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VOYAGE DE NOCES

Table des matières

I

Le lunch étant presque terminé, tandis que ces messieurs sablaient encore le champagne dans les coupes de mousseline et toastaient à la santé des nouveaux mariés, la marquise de Lordohëc avait pris le bras de son gendre avec une mine recueillie qui sentait ses confidences risquées d’une lieue.

Villevert dissimulait mal une vague grimace et coulait des regards désespérés vers la jolie mariée, si rose, si gourmandement désirable dans sa toilette de brocart blanc qui accrochait des reflets d’argent au fouillis sombre des habits noirs.

Ils s’assirent dans un coin du petit salon que des palmiers couvraient discrètement de leurs frondaisons dentelées, et la douairière poussa lentement quelques hum! hum! assourdis....

–Je ne vous reparlerai plus de notre chère petite fille, murmura-t-elle d’une voix mouillée; vous connaissez tous vos devoirs, baron; ce ne sont plus des amours faciles de garnison aujourd’hui, et vous savez qu’il faudra couper tout doucement les ailes de ce pauvre ange.

–Je vous le promets, madame, répondit Villevert pour la centième fois depuis la veille. On coupera tout doucement!

Cependant, après avoir cherché partout son mari, la nouvelle madame s’était approchée, sur la pointe de ses mules blanches, curieuse de ce qui pouvait bien se conter dans ce coin du salon, et elle ne perdait pas une des syllabes de sa mère.

–Et surtout, mon cher, continuait la marquise, n’oublions pas, dans ce voyage classique, l’aventure des Boisamort?

–Quelle aventure?

–Vous ne lisez donc plus les journaux, monsieur Roméo? C’est que je ne sais pas comment… L’histoire se passait en coupé, sur la ligne que vous allez prendre… Les Boisamort, mariés du matin… Couple délicieux et d’un amoureux, oh! d’un amoureux à vous rendre des points. Le trajet était long, la tentation immense et le chef de train, pudique, pudique. Vous voyez les tableaux d’ici, n’est-ce pas?.. Surtout le dernier: procès-verbal pour outrage à la morale! Et vous devinez si nous en avons ri derrière nos éventails dans tout le faubourg.

–Elle est bien bonne, en effet! interrompit Villevert.

–Vous vous contiendrez, mon gendre. Me le promettez-vous?

–Je vous le pro…

La phrase sempiternelle allait revenir sur ses lèvres; mais un éclat de rire effronté, strident, la coupa brusquement en deux. Et, s’étant retourné, Villevert aperçut sa femme qui mordillait nerveusement de ses dents éblouissantes les folioles des lilas blancs de son bouquet nuptial…

II

Messieurs mes frères de la grande confrérie, avez-vous jamais découvert de volupté plus douce, plus inoubliable, plus ensorcelante, que de se trouver enfin seul avec un amour de petite mariée un peu frissonnante, un peu rougissante, dans le coupé bien clos qui vous emporte au pays des blondes lunes?

Au diable les bonshommes corrects qui se cassaient en des saluts raides à la sacristie; au diable les conseils des uns et des autres; au diable le carême famélique des fiançailles et les grands airs sérieux des jours passés! On est deux pour la première fois. Rien que deux. Les baisers chantent leur musique folle. Les bêtises murmurées très bas d’oreille à oreille deviennent d’un drôle… Mais, madame ne rougit presque plus.

On a commencé par prendre le meilleur coin, les jambes de monsieur ensevelies dans les nombreux plis de la robe claire de la voyageuse. Peu à peu, l’on se rapproche. La tête blonde laisse de ses cheveux d’or à l’épaule du voisin. Et, tout à coup, sans savoir comment, madame se trouve assise sur les genoux de monsieur…

C’est un mari qui fuit avec sa femme;

C’est une femme qui fuit avec son mari;

comme le chantait si gaminement Granier.

Pourquoi y avait-il, hélas! une ombre à cette aquarelle ensoleillée?

Pourquoi Villevert ne pouvait-il chasser de sa cervelle l’adieu quatre fois répété de sa belle-mère?

–N’oubliez-pas les Boisamort?

Aussi, plus madame devenait caressante, plus ses bras s’arrondissaient en rose guirlande autour de son cou, plus ses lèvres se tendaient implorantes, gourmandes de baisers, plus la vision du chef de train pudique dansait devant les yeux du pauvre diable.

Et, à chaque instant, il croyait apercevoir, encadrée par les macabres poteaux télégraphiques, la casquette galonnée et la face grincheuse demandant: «Billets, s’il vous plaît!»

III

Les choses allèrent bien jusqu’aux quatre premières stations.

