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CHAPITRE XIV
LE MÉCANISME DE LA LOTERIE DES FEMMES
ОглавлениеIci je commis encore une de ces imprudences auxquelles me rendaient perpétuellement sujet mon désir de m’instruire et mon impatience de savoir.
–«Qu’est-ce donc,» me hâtai-je de demander à l’employé principal, que cette machine? et qu’a de commun cet appareil de loterie avec les mariages dont vous avez la surveillance?»
L’employé que je me permettais d’interpeller avec un si étrange sans-façon et par un si dangereux aveu de mon ignorance, me regarda d’un air ébahi. Visiblement, il en était à se demander avec une certaine inquiétude quel pouvait bien être l’individu qu’il avait devant les yeux.
L’aplomb du comte de Bornéo sauva tout.
–«Excusez mon pauvre ami,» dit-il tout bas à l’employé des mariages; «c’est un malheureux, sorti tout récemment de l’hospice des poëtes. Il y est resté enfermé dès sa première jeunesse, et les premiers éléments de nos lois lui sont encore in-connus.»
«Ne voyez-vous pas bien, Francis,» ajouta-t-il en se tournant de mon côté, que chacune de ces roues contient des numéros et que ces numéros sont répétés sur les registres que voici.»
–«Sans doute, monsieur,» continua l’employé qui suivait sans s’en douter l’impulsion donnée, «et vous pouvez lire, en face de chaque chiffre, l’indication sommaire, mais exacte, des avantages et des inconvénients afférents au mariage dont le sort vient de vous pourvoir.»
–«Le sort!» m’écriai-je involontairement, le sort!»
–«Eh bien! oui, le sort!» reprit l’employé avec une sévérité majestueuse. Monsieur serait-il, par hasard, de cette ancienne secte qui prétendait soutenir la liberté du choix et l’usage de la réflexion? Donnerait-il encore dans cette utopie, ou plutôt dans cette injustice de viser à je ne sais quelle union et quel assortiment inique des situations et des caractères? N’est-il pas trop visible qu’avec une pareille licence vous reconstituez du même coup les races aristocratiques, ou, sans aller si loin, que vous donnez carrière à toutes ces antiques considérations tirées de la vertu, du mérite et autres clauses abusives faites pour détruire la véritable égalité. Pour moi, monsieur, » ajouta-t-il en se tournant du côté d’Agénor qu’il reconnaissait pour l’homme sensé et politique, à l’imperturbable approbation de son attitude, je trouve que le hasard laisse encore trop de place et trop de chances à la rencontre fortuite des qualités et des avantages matériels. Il n’est pas encore impossible, dans ces combinaisons dues au caprice de la fortune, de voir deux personnes apporter dans une union des harmonies de situation et de caractère qui ressemblent d’assez près aux fatales combinaisons de la prévoyance. Je suis pour le progrès, monsieur. J’adopte pleinement les belles théories de nos sociétés d’économie politique les plus avancées. Je voudrais perpétuellement allier, pour réparer les iniquités de la vertu et de la fortune, les riches avec les pauvres, les méchants avec les bons, les derniers avec les premiers.. En un mot, je voudrais étendre au mariage les principes que notre dernière Révolution a fait si glorieusement triompher dans l’éducation de l’enfance.»