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IX

Table des matières

Autres confiscations

25 décembre 1904

Je n’ai pas tout dit sur cet extraordinaire article 3 du projet Combes, qui tend à introduire dans nos lois le principe inattendu de la confiscation pure et simple. Il ne vise pas seulement, avec les biens mobiliers affectés à l’exercice du culte, les églises, chapelles, temples ou synagogues qui, ayant été construits ou achetés aux frais des fidèles, ont été donnés, conformément aux prescriptions de nos codes, aux fabriques, aux consistoires et aux conseils presbytéraux. Il frappe également ceux de ces biens qui, légalement donnés et légalement reçus par ces corps ecclésiastiques, ont une destination charitable.

Pour voir clairement ce que peuvent être ces biens, prenons un exemple concret. Dans la ville de X, un ou plusieurs particuliers ont décidé un jour de fonder une maison de retraite pour des vieillards indigents. Ils appartenaient à une confession déterminée. Ils ont voulu que l’asile créé pût offrir à des vieillards de la même confession une sorte de famille spirituelle où tous leurs besoins religieux seraient satisfaits. Ils auraient pu former, pour l’administration de cette maison, une société civile; et l’exécution de leurs volontés aurait été garantie à jamais. Au lieu de recourir à ce procédé, ils ont offert leur fondation à un corps ecclésiastique qui avait la capacité juridique de la recevoir. Ils ont placé, si je puis dire, l’exécution de leurs volontés sous la sauvegarde encore plus directe de l’État. La séparation, qu’ils n’avaient pas prévue, est faite. Que va-t-il advenir de ce bien?

La commission a vu l’importance du problème. Elle a voulu le résoudre sans léser aucun droit formel. L’article 7 bis de son avant-projet est ainsi conçu: «Les biens appartenant aux fabriques, consistoires ou conseils presbytéraux qui ont été spécialement affectés par l’auteur d’une libéralité à une œuvre de bienfaisance seront, dans le délai de six mois, attribués par les établissements précités soit aux bureaux de bienfaisance, soit aux hospices, soit à tous autres établissements de bienfaisance publics ou reconnus d’utilité publique. Le choix de l’établissement bénéficiaire de la dévolution devra être ratifié par le Conseil d’État, s’il est conforme à la volonté du donateur ou du testateur. Cette attribution ne donnera lieu à la perception d’aucun droit au profit du Trésor.»

Tout ce qui est essentiel est respecté dans cet article: la volonté des particuliers qui ont fait la fondation et qui, en la commettant aux soins de tel corps ecclésiastique et non d’une société civile, ont manifesté leur confiance envers l’État, — et le droit du corps ecclésiastique qui disparaît et qui est appelé à choisir lui-même son successeur parmi les établissements d’utilité publique.

Cet article est donc excellent... Oui, mais à une condition: c’est que, dans la pratique, il soit toujours applicable. Or il y a de ces cas où il ne le sera guère. Dans telle ville ou département, le consistoire, par exemple, aura un asile de vieillards; le seul établissement de la même confession qui, dans le même endroit, sera déclaré d’utilité publique, se trouvera peut-être un orphelinat. Et des situations semblables, quoique sous des formes très variées, se rencontreront ici et là. Parfois le corps ecclésiastique n’aura pas du tout à sa portée l’établissement d’utilité publique auquel il devrait s’adresser. La dévolution prévue par la loi ne sera donc pas toujours possible dans l’esprit où le législateur l’aura voulue.

Il n’y a, pour éviter cet inconvénient, qu’à corriger légèrement l’article proposé. Il suffit d’admettre que la dévolution puisse se faire à des sociétés qui se créeront conformément à la loi de 1901. Et ces sociétés succéderont aux fabriques, aux consistoires, aux conseils presbytéraux, comme leur succéderont également les associations formées pour l’exercice du culte. Elles devront continuer, en suivant la volonté des donateurs, l’administration de l’œuvre de bienfaisance que ceux-ci avaient confiée jadis au corps ecclésiastique qui n’existera plus...