Villevert parlait de la pluie, du beau temps. Tous les chapitres. Souvenirs d’enfance. Rêves bucoliques même en variations connues. Et pas un mot d’amour, pas une réponse surtout aux embarrassantes questions que sa petite femme posait à tout propos. Il avait eu beau acheter un tas de journaux illustrés au départ. La mignarde main de la petite femme les jetait un par un par la fenêtre entr’ouverte, et ils s’envolaient au loin, poussés par le vent comme de larges papillons blancs.

Elle s’impatientait de ne pas comprendre la métamorphose soudaine de ce bel amoureux si ardent, si fou, la veille encore du mariage. Ses sourcils d’or se fronçaient et ses talons cuivrés tambourinaient sur le tapis un rappel enfiévré.

Après la cinquième station, elle n’y tint plus et, prenant son courage à deux mains, elle enlaça son mari d’une étreinte très étroite, les yeux noyés dans ses yeux.

–Max, pleura-t-elle, tu ne m’aimes donc plus, dis?

–Je ne t’aime plus, chère adorée, se défendit Villevert. Je ne t’aime plus, moi!

Et, oubliant son rôle, oubliant tout, le voilà qui s’emballe en des aveux délirants de tendresse, en des serments infinis, qui chante une de ces litanies d’amour où montent tous les parfums, toutes les griseries, toutes les tiédeurs de l’alcôve mi-close.

Le voilà qui s’agenouille, tandis que l’enfant, perdant aussi la tête, chatouillée délicieusement par ce Cantique des cantiques, dont mille carresses incon nues rythment les strophes, s’abandonne, ne sait plus trop ce qu’elle dit et s’écrie naïvement:

–Maman avait bien raison, chéri. Que c’est bon!

–Et le dernier chapitre donc! laisse échapper involontairement Max.

–Quel dernier chapitre? dis vite… C’est que je ne sais rien, moi, mais maman m’a fait pressentir tant de choses que les petites pensionnaires ignorent, à ce qu’il paraît… Pourquoi ne le lisons-nous pas, cet adorable chapitre?

Villevert s’était mordu les lèvres et cherchait une réponse bien jésuitique. Mais le moyen quand on est entre les deux auges comme l’âne de Buridan, torturé par l’âpre désir de lire jusqu’au point final, et inquiet à la fois de ce qui va se passer, de ce qui va être le quart d’heure de Rabelais.

Il s’en tira par une bêtise.

–Tout à l’heure, chérie.

Et durant trois stations encore, il ne cessa de bougonner son tout à l’heure sur les tons les plus alléchants.

La nuit tombait. Il ne restait plus au ciel du soleil agonisant qu’une épaisse bande cuivrée qui rayait l’horizon assombri comme d’une traînée de sang. Les champs étaient muets, pâmés dans une sérénité silencieuse. Des bouvreuils attardés se becquetaient parmi les branches vertes.

–Tout à l’heure, fit Max plus languissamment.

–Tout de suite, oh! tout de suite! Je serai si heureuse! balbutia la blonde petite mariée.

Les stores furent baissés, et le dernier chapitre fut non seulement lu, mais relu et relu, comme il convient au meilleur chapitre du roman d’amour.

Les stations se succédaient. Le train s’arrêtait, marchait, s’arrêtait. Les amoureux ne s’en occupaient plus. Ils lisaient toujours à pleines lèvres, à plein cœur.

Et l’histoire ne finit pas comme elle aurait dû finir, car ils venaient à peine heureusement de refermer le livre, quand le chef de train ouvrit la porte du coupé pour contrôler les billets.

Il ne contrôla que les billets!

–Plus de chance que les Boisamort! murmura madame d’une voix triomphante, dès que la porte fut refermée.

–Comment, tu savais…?

–Mais oui, mais oui, monsieur. Maman vous a conté l’aventure–assez de fois pour que j’aie eu le temps d’écouter aux portes.

–Alors c’est pour cela, je parie…

–Uniquement pour cela! Est-ce que le fruit défendu, chéri, n’est pas meilleur que tout?…

Villevert demeura bouche béante, en entendant cette boutade mutine.

Aujourd’hui,–et il y a bien longtemps, bien longtemps que son voyage de noces est de la chronique ancienne,–il en rêvasse encore les yeux ouverts. Car il était de ceux qui écoutent religieusement la cavatine de Faust, et qui ignoreront toute leur vie que mesdemoiselles les Parisiennes sont nées sous le pommier dont notre mère Ève, hélas! croqua si jouisseusement les pommes vertes…

Les deux femmes de Mademoiselle

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