Читать книгу Les deux femmes de Mademoiselle - René Maizeroy - Страница 24
II
ОглавлениеLe mariage eut lieu cependant vingt jours après le testament. Les bons amis se frottèrent les mains. Les indifférents s’amusèrent un quart d’heure de la comédie, puis n’y pensèrent plus. Les moralistes levèrent les bras au ciel, et les femmes plaignirent la pauvre petite mariée, qui ne comprit rien à toutes ces félicitations plus moroses que des compliments de condoléance.
Elle était ravie d’avoir enfin quitté le couvent, de ne plus voir l’horizon bouché par des murs gris derrière lesquels on devine tout un inconnu désirable et défendu. Elle se regardait dans toutes les glaces, un peu gauche encore, un peu étonnée des toilettes merveilleuses pour lesquelles Worth avait passé des nuits blanches. Il lui semblait lire ce joli conte de Perrault où Peau-d’Ane reçoit de son père amoureux des robes couleur de soleil et des manteaux couleur de lune. Et elle s’attardait avec des flâneries extasiées à essayer les bijoux de sa corbeille de noce.
Le mari malgré lui avait jeté l’argent par les fenêtres. Rivières de diamants, dormeuses, colliers ouvragés avec un art admirable, chapelets de perles, saphirs, émeraudes, topazes, ruisselaient, incendiaient les yeux de leurs reflets éblouissants. Et il espérait un peu qu’Éliane ne demanderait jamais à connaître ce que tout bon mari doit avoir déposé au fond de son corbillon. La sœur supérieure ne lui avait-elle pas répété trois fois d’une voix larmoyante:
–Elle est si innocente, si jeune pour se marier, monsieur!
Et, comme, hélas! il ne pouvait arroser lui-même ce beau lis en pleine floraison, il chercha prudemment à ne pas se laisser voler l’arrosoir par toutes les mains désirantes qui lui étaient tendues.
Il s’adressa à l’agence Tricoche et Cacolet pour ses domestiques. L’hôtel fut meublé sévèrement, ainsi qu’un hôtel de chanoinesse. Il n’acheta pas d’autres tableaux que des natures mortes, pas d’autres livres que des livres religieux, bien estampillés par NN. SS. les évêques. Jamais de théâtres, surtout de théâtricules. Jamais de bals. Des concerts de-ci, de-là. Des promenades au Bois et dans toute la banlieue d’où les chevaux revenaient à l’écurie blancs d’écume. Puis, continuellement, à propos de tout, d’un mot lancé en l’air, d’un caprice passager, des cadeaux splendides. On eût dit que le vicomte voulait établir un cordon sanitaire contre l’épidémie d’amour.
Et, deux mois après le mariage, Éliane écrivait à une de ses meilleures amies du couvent:
«Tu ne peux t’imaginer à quel point je suis heureuse… Mais le mariage n’est pas du tout, du tout, ce que tu semblais croire, quand nous en causions autrefois, tu te souviens? dans le coin gauche de la grande charmille. Je n’ai rien à t’apprendre, sur ce sujet, que tu ne saches déjà de longue date, et l’inconnu dont nous rêvassions parfois n’a jamais existé que dans nos folles cer-velles!
Mon mari me comble de surprises, et je n’ai qu’à faire un signe pour être obéie; pourtant, je me demande à quoi me servent tous ces bijoux, puisque nous ne recevons que de vieilles gens ennuyeuses et radoteuses. Ce serait si amusant de sauter un peu dans notre petit salon bleu!… mais je n’ose le demander, tu comprends?
Ma chambre est en vieille peluche vert d’eau; les fenêtres donnent sur le jardin, comme celles du dortoir au couvent… Mais, je ne sais pourquoi, mon lit est bien plus large que l’ancien; on y tiendrait à deux, je t’assure!… et j’y fais des som-meils interminables… jusqu’à dix heures! Nos courses à cheval sont si longues, que je rentre brisée! Aussi mon péché de paresse’m’est toujours pardonné par mon confesseur.
La chambre d’Ogier est à deux pas de la mienne. Je n’y entre jamais, pour ne pas le déranger, car il a maintenant des occupations fort sérieuses, paraît-il.
Tu vas trouver que je suis toujours aussi folle, mais je t’avoue tout bas que je m’ennuie bien sou-vent, et que j’ai envie de pleurer toute seule sur mes oreillers.
Quelque chose que j’ignore me manque, et le soir, quand mon mari m’embrasse sur le front, il me prend des envies désordonnées de sauter sur ses genoux, d’enlacer son cou de mes deux bras et de lui dire:–«Restez donc encore un peu! Embrassez-moi plus fort!» Hélas! je ne m’en sens le courage que lorsque sa porte est re-fermée.
Il me tarde beaucoup que tu sois mariée comme moi, pour connaître tes impressions.
Mille baisers de ta petite amie,
ÉLIANE.»