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DEUXIEME PARTIE
Les Alvéoles d’une ruche

Table des matières

I
LE MÉNAGE DE L’ORPHELIN

Table des matières

L’horloge sonnait cinq coups quand Marcel s’éveilla, après un sommeil court et fiévreux. La générosité de son cœur l’entraînant, il avait fait, la veille, ce que beaucoup de gens eussent appelé une généreuse folie; l’heure du raisonnement, sinon du regret, était venue. Il se mesurait avec sa tâche, et, désireux de la remplir en conscience, il cherchait le moyen de se tirer d’embarras.

Marcel appela les trois frères. Comme tous les enfants de la campagne, ceux-ci avaient l’habitude de se lever matin; ils furent debout au premier appel de leur ami.

–Camarades! leur dit Marcel, chacun de vous aidera à ranger le ménage; ma mère avait coutume de dire que l’ordre est une vertu domestique; je n’ai point oublié ses leçons, et je m’en suis toujours bien trouvé. Commencez par laver votre visage, vos mains, brossez vos cheveux, nous soignerons ensuite le mobilier.

–Marcel! dit Robert, vous avez de bien jolis meubles.

–C’est l’héritage de ma pauvre mère; elle m’a-bien recommandé de ne jamais les vendre: «Mon cher enfant, me répétait-elle, l’ouvrier qui possède un intérieur conserve des habitudes d’économie; on l’estime davantage et il dépense moins que celui qui loge en garni. On rentre avec plaisir dans une chambre propre, remplie de souvenirs de famille; la possession rend soigneux et paisible; on trouve une satisfaction légitime dans l’augmentation de son bien-être. Tu peux connaître les mauvais jours, supporte-les avec patience; reste pauvre, très-pauvre, s’il le faut, mais garde toujours ce mobilier simple, honnête, gagné par l’outil de ton père et l’aiguille maternelle. «Voilà pourquoi, ajouta Marcel, vous me trouvez suffisamment logé, et locataire sérieux, payant exactement son terme.

Marcel avais connu de dures épreuves; plus d’une fois il s’était couché sans souper, mais jamais la pensée de vendre les meubles légués par sa mère ne traversa son esprit. Il ornait au contraire de son mieux son modeste logement; dans l’imprimerie où il travaillait, on lui donnait souvent l’épreuve d’une gravure sur bois, et l’apprenti ne manquait jamais de l’apporter et de la fixer àla muraille pour augmenter sa galerie, qu’il appelait son petit Louvre.

–Après avoir mis un peu d’ordre dans sa’chambre, Marcel quitta les enfants, en les confiant, comme la veille, aux soins de la mère Bonie.

Tandis que l’apprenti se rendait à son atelier, il se demandait soucieusement:

–De quoi peuvent vivre, sans mendier, des enfants trop petits pour exercer un état?

En ce moment, il aperçut sur le trottoir un cigare à demi brûlé; il le releva, et se souvint d’avoir entendu dire que la récolte des bouts de cigares dans les rues de Paris devenait une source de bénéfices assez élevés.

–Bon, fit-il, Jean qui est lent mais attentif, cherchera les panalellas. Ce n’est pas que j’aime beaucoup ce métier de flaneur et de batteur de pavés, mais en attendant mieux, Jean gagnera du pain à l’aide de ce modeste trafic.

Au moment où le jeune typographe tournait l’angle de la rue, il fut appelé par un homme à la figure épanouie qui lui cria d’une voix franche et sonore:

–Tout de même, monsieur Marcel, ne pourriez-vous me mettre mon livre de compte en ordre? il en a diablement besoin.

–Ah! c’est vous, Panier-Fleuri, répondit Marcel en serrant la main du chiffonnier qui le regardait en souriant.

–Moi-même, tout prêt à vous obliger si j’en suis capable, et ce sera une juste revanche, allez! M’en avez-vous aligné des chiffres, et tout bellement comme un notaire!

–Venez ce soir, répliqua Marcel, j’aurai un service à vous demander.

–Voilà une idée qui me rendra gai toute la journée, monsieur Marcel; quel bonheur de pouvoir vous être utile ou agréable! Pour lors, sans adieu.

–Je serai bien surpris, pensa Marcel, si je ne réussis pas à faire, provisoirement, un chiffonnier de mon petit Robert... Quant à Cri-cri, le plus fûté des trois, il ne m’inquiète guère; avant huit jours, je l’aurai mis à même de se suffire à sa dépense.

Ces espérances dans le cœur, Marcel, suivant sa coutume, arriva le premier à l’atelier. Il se mit à la besogne sans hâte bruyante, posément, tranquillement, comme un garçon possédant la conscience de son devoir. Nul plus que Marcel ne croyait à la sainte obligation du travail.

Etant tout petit, il avait entendu son père citer cette parole: Qui ne travaille pas ne doit pas manger, et comme Marcel la trouvait juste, il besognait bravement, afin d’avoir bravement le droit de manger à sa faim.

Le contre-maître, François Chanteau, passa près de l’apprenti et dit en lui frappant familièrement sur l’épaule:

–Toujours le premier à l’atelier! continue; les garçons zélés font les bons ouvriers.

Pendant la journée, Marcel fut cependant distrait plus d’une fois par le souvenir de ses protégés. Que faisaient-ils à la maison? La mère Bonie les avait-elle emmenés avec elle faire des courses par ce beau soleil? Son cœur se dilatait à la pensée qu’en gardant ces orphelins il avait accompli une bonne action.

–Si Jeanne est morte, pensait-il, elle nous protégera et nous bénira du haut du ciel.

Sa journée finie, Marcel revint en grande hâte. Il marchait si vite qu’il faillit renverser Nicole, la petite fille du vieux soldat; la pauvre enfant trébuchait en soutenant sur sa tête un lourd paquet de linge mouillé qu’elle rapportait du lavoir.

L’apprenti reconnut la fillette, enleva son fardeau, s’en chargea allégrement; puis il reprit sa course, tandis que Nicole jasait, en suivant son jeune voisin.

–Tenez, dit-elle, j’ai cru que je tomberais ce soir sous le poids de ce paquet... c’est étonnant comme l’eau alourdit le linge. Et puis, j’en ai deux fois plus que d’ordinaire... le nombre de mes pratiques augmente tous les jours, et bientôt je ne pourrai suffire à la besogne.

–Tant pis, ma petite Nicole! car j’ai trois pensionnaires que tu devras blanchir, et pour qui, sans doute, je serai obligé de te demander crédit.

–Les orphelins? répondit Nicole d’une voix plus grave; vous ne me devrez rien pour eux, monsieur Marcel, les pauvres gens doivent s’aider, vous me l’avez appris. Chers enfants! si petits et n’avoir plus de famille! Je sais ce que c’est que cette douleur-là... Certes, j’aime mon aïeul de tout mon cœur; mais cela ne m’empêche pas de me souvenir de papa qui était si gai, de ma mère qui était si bonne! En même temps, je remercie Dieu de me laisser grand-père, je suis fière de soutenir par mon travail le vieux soldat mutilé.

–Vraiment, s’écria Marcel, tu es une excellente créature, Nicole!

–Et cela me fait plaisir de vous l’entendre dire, Marcel; car de mon côté j’entends répéter que vous êtes honnête, laborieux et bon, et l’amitié des braves gens porte bonheur. Ne vous inquiétez pas des petits, la mère Bonie me remettra leur linge.

Nicole se trouvait sur le carré commun; elle reprit son paquet, souhaita le bonsoir à son voisin, et entra en souriant chez son grand-père.

Les robinsons de Paris

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