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IV

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Ce fut très long, cependant.

Le vieux mari faisait bonne garde, et le sémillant aide de camp ne lui disait de prime abord rien qui vaille. Mais Marchessy descendait par les femmes de Don Juan. Il changea son jeu peu à peu et se métamorphosa complètement.

Sa dernière maîtresse et les garçons du Grand Seize eux-mêmes ne l’eussent pas reconnu. Toujours au bureau ou à l’église, noircissant des paperasses ou égrénant des Ave, il se moula avec tant d’art dans sa nouvelle peau de converti, que le général perdit toute méfiance, ne voulut plus s’en séparer et ne cessa de dithyramber sur son compte lorsqu’il était avec Mme de la Croix-Ramillies.

Malgré cela, Marchessy n’avait encore pu rester seul avec la jeune femme que le dimanche, et seulement durant les deux pas qu’il fallait faire de l’hôtel de la division au porche de la cathédrale. Deux pauvres petits pas, mais qu’il s’ingéniait à prolonger, qu’ils marchaient au pas lent des processionnaires et où il racontait à là jolie générale des bêtises à dormir debout, qui troublaient ce cœur en pleine floraison et lui apprenaient l’inéluctable désir auquel la mère Ève et ses bonnes filles n’ont jamais résisté et ne résisteront jamais.

De parlottes en parlottes, Agnès adora son capitaine et le capitaine aima follement sa générale. Le printemps était venu en même temps que leur amour avec tous ses parfums, avec ses tentations, ses couples d’oiseaux qui se becquètent dans l’air tiédi, ses fleurs qui se tendent aux caresses des papillons, ses amoureux qui prennent la clef des champs et s’égarent le long des seigles dorés.

Hélas! ils se voyaient condamnés à endurer le supplice de Tantale, à espérer toujours le moment adorable où ils seraient enfin l’un à l’autre, où leurs lèvres assoiffées de jouissances échangeraient plus que de furtifs baisers.

Et ils se désespéraient, lorsque, huit jours avant la Fête-Dieu, Agnès découvrit le «Sésame, ouvre-toi!» qu’ils cherchaient depuis tant de mois.

Un matin, elle persuada au général qu’il allait de sa dignité d’élever un reposoir dans la cour de la division et d’y inviter toute la ville le jour de la procession épiscopale.

D’ailleurs, il n’aurait à s’occuper de rien que de prévenir monseigneur. Elle se chargeait avec M. de Marchessy de réunir toutes les fleurs, toutes les draperies et de surveiller les préparatifs.

La Croix-Ramillies fut enchanté. Il accepta le programme sans arrière-pensée, et laissa son aide de camp courir tous les après-midi en voiture avec sa femme.

Tantôt c’était à la campagne. La voiture s’arrêtait à l’ombre d’un chemin creux. Et les deux amoureux se sauvaient dans les couverts obscurs, s’attardaient dans les profondes feuillées et, brisés, palpitants de leurs fougueuses étreintes, ils revenaient, arrachant aux buissons des branches fleuries; aux blés, des bottelées d’épis, de bluets et de coquelicots.

–Les beaux bouquets! s’écriait radieusement le général en les accueillant.

–N’est-ce pas, Hector? répondait sa femme. Si vous saviez comme il nous a fallu aller loin pour les trouver!

Et les vases du reposoir se remplissaient.

Tantôt ils renvoyaient la voilure, et, après avoir ostensiblement acheté des chandeliers, des crucifix et des nappes d’autel chez les pieux marchands de la ville haute, ils se sauvaient hors des remparts, dans le premier fiacre rencontré, et Mme de la Croix-Ramillies, la petite sainte d’autrefois, baissait de sa main impatiente les stores déteints, comme n’importe quelle Madame Bovary.

Aussi le reposoir fut superbe, à la Fête-Dieu. Monseigneur bénit toute l’assistance. Les tambours battirent aux champs. Des dames chantèrent un motet de Palestrina. Le soleil s’épandit en nappes blondes sur les bouquets agrestes et sur les orfèvreries de l’autel improvisé, et au premier plan des assistants, pieusement agenouillés, la générale et son aide de camp courbèrent le front, les yeux baissés, tandis que l’ostensoir planait comme une gloire éblouissante entre les mains graves de l’évêque.

Le général en fut très ému, et quand on voulut le féliciter après la cérémonie, il s’écria avec des larmes dans la voix:

–Je n’ai rien fait, je vous jure que je n’ai rien fait. C’est ma femme et M. de Marchessy.....

Et il écrivit, le lendemain, au colonel:

«Tu m’avais calomnié ton fils, ma vieille bran-che. Il déshonore aujourd’hui par sa vertu la corporation paillarde des aides de camp, et ma femme l’a converti de si belle façon, que je ne serais nulle-ment étonné de lui voir prendre le froc, un de ces quatre matins. Pour ma part, je ne m’en consolerais pas, car je le considère aujourd’hui comme un des miens.»

–Mettez donc «nous» au lieu de ce vilain «je»! interrompit brusquement Mme de La Croix-Ramillies qui avait lu indiscrètement la lettre par-dessus l’épaule de son mari.

Les deux femmes de Mademoiselle

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