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CHAPITRE VI
LA LÉGISLATION DE LA PARESSE

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Table des matières

–Vous n’avez peut-être pas, monsieur, une idée bien nette des fonctions dont m’a investi la confiance du gouvernement?

«Le poste d’Inspecteur de la paresse n’est pas très-ancien, en effet, parmi nos charges publiques. Il ne remonte guère au delà des premières années du siècle précédent; et cependant, monsieur, je puis dire sans orgueil que mes foncrions sont, dans toute la force du terme, la clef de voûte de l’édifice social.»

Je prie ici le lecteur de vouloir bien excuser l’outrecuidance de ce langage auquel ne l’ont point habitué les fonctionnaires de notre pays. Chacun sait avec quelle modestie ceux qui occupent des charges publiques dans nos civilisations actuelles réduisent à leur juste valeur l’importance qui peut leur être attribuée. Dans le pays des Chimères, il en va tout autrement. Il n’est si mince employé qui ne se figure être, à lui seul, la cheville ouvrière de tout le système. Il s’imagine, de la meilleure foi du monde, que, sans lui, rien ne saurait marcher. C’est sur sa tête et sur la capacité de son esprit que lui paraissent reposer l’ordre, la sécurité et la paix de son pays.

Il ne faut donc pas trop en vouloir à notre inspecteur, s’il se montrait ainsi pénétré de ses fonctions jusqu’à en perdre de vue le reste de l’Etat. Il est devenu dans la suite un de nos meilleurs amis; et je serais fâché, je l’avoue, qu’on se le représentât, sur ce premier échantillon de son entretien, comme un personnage vaniteux et ridicule.

Il s’appelait Pigrophile, c’est-à-dire, d’après l’étymologie des mots, ami de la paresse.

C’est la coutume des deux Chimériques, que chacun y porte invariablement le nom de la fonction dont il est revêtu.

Il m’expliqua, en fort bons termes et avec l’aplomb d’un véritable économiste, les grands principes qui président, dans le pays des Chimères, à la parfaite égalisation du travail. Je résume en peu de mots les développements qu’il ne m’épargna pas, et les digressions dont, en bon administrateur, il eut soin de les embrouiller.

C’est, du reste, dans ce pays-là, une coutume invariable des gens véritablement instruits. Cette tendance volontaire aux obscurités et aux complications est un des signes particuliers auxquels on y reconnaît et l’on y mesure les savants.

Pour moi, simple mortel, réduit par la faiblesse de mes connaissances à un invincible besoin de la clarté, satisfaction des intelligences médiocres, voici ce que je compris dans son discours. Il me paraît de nature à rectifier la plupart de nos idées sur le travail.

Mon voyage au pays des chimères

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