Читать книгу Globalización y digitalización del mercado de trabajo: propuestas para un empleo sostenible y decente - Lourdes Mella Méndez - Страница 35
Capítulo IV L’impératif de protection du travailleur mondialise
ОглавлениеChristophe Tran
Membre associé de l’IODE, UMR CNRS 6262, docteur en droit, certificat d’aptitude à la profession d’avocat (France)1
SOMMAIRE: I. LA PROMOTION D’UN ORDRE PUBLIC SOCIAL DE PROTECTION MONDIAL A L’AUNE DU TRAVAIL MONDIALISE. 1. L’ordre public social de protection mondialisé à l’épreuve des frontières étatiques. 1.1. La barrière de l’ordre juridique statocentré face à l’idée d’ordre public social de protection mondialisé. 1.2. Le dépassement du cadre national de protection par le dénominateur commun social. 2. L’inspiration supranationale de l’Union pour un ordre public social de protection mondialisé. 2.1. L’idée d’un ordre public social de protection à l’échelle de l’Union. 2.2. La réalité du socle européen de droits sociaux. II. LE DÉVELOPPEMENT D’UN INSTRUMENT DE SOLIDARITÉ SOCIALE A L’ÉCHELLE MONDIALE. 1. L’internormativité, source de solidarité sociale mondialisée. 1.1. La tentative de dépassement de la clause sociale pour fixer les règles du jeu sociales internationales. 1.2. Les normes techniques au service de la responsabilité sociale des entreprises. 2. Le développement du numérique au service de la solidarité sociale mondialisée. 2.1. Les entreprises numériques au service de la solidarité sociale mondialisée. 2.2. Le réseau social de travailleurs mondialisés ouvrant droit à protection sociale. III. CONCLUSIONS. IV. BIBLIOGRAPHIE.
Résumé: L’isolement juridique du travailleur non qualifié dans l’économie mondialisée mérite la promotion d’un ordre public social de protection à l’échelle mondiale. Ce mode de protection institutionnel se heurte certes aux frontières des ordres juridiques hétérogènes statocentrés, mais peut s’inspirer de l’ordre juridique supranational de l’Union européenne pour imaginer sa faisabilité. À défaut, une approche plus pragmatique, combinant internormativité et nouvelles technologies, permettrait d’envisager le développement d’un mécanisme de solidarité sociale à l’échelle mondiale.
Mots-clés: régulation sociale du libre-échange; ordre public social de protection mondial; solidarité sociale mondialisée; tâcheron numérique; rééquilibrage des termes de l’échange.
1. L’évolution du facteur “travail” au rythme de la mondialisation –Le facteur travail a évolué au diapason de la mondialisation2, mouvement planétaire de libéralisation des échanges commerciaux, économiques et financiers3. Ce phénomène a notamment eu pour corollaire le travail mondialisé4, dont nous limiterons ici la définition à tout type de travail réalisé individuellement à l’échelle mondiale, indépendamment de la nature juridique du lien avec le donneur d’ordres.
2. La dissolution de la relation de travail mondialisé dans le marché –Le développement de l’économie numérique– la “nouvelle économie” –a ainsi vu le travail se diviser en d’infimes tâches réparties dans le monde par le truchement d’internet et d’entreprises ou de plateformes numériques transnationales5, conduisant à l’atomisation et à la précarisation de la relation individuelle de travail. Il en fut par exemple ainsi pour ce qu’il est convenu d’appeler les “tâcherons6 numériques”, libérés des champs de certains pays7 en voie de développement mais devenus prisonniers des écrans, à la merci des appels d’offres de nanotâches à bas coû8 proposés par les plateformes numériques9. Dans le même sens, l’essor des microentreprises de subsistance comparables au modèle de l’autoentrepreneur en France, basées sur une relation contractuelle unique de nature commerciale, répond au modèle économique du travail en ligne. Sur le plan industriel, la double polarisation10 des travailleurs, à la fois géographique et technique, s’est accentuée par la mondialisation, tendant à localiser la main-d’œuvre non qualifiée11 dans les territoires où la norme juridique est la moins contraignante, donc la moins protectrice pour les travailleurs lorsqu’ils évoluent dans l’économie formelle12. Il en résulte une disparition des relations collectives de travail13 à l’endroit des personnes qui nécessitent le plus une protection dans le sens d’un rééquilibrage des termes de l’échange, qu’il s’agisse de la rémunération, de la sécurité sociale, de l’assurance-chômage. Dans ce contexte de travail mondialisé, l’individualisation voire l’isolation de la relation de travail combinée à la division maximale des tâches de travail ne permettent manifestement pas de considérer le travail comme un mode d’épanouissement personnel au service de la société mais plutôt comme un mode de subsistance impersonnel en marge de la société.
3. La recherche de protection du travailleur mondialisé –Cette étude souhaite ainsi passer de l’objet de droit– le travail mondialisé –au sujet de droit– le travailleur mondialisé, portion congrue de la chaîne de valeurs patrimoniales14 de la mondialisation guidée essentiellement par le développement économique de ses opérateurs: les entreprises mondialisées. L’impératif de profit guidant l’économie mondiale de marché dépasse ainsi l’ordre public social de protection susceptible de s’exercer au seul niveau national d’un État-providence15 cherchant, dans l’intérêt général, le rééquilibre des droits sociaux au bénéfice de la partie faible dans le déséquilibre des forces économiques. L’angle de régulation sociale ne doit pas être accessoire ou subordonné au fonctionnement du marché mondial, mais plutôt fondé sur le besoin de solidarité sociale16 à l’échelle mondiale pour le bien commun. Un impératif de protection du travailleur mondialisé émerge alors face à l’ampleur et la teneur des risques inhérents au travail mondialisé. Le Droit dispose-t-il de principes et d’outils à l’échelle mondiale susceptibles d’assurer une meilleure protection des travailleurs? Un mode de protection du travail mondialisé sur le plan institutionnel ou matériel est-il envisageable? L’Union européenne, affirmant œuvrer pour le développement durable notamment fondé sur “une économie sociale de marché hautement compétitive17”, peut-elle apporter les ressorts théoriques d’un mode de protection du travail mondialisé par son essence supranationale? L’économie numérique, bien que porteuse d’externalités négatives18 pour les travailleurs non qualifiés, peut-elle contribuer à un mécanisme de solidarité mondialisé?
Répondre à ces questions de manière structurée nécessite d’envisager, selon une approche téléologique, la promotion d’un ordre public social de protection mondial à l’aune du travail mondialisé (I). Il s’agira ensuite d’imaginer, selon une approche plus pragmatique, le développement d’un instrument de solidarité sociale à l’échelle mondiale (II).