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CHAPITRE XVII
LA MORALE DE L’ÉDUCATION PRIMAIRE

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Table des matières

Je demande une seconde fois pardon au lecteur de ce que je viens d’écrire. Je vois bien que mon sincère désir de reproduire avec une exactitude trop scrupuleuse les raisonnements du comte de Bornéo m’entraîne à répéter des paroles qui ne traduisent pas ma pensée. J’ai l’air de m’en faire l’apologiste lorsque je n’en suis que le rapporteur.

N’oubliez donc pas, je vous prie, que celui qui s’adresse à vous en ce moment, c’est le comte Agénor en personne. Je ne puis vraiment pas venir à bout de distinguer comme lui, lorsque–tout mon être se révolte et résiste, entre la vérité de fait et la vérité de raisonnement. Il répète toujours qu’étant donnés les principes de l’égalité, la vraie force de l’esprit serait d’aller jusqu’au bout et d’imiter en tous points les habitants de la Chimérique.

«Vous comprenez également très-bien,» me dit le comte de Bornéo, «combien il importe aux citoyens d’Egalicité de détruire les principes de la morale et surtout de leur ôter toute espèce de caractère ou d’appui religieux. Un homme qui adore Dieu en esprit et en vérité, qui se sou-met sans murmure à sa volonté et le remercie avec autant d’effusion de ses épreuves que de ses faveurs, est un homme bien particulièrement dangereux dans une république égalitaire. Elle ne saurait s’accommoder de la sainteté pas plus que de la fortune. Jugez donc, mon cher ami, de l’avantage, de la supériorité qu’assurent cette possession de soi-même, ce détachement des choses périssables, cette disposition sublime à prendre l’intérêt des autres avant le sien. Que deviendrait, avec la liberté de la vertu et de la piété, tout le reste des hommes? Comment les autres citoyens d’Egalicité pourraient-ils entrer en lutte et soutenir la comparaison? Aussi l’histoire de la Chimérique, dont je me suis déjà un peu occupé,» ajouta modestement le comte, avec un demi-sourire de satisfaction, «l’histoire de la Chimérique nous apprend-elle que le premier effort et la première victoire des vrais républicains égalitaires furent d’abord de détruire et d’extirper par tous les moyens possibles les pratiques et les croyances de la religion, afin de se délivrer de la concurrence insupportable de la vertu.

«Comment voulez-vous, Francis, qu’on puisse faire marcher de pair, dans la considération publique, cet homme de bien, entièrement voué au service désintéressé de ceux qu’il appelle ses frères, et cet ambitieux qui travaille à exploiter jusqu’à ses proches? Il faut absolument, si l’on veut obtenir un peu de régularité dans un Etat, supprimer cette culture supérieure, vu qu’elle est par sa nature même destinée à rester un fait exceptionnel. Il vaut bien mieux ramener les âmes au niveau plus sûr et surtout plus commode de l’égoïsme et de la mollesse, et pour cela écarter la religion qui provoque et qui soutient ces héroïsmes.

Les politiques d’Egalicité qui travaillaient à la révolution de l’uniformité, ont eu ici une idée de génie. Ils ont bien compris qu’en face des vieux préjugés et d’une certaine habitude de louer la vertu malgré ce qu’elle avait d’attentatoire au véritable ordre social, ils risquaient de ne point réussir en prenant les choses par le côté moral. On a beau avoir raison en principe et sentir à sa disposition les arguments les plus péremptoires pour renoncer au vieil attirail des vertus et de la valeur personnelles, il n’en est pas moins resté longtemps encore, à Egalicité, même après les bienfaits de la réforme sociale, je ne sais quel ressouvenir ou plutôt quelle faiblesse insensée pour ces actes aristocratiques de dévouement et de sacrifice.

Voici comment les politiques de la révolution uniforme ont tourné la difficulté.»

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