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Tristan de Folhohëc n’avait jamais quitté les jupes noires de sa mère jusqu’à son entrée à Saint-Cyr. Ses vingt ans s’étaient passés dans un isolement sauvage au fond de la gentilhommière délabrée de ses ancêtres, dont les tours verdies de lierre dominaient l’Océan. Il avait grandi robustement en pleine nature, respirant les brises amères qui venaient du large, courant les Pardons de village, à dix lieues à la ronde, mais éternellement suivi par un long abbé maigre qui se moulait dans son ombre, le préservait des tentations et lui apprenait en même temps le latin, les mathématiques, le blason et l’histoire du Roy légitime…

Lorsque la lettre de service arriva au château, un soir, portée par un brigadier de gendarmerie, la marquise douairière de Folhohëc désolée, se raidissant dans les plis droits de sa robe de veuve, alla s’enfermer avec son fils dans la chapelle. Le crépuscule tombait. Les dernières rougeurs du soleil agonisant flottaient au travers des vitraux, et les plaies du Christ, cloué à l’autel, semblaient saigner dans cette vague clarté. La marquise avait ouvert un grand missel, et se tournant vers son fils:

–Vous partez demain pour la grande Babylone, sermonnait-elle d’un ton grave. Jurez-moi sur les saints Évangiles que vous ne succomberez pas au péché, que vous fermerez vos deux oreilles aux suggestions infâmes du démon!

Tristan jura des deux mains avec une dévote ferveur.

A l’École, sa candeur invraisemblable fit bientôt la joie de tous ses camarades de la section de cavalerie. On cita ses paroles, les questions naïves qu’il débitait timidement avec des rougeurs de fille sur les joues. Et dans les deux promotions, on ne l’appela plus que «Mademoiselle»…

On essaya de tout pour effeuiller les pétales immaculés de ce lis virginal. On le conduisit chez la mère Philippe. Il y fut très respectueux et très digne, comme dans un salon de douairières. On le grisa en cabinet particulier; il reçut des poulets aux parfums exquis et signés de ces noms devant lesquels tout Paris s’agenouille amoureusement: il en alluma sa cigarette. L’histoire s’était ébruitée dans les alcôves. Les petites femmes en jasaient dans leurs parties de bésigue chinois. Et ces blasées, qui piétinaient indolemment sur le bête troupeau des hommes, se sentaient le cœur brûlé d’un désir inéluctable pour ce grand saint-cyrien aux membres de statue, au nom sonore, qui passait au milieu d’elles sans détourner ses regards indifférents, sans attendrir la moue dédaigneuse de ses lèvres fermées et cet air ennuyé de millionnaire qui ne souhaiterait plus rien.

Tristan restait insensible. Il eût mérité l’auréole cent fois plus que saint Antoine, le digne ermite qui faillit si bien laisser croquer sa vertu par les blanches quenottes de la Reine de Saba. Il se moquait des Parisiennes comme de l’Obélisque, et, ne sachant à quoi dépenser ses vingt mille livres de rente, il achetait des collections de pigeons et de caniches, au Jardin d’Acclimatation. Il eût acheté la girafe, si la girafe avait été à vendre. Et la marquise recevait cette ménagerie au château, avec des lettres de quatre pages, qui la rassuraient un peu sur l’innocence persécutée de son rejeton.

Et «Mademoiselle» sortit de Saint-Cyr aussi immaculé qu’au jour de son baptême, intacta et virgo, comme le marmottent les enfants de chœur dans les antiennes des vêpres.

Ceux qui avaient parié le contraire perdirent honteusement leur pari.

Les deux femmes de Mademoiselle

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