M. Combes intervient ici et, avec son propre projet, bouleverse tout. Il écarte le principe de justice qui avait inspiré la commission et il déclare dans le troisième paragraphe de l’article 3: «Les biens ayant une destination charitable seront attribués par décret en Conseil d’État ou par arrêté préfectoral... aux établissements publics d’assistance situés dans la commune ou dans l’arrondissement.

C’est toujours la même chinoiserie qui est sous-entendue: les fabriques, les consistoires, les conseils presbytéraux sont des personnes morales qui prennent fin; ces personnes morales n’ont pas d’héritiers naturels; l’État se présente et met la main sur cette succession vacante. Le raisonnement est aussi joli que commode. J’ai déjà montré, à propos des édifices du culte, qu’il ne correspond pas à la réalité. On sépare les Églises de l’État. Si on les sépare, c’est qu’elles existent, et le fait de les séparer ne les supprime pas. Il faut bien qu’elles organisent leur vie sous une forme nouvelle; et c’est ainsi qu’elles doivent constituer les associations pour l’exercice du culte que l’État connaîtra désormais à la place des anciens corps officiels. Ceux-ci transmettront à ces associations une partie de leurs fonctions actuelles; pourquoi ne pourraient-ils en transmettre l’autre partie à d’autres associations de leur choix?

Il est certain que l’État peut toujours mettre fin à l’existence d’une personne morale. Seulement, il faut des motifs bien graves pour qu’il en vienne là. Comme le remarque le mémoire du Conseil central des Églises réformées, le summum jus pourrait devenir ici summa injuria. Depuis qu’ils ont été reconstitués par la loi de Germinal an X, les consistoires et les conseils presbytéraux n’ont fourni à l’État aucun motif d’agir ainsi à leur égard. Dans les statuts d’établissements d’utilité publique, il y a toujours un article qui prévoit leur dissolution et qui porte que, dans ce cas, ils auront la faculté de répartir leurs biens entre les établissements de même caractère. Dans les fondations dont il s’agit, cette clause ne pouvait figurer expressément: c’est qu’on ne pouvait pas y mentionner la dissolution possible des conseils presbytéraux et des consistoires. Quel homme de bonne foi soutiendra que cette clause ne doit pas y être sous-entendue?

En une affaire aussi grave que la séparation, quand tant d’intérêts sont en jeu, il faut revenir toujours, obstinément, aux principes. Ils sont méconnus et violés par l’article 3 du projet Combes. Ils sont respectés entièrement par l’article correspondant du projet de la commission; et pour rendre celui-ci irréprochable dans la pratique, il suffit d’un léger amendement. Sur ce point comme sur d’autres, le Parlement préférera à des dispositions arbitraires et rédigées ab irato les dispositions beaucoup plus justes que la commission avait arrêtées après des débats approfondis.

Les injustices ne sont bonnes qu’à provoquer des rancunes. La ville de X, que je citais plus haut, n’est pas une abstraction imaginée pour les besoins de la cause. Elle existe, et, si je ne la nomme pas en ce moment, c’est que je n’ai pas reçu mandat de parler au nom d’autres hommes que moi-même. Là, des citoyens, sur lesquels la République a toujours compté et qui ont été parfois son principal appui, possèdent, par le moyen de leur conseil presbytéral ou de leur consistoire, des établissements de bienfaisance qui n’ont jamais soulevé la moindre critique. Se figure-t-on qu’ils assisteraient avec indifférence à la confiscation de leurs œuvres? Ils ne s’en prendraient certainement pas à la République elle-même. Mais ils seraient moins charitables pour les hommes politiques qui auraient compromis dans une injustice le nom de la République.

Et d’autres hommes, les éternels ennemis de la République, sont prêts à aller plus loin. Ils ont besoin, dans l’intérêt du parti réactionnaire et clérical, de présenter le régime de la séparation comme un régime de persécution. Ils ne se priveront d’aucune criaillerie. Ils dénonceront des iniquités imaginaires. Ils exploiteront tout pour exciter des colères. Il ne faut pas qu’ils puissent exploiter des griefs fondés. Ces griefs fondés feraient passer les autres. La réalité perçue de quelques vexations injustes empêcherait de voir le caractère illusoire d’autres accusations.

Biffons de la loi tout ce qui risque de fortifier l’opposition à la République.

La Séparation des Églises et de l'État

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