de libre-pensée ont toute permission de tenir, à côté ou en face des églises et des temples, des réunions périodiques et concurrentes; et elles ne sont pas en contradiction avec la loi, si elles prennent des étrangers pour orateurs réguliers de ces réunions. Je trouve cela naturel, mais à condition que cette liberté soit pour tout le monde.
La commission l’a compris. Mais, d’après le projet Combes, les groupes ou sociétés dont je viens de parler, en possession d’un droit incontestable, pourront, même au lendemain d’une séance franchement internationaliste, dénoncer à l’autorité publique une association de culte qui aurait confié à un étranger le soin de célébrer la messe ou de prononcer un sermon. L’inégalité de traitement n’est-elle pas criante?
Elle n’est pas seulement criante: elle est inutile. Si un ministre du culte se permet, dans l’exercice de ses fonctions, de faire de la politique, il s’expose, d’après toutes les lois proposées, à des pénalités fort sévères. Dans le cas où il n’appartient pas à la nationalité française, il est, comme tous les agitateurs étrangers, à la merci d’un arrêté d’expulsion. C’est un signe de faiblesse pour l’État que de ne pas user des armes qu’il possède et d’en réclamer toujours de nouvelles. Servez-vous de celles que vous avez, avant de forger, à tout propos, des lois d’exception,
Et la mesure inutile qu’on propose est, en outre, une façon de se leurrer soi-même. Si quelque cardinal Satolli a mission de venir régenter, de la part du pape italien, les évêques de France, il saura ne pas se compromettre en des réunions publiques. Il fera de la besogne, et non du bruit. Pour avoir l’air de prévenir cette menace, on interdit à d’autres étrangers d’exercer au grand jour des fonctions surveillées. Ce n’est pas tout à fait la même chose. Une loi est mauvaise qui, laissant subsister entièrement un danger, donne l’illusion d’y avoir paré.
Les mauvaises langues accuseront volontiers M. Combes d’avoir voulu surtout imiter Louis XIV. L’article 8 rappelait déjà d’une façon fâcheuse une mesure par laquelle Sa Majesté Très Chrétienne a préparé la révocation de l’édit de Nantes. On pourrait trouver dans l’article 6 quelque chose de semblable. L’édit de Nantes (article 6 des Généraux et Ier des Particuliers) autorisait les étrangers à remplir dans le royaume les fonctions de pasteur et de pédagogue. Cédant aux réclamations du clergé catholique, le conseil du roi, par un arrêt du 16 janvier 1662, supprima cette liberté. Cette fois, M. Combes veut la supprimer pour les catholiques comme pour les protestants. N’est-ce pas du Louis XIV corrigé et développé ?
Mais à quoi bon aller chercher des précédents aussi glorieux? Il n’y a sans doute ici qu’une vulgaire routine administrative. Sous le régime du Concordat et de la loi de Germinal, l’État n’admet comme titulaires, dans les fonctions de ministres du culte, que des nationaux. Il a parfaitement le droit, puisqu’il paye, de réserver son argent pour des Français. Depuis longtemps, il tolère dans les postes qu’il ne rétribue pas et, à plus forte raison, dans les Églises indépendantes, le ministère d’étrangers. Du moment qu’il fait disparaître son budget des cultes, l’exigence proclamée devient anachronique. Elle n’est dans le projet actuel que parce qu’un administrateur ne se résigne jamais à biffer de lui-même un règlement suranné et surtout arbitraire; il lui semblerait qu’il se coupe un bras. Les Chambres n’auront pas le même scrupule. Elles amputeront sans hésiter, non pas le bras de M. le directeur des cultes, mais un bout de l’article qu’on leur apporte. Elles demanderont qu’on leur propose, à la place d’une taquinerie inutile et choquante, une mesure efficace contre le vrai danger, celui dont on ne parle pas.
Le dernier paragraphe du même article vise les administrateurs et directeurs des associations cultuelles, Ceux-ci «devront être Français, jouir de leurs droits civils et avoir leur domicile dans le canton où se trouvent les immeubles consacrés à l’exercice du culte». Au premier abord, ces dispositions n’ont rien qui étonne. A la réflexion, elles rendent perplexe.
Si des étrangers professent une religion qui n’est point ou qui est peu représentée en France (par exemple, la religion anglicane) et veulent célébrer leur culte, comment s’y prendront-ils pour fonder l’association nécessaire? Ils ne pourront lui trouver ni des administrateurs ni des directeurs ni, en vertu du paragraphe précédent, des pasteurs. Les Norvégiens, les Suédois, dont on fête chez nous, en ce moment, les représentants, ne pourront plus avoir leurs temples et leurs ministres. Les colonies étrangères qui sont installées sur nos côtes de la Méditerranée devront-elles, si elles veulent avoir leurs lieux de culte, se transporter un peu plus loin, sur la même Côte d’Azur, mais au-delà de la frontière? On n’a pas pensé à tout cela, en écrivant cet article de loi. C’est possible. Mais voilà comment le nationalisme de fonctionnaires tatillons comprend les intérêts nationaux.
Laissons cette question. Celle du domicile a son importance. Pourquoi les administrateurs et les directeurs des associations sont-ils contraints d’habiter «dans le, canton où se trouvent les édifices consacrés à l’exercice du culte» ? Là où la population rattachée à une certaine religion est compacte, cela ne soulève peut-être aucune difficulté sérieuse. Mais là où elle ne l’est pas, les choses n’iront pas aussi facilement. Pour remplir les fonctions visées par la loi, il faut des capacités particulières. Si l’on n’est pas rompu aux opérations d’une comptabilité assez délicate, on s’expose à des amendes et à la prison. Il y a des endroits où il ne sera pas commode de trouver, dans un même canton, le nombre suffisant d’hommes qualifiés.
Et les minorités religieuses qui ne possèdent que des groupes d’adhérents dispersés sur les points les plus divers d’un arrondissement ou même d’un département, comment s’y prendront-elles? Voici, par exemple, la paroisse réformée de Nauroy (Aisne). Elle a trois annexes: Levergics, Montbechain, Serain. Ces deux dernières, les plus importantes, sont dans le canton de Bohain, tandis que Nauroy se trouve dans le canton du Catelet. Comment s’arranger avec les exigences du projet de loi? Il est vraiment dommage que les mouvements d’âmes négligent de se régler sur les divisions administratives.
Encore une fois, ne saisit-on pas sur le fait l’éternelle manie des bureaucraties: tout réglementer, tout compliquer? Elles ne peuvent concéder la liberté sans essayer de la «diriger» dans tous les détails. Elles ne tolèrent les initiatives qu’à la condition de les gêner sans cesse. Seulement ces prétentions indiscrètes et visiblement malveillantes s’appellent, dans l’espèce, entraves à la liberté religieuse, entreprises contre les consciences.
Je conclus sur cet article 6 du projet de M. Combes. On peut le conserver pour tout ce qu’il contient de semblable à l’article 16 de la commission. Il n’est peut-être pas mauvais d’en maintenir le paragraphe 2 qui précise que les associations «devront avoir exclusivement pour objet l’exercice d’un culte». Il faut en biffer tout le reste.