Читать книгу Les robinsons de Paris - Raoul de Navery - Страница 22

Оглавление

XX
LES SOUCIS DES AUTRES

Table des matières

Le jeune garçon qui venait d’accueillir avec tant de bienveillance les enfants de Jeanne égarés dans Paris, tourna longtemps sur l’oreiller sa jeune tête songeuse. Depuis que ces orphelins se trouvaient sous son toit, il lui semblait qu’il leur devait tendresse et protection. Une fraternité spontanée, cette fraternité des pauvres si douce à ceux qui l’exercent et à ceux qui en ressentent les bienfaits, rapprochait ces êtres presque également jeunes et éprouvés. Marcel Langlais comptait presque seize ans; l’exercice avait développé ses membres; une conduite régulière laissait sur son visage l’empreinte d’une bonne conscience, qui est ce qu’on pourrait appeler la santé de l’âme. Rien de mauvais ne germait dans ce cœur naïf. Marcel avait assez connu sa mère pour profiter de ses leçons de vertu, de patience; assez souffert pour compatir aux doulours d’autrui. Son âme s’était attendrie au contact de cette sainte femme. Les soucis personnels, loin de le rendre égoïste, le disposaient à la pitié. Aussi Marcel s’endormit tard et retrouva dans ses veilles les. préoccupations de la soirée.

Il lui semblait que des anges planaient au-dessus de la couche de Robert, de Jean et de Cri-cri, et qu’ils l’invitaient à adopter les orphelins.

Il se réveilla le premier.

Les trois enfants dormaient les poings sur les yeux, harassés par une marche de plusieurs semaines. Les arracher à ce repos eût paru cruel à Marcel. D’ailleurs –qu’allait-il faire? que pouvait-il leur dire? Leur jetterait-il brutalement ces mots:

«Vous avez dormi sous mon toit, allez maintenant au hasard, dans tes rues où vous vous égarerez de nouveau, vers ces grandes routes que vous venez de parcourir et qui ont troué vos misérables sabots!» Non. Marcel ne se sentit point ce courage, ou plutôt cette cruauté. Lui qu aimait passionnément dans sa petite chambre l’ordre etl’arrangement, regarda avec un sourire le matelas étendu à terre et sur ce matelas Jean, Robert et Cri-cri.

Il se pencha vers ce dernier, effleura doucement les boucles blondes que Jeanne couvrit si souvent de baisers, puis il s’habilla lestement, sortit à pas de loup, et, faisant quelques pas sur le carré, il frappa doucement à la porte voisine.

–Entrez! dit une voix cassée.

Marcel montra par l’entrebaillement de la porte son visage plus préoccupé que l’habitude.

–Et bien! mon brave enfant, lui demanda une bonne vieille femme en se tournant vers lui, qu’est-ce qui vous chiffonne? On dirait que vous avez un souci?

–Vous avez deviné, répondit Marcel, j’ai des soucis.

–Et lesquels, mon cher enfant?

–Ceux des autres... répondit le jeune garçon.

–Ah! fit la mère Bonie, on peut aller loin avec ça. Pour le quart d’heure, si vous venez frapper à ma porte c’est que je puis vous êtes utile. parlez donc: la mère Bonie reste à votre service, vous avez si souvent été au sien...

Marcel raconta l’épisode de la veille, et la mère Bonie regarda son petit voisin d’un air ébahi.

–Vous ne pouvez pourtant pas, lui dit-elle, garder chez vous ces trois enfants?

–Je ne pense à rien en ce moment, sinon à ne point troubler leur sommeil... Je pars pour mon imprimerie, dont le contre-maître dit, en riant, que je suis l’horloge vivante; pour rien au monde, je ne voudrais manquer à mon habitude d’y arriver le premier. Il me semble parfois que le patron me regarde d’un air qui semble dire: «J’apprends de tes nouvelles, petit Marcel, tu deviendras un bon ouvrier!» Songez donc, mère Bonie! quand je serai un ouvrier sérieux, je gagnerai de grosses semaines... C’est alors que je me trouverai fier et content et que je ferai des économies! Je bois peu de vin, le café ne me ruinera jamais. le tabac me fait mal, et j’ai entendu dire à un savant médecin que c’était un poison lent... Je remplis ma besogne en conscience; après avoir été un compositeur passable, si j’étudie, je deviendrai peut-être correcteur... Ah! mère Bonie! j’en suis encore aux contes de fées, vous le voyez bien!..

–Sans doute, mais cela ne m’apprend pas ce que tu veux de moi.

–Surveillez les petits voyageurs... voilà vingt-cinq sous, donnez-leur à déjeuner; quand je rentrerai, nous dînerons ensemble.

La mère Bonie repoussa l’argent.

–Laisse-moi, dit-elle, prendre ma part de la bonne œuvre.

Marcel embrassa sa vieille–voisine et descendit en courant les escaliers.

Les robinsons de Paris

Подняться наверх