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V
TROIS BREBIS TONDUES

Table des matières

Robert vint se placer debout près du lit de sa mère, qui lui dit en passant la main dans ses cheveux noirs:

–Ecoute-moi comme si, au lieu d’être un enfant, tu étais un homme chargé de pourvoir aux besoins de tes frères... J’ai décidé que vous me quitteriez tous les trois pour un temps, et que vous iriez chez votre oncle... Il vous enseignera le commerce ou il vous mettera en apprentissage, de telle sorte que vous pourrez plus tard exercer un bon métier... Paris est bien grand, mes chers petits, c’est quasiment une ruche immense, avec des maisons plus serrées que les alvéoles d’un palais d’avettes, et des dessous plus curieux que les galeries d’une taupinière... On assure qu’il s’y trouve grand nombre de fainéants et de mauvais sujets, mais on peut bien se conduire partout avec le respect de soi et la foi en Dieu...

–Mère, dit Robert en fondant en larmes, pourquoi veux-tu nous renvoyer de la maison?

–Cette séparation est nécessaire, mon cher enfant... Je suis malade; vous approchez de l’âge où l’on doit se mettre un état au bout des doigts... Non-seulement tu te résigneras, si tu m’aimes, mais tu m’aideras à consoler tes frères... Promets-tu de m’obéir?

Tes père et mère honoreras, dit doucement Robert en regardant l’abbé Trumelle; si ma mère touve que l’heure est venue de mettre en pratique le précepte que vous m’avez enseigné, monsieur le curé, je lui prouverai mon respect par ma soumission.

–Bien, mon enfant! dit le vieux prêtre.

Robert-ajouta timidement:

–Où irons-nous?

–Chez ton oncle, répondit Jeanne.

–A Paris! s’écria Jean avec un étonnement mêlé de stupeur. Il semblait aux deux petits que, pour aller jusqu’à Paris, il fallait traverser des forêts remplies de loups au poil rouge et aux prunelles de feu, braver des dangers sans nombre, et courir le risque d’être jeté pêlemêle dans la grande hotte au fond de laquelle le géant Croque-Mitaine entasse les petits enfants qui ne ferment pas les yeux assez vite le soir, maraudent dans les vergers voisins, et commettent toutes sortes de méfaits.

Robert ne croyait plus au géant Croque-Mitaine ni à l’homme au sable, mais il était sûr qu’il existait des loups, parce qu’un jour son père lui avait montré, au sortir du bois, une grande bête efflanquée, au poil hérissé, aux oreilles pointues, aux dents longues, espacées, aiguës, et que ce loup avait enlevé un des agneaux du berger Janron.

Aller à Paris, pour Robert et ses frères, c’était affronter des périls d’autant plus grands qu’ils restaient moins définis, et s’offrir, pauvres brebis tondues, à tous les vents froids de l’hiver.

Une secrète terreur s’empara de l’âme des trois enfants. Ils se rapprochèrent du lit de Jeanne; tandis que Jean tremblait d’émotion contenue, des larmes montaient aux yeux de Cri-cri, et Robert contemplait sa mère avec une attention inquiète. Il crut saisir dans son regard une prière mêlée d’angoisse, et, comprenant qu’il était de son devoir d’entrer tout de suite dans son rôle de chef de famille, il pressa la main de sa mère sur ses lèvres et lui demanda d’une voix courageuse:

–Quand devons-nous partir?

–Demain, répondit Jeanne.

Le curé prit deux grosses pièces de cinq francs et les glissa dans la main de Robert, en lui disant avec bonté:

–Voilà pour le voyage.

Vers le milieu de la journée, Jean, Robert et Cri-cri allèrent dans les maisons du voisinage où ils comptaient des amis. Chaque fermière leur donna quelques sous de son épargne. On remplit leur bissac de pain, de lard, de pommes rouges, de noix de la dernière gaulée; puis on les embrassa, en leur souhaitant tout le bonheur que Dieu réserve aux enfants honnêtes et laborieux.

Quand ils rentrèrent dans la cabane, ils trouvèrent Jeanne assise sur son lit:

–Robert, dit-elle, récite la prière du soir avec-tes frères, aide-les à se déshabiller, borde leurs lits comme j’avais coutume de le faire moi-même, et ce que tu vas faire sous mes yeux, continue-le chaque jour à Paris pour l’amour de moi.

Quand ses frères dormirent, Robert s’approcha du lit de Jeanne.

–Agenouille-toi, lui dit-elle, je veux te bénir pour ce monde et pour l’autre...

Robert sentit à la fois tomber sur son front une larme et une caresse.

Le lendemain matin, il se leva avant le jour, rangea le ménage, éveilla Jean et Cri-cri, et quand tous trois eurent pris en commun leur dernier repas, Jeanne remit à Robert la lettre écrite sous sa dictée par l’abbé Trumelle, et lui dit:

–Porte cette lettre à ton oncle, et ne m’oublie jamais, jamais...

–Quand reviendrons-nous? demanda l’enfant.

–Je t’écrirai, répondit Jeanne.

Une étreinte, un baiser, des sanglots contenus avec peine, et ce fut tout...

Les trois enfants quittèrent la cabane de Jeanne, traversèrent le village, envoyant des signes d’adieu aux voisins debout sur leurs portes, et une heure après, les trois brebis tondues, à qui Dieu dans sa providence devait mesurer le vent et l’orage, se trouvèrent sur la route de Paris.

Les robinsons de Paris

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