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CHAPITRE XX
M’EXPLIQUE AVEC LE COMTE DE BORNÉO

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Table des matières

Il me semblait, depuis un mois que nous habitions Égalicité, que je n’étais plus le même homme. Il fait beau sourire de ce que je raconte, lorsqu’on se sent tranquille au coin de son feu et raffermi contre de pareilles hallucinations par un ordre de choses tout différent. Pour moi, bien que je ne m’avise pas de me regarder comme un esprit plus faible et moins résistant que les autres, je suis obligé d’avouer qu’il me fallait livrer des luttes intérieures pour n’être pas désarçonné par l’étrangeté de ce spectacle. Je sentais le sol trembler sous moi, comme il m’est arrivé une fois en ma vie, en assistant à la dernière éruption du Vésuve. J’étais obligé de me tenir des raisonnements et de me cramponner au bon sens. J’étais comme l’homme qui continue le rêve dans un demi-sommeil, et qui a besoin de se rappeler à lui-même la différence du songe et de la réalité.

Ce qui contribuait beaucoup, je pense, à augmenter cette perplexité, c’était le singulier langage et l’indéfinissable attitude de mon ami le comte Agénor. Cette vive et lumineuse intelligence avait quelque chose de si souple, de si spontané, de si complaisant, qu’on en était toujours à se demander si ses exposés étaient un panégyrique ou une réfutation par l’absurde.

Disons tout: j’éprouvais contre le comte de Bornéo ce secret dépit d’une âme inférieure qui se sent dépassée. Il y avait tant de portée et de profondeur dans ses pensées, que je n’étais jamais sûr d’aller jusqu’au bout. Je comprenais chaque chose en détail, mais l’ensemble m’échappait. J’étais comme un myope qui s’approcherait successivement de toutes les parties d’une fresque, sans pouvoir saisir l’ordonnance trop vaste de la composition.

Agénor eut pitié de moi. Quittant tout à coup le ton badin dont il avait l’habitude dans nos conversations, il m’adressa ces graves paroles:

«J’estime, Francis, que le pays des Chimères, si différent en apparence de notre propre pays, n’est peut-être pas très-loin, sinon de ce que nous sommes, au moins de ce qu’on veut nous rendre. La grande force des utopistes, mon cher Francis, consiste dans l’art avec lequel ils nous font prendre le change et parviennent à nous en-dormir. Tandis que leur prétention se réduit, suivant eux, à nous faire accepter leurs idées, leur véritable but est de renouveler à leur profit la face du monde social. Leurs dupes seraient trop averties et trop épouvantées, s’il leur était donné de voir la moindre partie de ce que ces doctrines préparent. Voilà pourquoi j’aime votre indignation et votre révolté. Vous avez ici sous les yeux la leçon des faits, et ces faits ne sont que l’application exacte des doctrines qu’on nous préche en France. Jusqu’ici le hasard seul nous a mis en présence de ce que nous avons vu, et nous nous sommes contentés de ce qu’il nous a été donné de rencontrer sur notre chemin. Si vous m’en croyez, la constitution politique du pays des Chimères n’est pas moins curieuse que le reste. Nous irons cette fois l’étudier, de parti pris, à Vaganopolis, le siége du gouvernement central. Nous aurons même la bonne fortune d’assister à l’élection d’un mandataire. Nous verrons fonctionner ici le suffrage universel, perfectionné par le procédé égalitaire.»

Mon séjour à Vaganopulis fait partie du livre second.

Mon voyage au pays des chimères

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