Читать книгу Les deux femmes de Mademoiselle - René Maizeroy - Страница 11
II
ОглавлениеC’était dans une maison garnie de l’avenue Lamothe-Piquet qu’Aristide Pégrimard avait aperçu pour la première fois, un matin,–au retour de l’exercice, –la nouvelle locataire qui demeurait depuis la veille sur le même palier que lui. Elle se drapait dans un peignoir de percale blanche si transparent, qu’il se teintait des reflets roses de sa chair nue. Ses cheveux noirs, entortillés sur la nuque au petit bonheur, s’éparpillaient vagabondemment sur ses cils, et une boîte à lait toute neuve pendait à sa main gauche. Avec cela, vingt ans dans les yeux et une bouche gourmande de Mimi Pinson, sans cesse entr’ouverte à l’envolée des rires et des baisers.
On s’arrêta, on causa, on se plut. Il sut tout de suite qu’elle se nommait Lolotte et que son cœur était à louer. Elle aimait comme lui les serins, et cette qualité excellente le décida à signer un bail. Huit jours après, ce fut un ménage.
Jusque-là, le capitaine Pégrimard avait toujours ignoré l’amour. Des femmes frôlées dans ses nombreuses garnisons, il n’avait pris que ces banales jouissances, ces étreintes passagères dont le souvenir se perd aussitôt, comme les feuillets d’une lettre qu’on abandonne aux quatre vents.
Son existence était d’un vide absolu. Son seul bonheur était de confectionner deux fois par jour «un perroquet» jaunâtre qu’il lampait ensuite avec des lenteurs calculées et des claquements de langue satisfaits. Et, chaque fois, lorsqu’il ne restait plus au fond du verre que quelques dernières gouttes, il s’interrompait avant de les boire, et bougonnait gravement d’un ton funèbre de croque-mort:
–Frère, il faut mourir!
Il ne pensait jamais au lendemain. L’avenir se limitait pour lui à de noires rangées de chiffres qui s’effaçaient à la longue de l’Annuaire militaire, et son rêve unique était, avant sa retraite, d’être nommé major, de porter la grosse épaulette à graines d’épinard.....
Mais il perdit bientôt, dans les bras de Lolotte, toutes ces habitudes pacifiques et réglées. Elle le traîna partout, en laisse derrière ses pas, comme un bon vieux caniche très obéissant. Ils passaient leurs journées à la campagne, clodochant dans les bastringues de la banlieue, et mangeant tant et tant de fritures, arrosées de petit vin d’Argenteuil, que les économies du capitaine étaient réduites à deux francs cinquante, lorsque les froids commencèrent.
Le dernier quartier de la lune de miel disparut avec la dernière pièce de cent sous. Lolotte s’ennuya, fit des scènes continuelles à son pauvre diable d’amoureux. et jeta de nouveau son bonnet de rosière par-dessus les moulins.
L’amour devint pour le capitaine Pégrimard comme un boulet inflexiblement rivé à son corps; il se prit à regretter mélancoliquement le temps jadis, les flâneries insoucieuses devant son verre d’absinthe, les pipes dont la fumée tranquille montait en bleuâtres spirales vers le plafond de sa chambre. Malgré tout, il ne se sentait pas le courage de rompre avec Lolotte, de se désenlacer violemment de ses bras veloutés, dont la caresse le courbait à genoux, haletant de désir et plus humble qu’un mendiant famélique.
Et, cependant, les scènes recommençaient plus bêtes, plus hargneuses de mois en mois; il découvrait, à chaque instant, sur ses meubles, tantôt un parapluie imprudemment oublié, tantôt des lettres amoureuses, un tas de pièces à conviction qui lui prouvaient, avec toute la clarté désirable, que le public s’en donnait à cœur-joie sur ses plates-bandes. Un matin même où il était revenu au logis avant son heure accoutumée, il trouva Lolotte pâmée sur les genoux de l’ordonnance; il n’articula pas une parole, et elle l’agonisa de sottises.
Alors, l’âme vide, désolée et morose, Aristide se consola en rêvassant, comme autrefois, du quatrième galon qui allait le chasser bien loin de Paris, bien loin des Lolotte plâtrées et trompeuses, qui jonglent avec les cœurs des hommes, comme les saltimbanques avec des oranges. Et il résolut de lâcher son Ariane, sans tambour ni trompette, dès que sa nomination serait officielle.