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CHAPITRE IV
L’ADMINISTRATION DES VÊTEMENTS

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Table des matières

On ne s’étonne plus des vastes développements qu’offre aux regards du voyageur l’édifice consacré à l’administration des habits et redingotes, lorsqu’on se donne la peine de le parcourir en détail, comme nous l’avons fait, mon ami de Bornéo et moi.

L’administration des habits et redingotes n’est qu’une des branches du grand ministère des vêtements pour hommes et pour femmes, ministère qui comporte autant de subdivisions que le costume de pièces essentielles. Le principe fondamental de la Chimérique Haute et Basse est que l’Etat est tenu de fournir à chaque particulier tout ce dont il a besoin, sans lui laisser ni la liberté de le choisir ni le souci de se le procurer.

Il en résulte cette conséquence admirable qu’il ne saurait plus y avoir, dans tout l’ordre social, absolument rien d’imprévu. Tout se trouve réglé d’avance avec une précision, une rigueur, une invariabilité, qui ne laissent aucune place ni aux manifestations ni aux désirs individuels.

On ne voit plus dès lors, à Egalicité, aucune de ces luttes qui portent les hommes à accroître leurs richesses par le travail, afin d’augmenter par un surcroît de bien-être leurs jouissances égoïstes. Il ne faut pas songer, dans l’heureux pays des Chimères, à un bijou, un meuble, un nœud de ruban, en dehors de ceux que la loi impose et que l’administration fournit. Les repas eux-mêmes sont réglés comme les impôts; et les citoyens sont astreints, chaque jour, aux ragoûts indiqués, comme les marchands à la monnaie et au prix reconnus.

Grâce à cette prévoyance du législateur, les Egalicitois se trouvent débarrassés du même coup de tous les motifs qui peuvent développer dans quelques natures plus énergiques et plus ambitieuses un travail dont les effets deviendraient désastreux pour l’égalité absolue.

«D’où viennent,» nous disent avec raison les habitants de la Chimérique, «d’où viennent ces inégalités de fortune, qui finissent, dans les autres formes de civilisation, par classer les citoyens suivant la hiérarchie de leurs richesses? N’est-il pas trop évident que les gens les mieux doués, les ouvriers les plus intelligents, les plus actifs, les plus économes, profitent lâchement de leur capacité ou de leur vertu, pour travailler avec plus de fruit et de succès que les autres? Secondés par des principes moraux plus fermes, une conscience plus délicate, une envie aristocratique de faire leur devoir, ils sont tout disposés à économiser d’autant plus qu’ils gagnent .davantage. Ils prennent ainsi en main le gouvernement de leur propre vie, comme si chaque homme était libre de se conduire à son gré! Le jour où il leur plaît ensuite de renoncer à leur travail, il se trouve que, maîtres d’un capital considérable, ils peuvent, à leur gré, se donner les douceurs du repos, augmenter autour d’eux le bien-être, le confortable, le luxe même; et tous ceux qui, moins prévoyants ou moins courageux, n’ont pas su faire à temps les mêmes sacrifices, tous ceux qui se sont abandonnés aux doux instincts du plaisir et de la paresse, se trouvent ensuite dans une position inférieure.»

Toutes les fois que j’entendais tenir devant moi de pareils discours, je me gardais de rien répondre et surtout d’avouer que cette liberté dont on disait tant de mal, était précisément ce que j’avais vu pratiquer toute ma vie, non-seulement en France et en Europe, mais dans tous les pays du monde connu. Les habitants de la Chimérique ont changé tout cela; et c’est à eux que l’on doit l’institution si logique et si efficace des Inspecteurs de la paresse.

Mon voyage au pays des chimères

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