Читать книгу Les deux femmes de Mademoiselle - René Maizeroy - Страница 20
III
ОглавлениеLes dévotes ne se trompaient pas. Mme Agnès de la Croix-Ramillies en était toujours à sa première communion. Depuis huit ans, le général ne jugeait pas prudent de recommencer la cérémonie.
Les choses en étaient là quand, un jeudi, après son rapport, il reçut la visite du colonel Marchessy, un de ses plus intimes camarades d’école. Les deux vieux se sautèrent au cou. On jacassa des uns, des autres, des disparus et des parvenus. Puis, l’ami exposa les raisons de sa visite inopinée. Il possédait, pour son embêtement, un grand diable de fils, capitaine d’état-major et coureur de ruelles, faisant à Paris toutes les cent mille bêtises et les cent mille dettes connues ou inconnues; au demeurant le meilleur fils du monde. Il n’existait qu’un seul moyen d’arrêter le déraillement, c’était d’exiler le capitaine le plus loin possible du boulevard, et puisque l’ami Totor généralait à Métivy-le-sec.
–Je comprends, interrompit alors La Croix-Ramillies, tu voudrais me le coller pour aide de camp?
–Est-ce que tu refuserais? questionna Marchessy en regardant d’un œil inquiet la comique grimace du général.
–Mais non, mais non, je ne dis pas cela. Pourtant. je me demande comment. le ministre.
–Le ministre, j’ai son consentement en poche.
La Croix-Ramillies n’avait plus aucune bonne raison à alléguer. Il ne pouvait encore moins conter à son copain sa ridicule histoire et ses tribulations d’époux. Et, faisant contre fortune bon cœur, il signa séance tenante, d’un maigre paraphe, ce que lui demandait le colonel.
–On te surveillera, mon gaillard! pensait-il à part lui; et, l’âme enfiellée de cruels pressentiments, il attendit la venue de son aide de camp.
Il arriva quinze jours après, la tête basse, maudissant la province, le métier et les papas qui fourrent leur nez partout, décidé à trouver tout mal, les femmes du cru horribles et les hommes gâteux, et tellement navré qu’on eût dit le rat de la fable chassé de son fromage…
En fait de paysages, il ne comprenait que la large enfilée des boulevards avec les arbres d’un vert maladif, le roulement continu des fiacres et des omnibus, les nappes grises d’asphalte, les colonnes Morris bariolées d’affiches comme des rouleaux d’aquarelles japonaises et le perpétuel grouillement de passants, de passantes, dont les robes froufroutant des rappels d’amour très doux. Très jolis dans les tableaux, les ruelles pittoresques dont les toits en auvent se touchent, les pavés frangés d’herbes, les ciels rayés des vols blancs de pigeons, mais lui trouvait que la réalité puait et suait le spleen.
Le premier jour il parcourut à cheval toute la ville en deux heures. Le second jour, il eut la migraine. Le troisième, il commença sur une belle feuille blanche les premières phrases de sa lettre de démission. Et le quatrième, il déchira la feuille, ouvrit ses fenêtres et fredonna la polka de Farbach, ce qui était chez lui un signe absolu de contentement.
D’où venait ce changement à vue? vous le devinez.
Marchessy avait vu sa générale. Il avait causé une heure durant avec elle, avait deviné la situation de cette pauvre petite femme qui s’étiolait et désirait d’autre plaisir que de présider l’œuvre des Esquimaillons poitrinaires.
Et le siège commença, bien difficile à soutenir par l’infortuné Hector, car l’aide de camp ne devait pas tarder à avoir des intelligences dans la place.