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VI
LE MONDE EST GRAND

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Jamais les trois frères n’avaient quitté leur village; ils ne connaissaient du monde que l’espace compris entre quatre clochers distants de deux lieues environ. Leur imagination ne leur représentait pas ce que c’est qu’une ville. En dehors des grands bois, d’une petite rivière si peu profonde qu’en été ils la passaient à gué, des champs de froment, des vergers remplis de pommiers et de poiriers, ils n’avaient rien vu.

Tant qu’ils se trouvèrent dans la limite de leur village, ils ne s’effrayèrent pas de la distance. Sur la route ils rencontraient des gardeurs de chèvres qui avaient été leurs compagnons de jeux, des paysans qni répondaient à leur bonjour amical, de grands chiens de ferme qui bondissaient joyeusement vers eux. C’était toujours la campagne, avec ses travaux, ses bruits, son mouvement; tout gardait pour eux un charme, un langage. Ils reconnaissaient chaque borne de champ, chaque échalier, les fourrés des bois taillis, les nids de corneilles dans les hauts peupliers, et les touffes de gui de chêne qui servaient aux enfants pour faire de la glu.

Mais quand ils eurent dépassé le grand Calvaire, ils se trouvèrent sur une terre nouvelle: la campagne changea d’aspect; plate et unie, elle ne leur rappela rien des collines ondulant mollement vers les vallées où se cachait la cabane de Jeanne. Aucune voix bienveillante ne leur souhaitait la bienvenue sur le seuil des maisons; les fermières ne tendaient plus pour apaiser leur soif l’écuelle remplie d’un lait frais et mousseux.

Plus d’une fois même on regarda les trois enfants avec une sorte de méfiance, et un garde-champêtre leur demanda leur passe-port.

–Nous sommes les enfants de Jeanne la fileuse, répondirent-ils. 1

Mais cette affirmation naïve ne pouvait suffire au représentant de l’autorité rurale.

–Vos papiers! répéta le garde champêtre.

–Pourquoi faire? demanda Robert; nous les emportons à Paris, nos papiers.

–Oui-dà! vous allez à Paris comme cela, tout seuls, sans avoir peur des gendarmes?

–Pourquoi en aurions-nous peur? objecta Robert; nous n’avons jamais fait de mal!

–C’est possible! montrez-moi toujours vos papiers.

Robert tira d’un petit sac de toile la lettre écrite par le curé sous la dictée de la pauvre Jeanne, puis les actes de naissance de ses frères, et un certificat du maire attestant qu’ils étaient d’honnêtes enfants allant rejoindre un parent à Paris.

–Ça suffit! dit le garde champêtre; que le bon Dieu vous conduise!

Les enfants poursuivirent leur route, et vers quatre heures du soir ils arrivèrent en face d’une auberge d’assez méchante mine.

Tous trois se sentirent fatigués.

Ils s’assirent sur le tronc renversé d’un arbre, à côté d’un ruisseau dont les bords foisonnaient de cresson. Robert ouvrit le bissac rempli de provisions, coupa un morceau de pain pour chacqn de ses frères, puis une tranche de lard, et, cueillant des brins de cresson au bord de l’eau, tous trois dînèrent en parlant de leur mère qu’ils seraient longtemps sans revoir, et du pays qui leur semblait déjà si loin.

–Est-ce que nous ne ressemblons pas aux enfants du bûcheron dans le conte du Petit-Poucet? demanda Cri-cri.

–Non, dit Robert; le bûcheron et sa femme manquaient de courage pour travailler et nourrir leur famille. Les frères de Poucet étaient eux-mêmes désobéissants, paresseux, et il faudrait bien vous garder de les prendre pour modèles. Poucet, ce malin .qui a toujours un expédient dans son sac à malice, vole les couronnes des filles de l’ogresse... Notre mère ne nous abandonne pas: elle se sacrifie pour nous... Quant à moi, je ne sais si je rencontrerai dans ma vie beaucoup de gens pareils à l’ogre du conte, mais je sais bien que je ne me vengerai jamais de ceux qui me feront du mal.

Au moment où Robert achevait ces mots, Bijou, qui recueillait les miettes de pain tombées à ses pieds, battit des ailes comme pour applaudir aux honnêtes paroles de son ami.

Les trois enfants, ayant terminé leur frugal repas, allaient se remettre en route, quand ils s’arrêtèrent surpris en voyant se diriger vers l’auberge une énorme voiture traînée par deux chevaux.

Du fond de cette voiture s’entendaient des cris effrayants d’animaux, qui n’avaient jamais frappé les oreilles des enfants de Jeanne.

Epouvantés et curieux tout ensemble, Robert et ses frères s’approchèrent de la voiture peinte en jaune, et bientôt, la porte du fond s’ouvrant, ils furent très-étonnés de voir qu’elle était aménagée comme une maison.

Des couchettes se dressaient de chaque côté, une table était posée au milieu; au-dessus d’un fourneau, des ustensiles de cuisine tintaient le long de la cloison.

De cette voiture descendirent un homme barbu, à longs cheveux, à grandes moustaches, vêtu d’un habit vert recouvert de paillettes de cuivre, une femme en jupe rose courte et fanée, puis une fillette de douze ans maigre et pâle, enfin un petit garçon presque décharné, dont les grands yeux bleus exprimaient l’effroi persistant d’un être pour qui la moindre chose devient menace et danger.

Au premier regard, ce petit être inspira aux trois frères un intérêt mêlé de pitié; et Robert, Jean et Cri-cri, curieux de connaître, s’il était possible, les mystères renfermés dans la carriole jaune, restèrent dans un coin de la cour, tandis que l’homme à l’habit vert dételait les chevaux.

Les robinsons de Paris

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