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LA VIE DES BÊTES

Table des matières

Un malheureux caniche, couvert de sang et de boue, effrayé par les cris d’enfants cruels, les oreilles déchirées, le poil arraché par touffes, et traînant à sa queue un énorme poêlon, bondissait au milieu d’un cercle de bourreaux, les regardant de son grand œil bleu mouillé de pleurs et poussant des hurlements plaintifs. On eût dit qu’un sentiment autre que celui de la douleur causée par ses propres blessures, lui arrachait des plaintes presque humaines. A défaut de la parole qui lui manquait, il avait dans l’expression de ses yeux, dans l’appel de ses aboiements, une angoisse intraduisible.

Les enfants riaient, criaient, l’entouraient d’un cercle infranchissable. A chaque bond que faisait pour s’échapper le malheureux chien, le lourd poêlon attaché à sa queue retombait sur le sol avec un bruit de ferraille, et le caniche, convaincu enfin de l’inutilité de ses efforts, se coucha sur le sol, comme s’il attendait le coup de grâce.

En ce moment des coudes robustes écartèrent les enfants du village, et Robert se trouva subitement au premier rang des curieux. Aussitôt, se penchant vers le chien, il coupa avec son couteau les cordes retenant le poêlon.

–De quoi se mêle-t-il, celui-là? demandèrent les plus méchants de la bande.

–Je vous empêche de commettre une mauvaise action.

–En nous amusant avec un chien?

–Vous appelez cela vous amuser! mais vous torturez, vous tuez cette misérable bête!

–Qu’est-ce que cela te fait? demanda l’aîné des garnements.

–Beaucoup, répliqua résolûment Robert; vous avez volé ce chien à un pauvre aveugle, et j’entends le lui rendre...

–Toi?

–Moi!

–Et de quel droit?

–Du droit que l’on a de venir en aide à celui qui souffre.

–Tu n’es pas du village, répondit le grand Mathurin, et nous ne te permettrons pas de te mêler de nos affaires.

–Il n’y a ni villages ni bourgs qui tiennent, repartit Robert; nous sommes deux enfants en face l’un de l’autre. tu fais le mal, et j’ai résolu de t’en empêcher.

–Faudrait voir çà! fit Mathurin.

–Çà sera d’autant moins long, ajouta Robert, que tu es lâche!

–Moi, lâche! cria Mathurin; répète voir...

–Je dis lâche! dit Robert et je ne retire pas le mot... On est toujours lâche quand on s’attaque à plus faible que soi... Si ce mot te blesse, prouve-moi que je me suis trompé, en me rendant Brisque; je le ramènerai à son maître...

–Te l’abandonner! non pas; te le vendre.

–Combien?

,–Le chien appartiendra à celui qui tombera l’autre.

Robert resta un moment silencieux.

–Tu recules? demanda Mathurin d’un air railleur.

–Je n’aime point les batailles, dit gravement le.fils de Jeanne, et il me répugne d’agir comme un tapageur; ’mais la vie de Brisque est à ce prix, mets bas ta veste, et que le bon Dieu me soit en aide.

Mathurin fut bientôt en bras de chemise; Robert releva ses manches jusqu’à l’épaule: les deux lutteurs se saisirent, et chacun d’eux essaya de renverser son adversaire.

Mathurin était un robuste garçon de quatorze ans. Robert en comptait douze à peine; sa taille paraissait chétive, mais la pensée de rendre service décuplait ses forces. Soutenu par l’idée de rapporter le caniche à Martin, il opposa à Mathurin une résistance à laquelle celui-ci était loin de s’attendre. Robert, plus souple, se montrait plus adroit; il profitait des fautes de Mathurin.

Le grand garçon, aveuglé par la colère, s’exposait à des revanches terribles. Robert commençait à se fatiguer, et déjà ceux qui pariaient pour lui doutaient de sa fortune, quand un aboiement de Brisque ranima son energie; d’un mouvement brusque il enlaça la jambe de Mathurin qui tomba lourdement sur le dos, tandis que le fils de Jeanne lui appuyait un genou sur la poitrine. Un cri de rage s’échappa de la bouche de Mathurin, et, entraîné par sa méchanceté, il mordit cruellement Robert.

–Traître! fit celui-ci; je pourrais me venger, car ce que tu viens de faire n’est pas de franc jeu. Je me contente de répéter devant tous tes camarades, en leur montrant ma main déchirée: Tu es un lâche! lâche d’avoir volé le guide d’un aveugle! lâche d’avoir martyrisé une bête inoffensive! lâche de ne pas être resté dans les conditions de la bataille!

Puis se tournant vers les autres enfants, et secouant ses doigts sanglants:

–L’approuvez-vous? demanda-t-il.

–Non! non! répondirent vingt voix.

–Cela me suffit, dit Robert; il peut se relever. J’ai gagné le chien, et je l’emmène.

Robert se releva, laissant libre Mathurin rouge de honte, furieux de sa défaite, et plus encore de la façon dont ses camarades l’avaient renié.

Les enfants ont naturellement le cœur droit. Ils peuvent un moment se laisser entraîner à mal faire, mais dès qu’on leur montre la vérité, la droiture, ils se rangent tout de suite du côté du bien. Cela est si vrai que la bande des petits bourreaux entoura Robert, lui aidant à laver sous le robinet de la fontaine la boue et le sang qui souillaient le caniche.

Quand l’animal, soulagé par ces premiers soins et revenu de ses terreurs, grâce aux caresses de Robert, tourna vers l’enfant ses yeux remplis de gratitude, le fils de Jeanne le saisit dans ses bras et reprit sa course vers l’entrée du village, où Martin anxieux l’attendait avec Jean et Cri-cri.

Les robinsons de Paris

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