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CHAPITRE VII.

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Table des matières

Rapport de M. Necker et résultat du conseil; effet qu’ils produisent dans le public; audace des libellistes; opinion du tiers-état sur un de ses plus grands protecteurs; défance de cet ordre contre ses véritables amis; lettres de convocation pour les états-généraux; formes qui furent suivies pour l’élection des députés.

Janvier1789.

DÈS les premiers jours de cette année, le troisième ordre fut assuré de la victoire, dont les suites ont été si amères pour le monarque, le clergé, la noblesse, la magistrature, pour tous les propriétaires enfin. Vers la fin de décembre, M. Necker avoit soumis à la délibération du conseil trois grandes questions que les notables avoient déja résolues. Il publia, au commencement de1789, son rapport, et le résultat du conseil. Il faut regarder ce résultat comme un arrêt qui terminoit un grand procès, et qui mettoit le jarti vaincu à l’entière discrétion de l’autre.

Les trois questions proposées par M. Necker, étoient celles-ci.

PREMIERE QUESTION.

Le nombre des députés aux états-généraux doit-il être le même pour tous les bailliages indistinctement, ou doit-il être différent selon l’étendue de leur population?

Si l’on eût opiné aux états-généraux par bailliages et non par tète, il étoit indifférent qu’un bailliage eût plus ou moins de députés qu’un autre; mais si l’on devoit opiner par tête, le bailliage qui auroit eu un plus grand nombre de députés, acquéroit une plus grande prépondérance. Les notables qui, ainsi que les parlemens, n’avoient dû reconnoître d’autres lois que celles alors existantes, avoient décidé que le nombre des députés, comme il s’étoit pratiqué en 1614, devoit être le même pour chaque bailliage. M. Necker, ne s’appuyant sur aucune loi ancienne, décida que le nombre des députés devoit être reparti entre les bailliages, en raison combinée de leurs contributions.

La seconde question étoit beaucoup plus importante. M. Necker demandoit: le nombre de députés du tiers-etat doit-il etre égal à celui des deux autres ordres réunis, ou ce nombre ne doit-il composer que la troisième partie de l’assemblée?

Si l’on devoit opiner par ordre, la solution de cette question devenoit encore indifférente; mais si l’on devoit opiner par tête, tout l’avantage restoit au tiers-état, parce qu’il réunissoit à ses députés, ceux du second ordre du clergé.

Les notables, les princes du sang, le clergé, la noblesse, la magistrature, l’exemple tiré des états de Bourgogne, d’Artois, de Bretagne, les lois fondamentales du royaume refusoient au tiers-état la double représentation; mais pour mettre dans tout, son jour le danger de cette innovation qui a tout perdu, je laisserai parler M. Necker.

«L’exemple de1614, disoit le ministre, et de plusieurs tenues d’états précédens, est un des grands argumens de ceux qui s’opposent à la double représentation du tiers. Si le roi se croit en droit de changer cet ordre de choses, qu’elle sera la mesure des altérations que le souverain pourra se permettre aux diverses parties constitutives des états-généraux? Ne doit-on aucune déférence aux décisions des notables? N’est-ce pas aller contre l’esprit de la monarchie que de ne pas ménager les droits et les prétentions des deux premiers ordres? D’un côté le grand intérêt que le tiers met à être égal en nombre aux députés des deux premiers ordres, ne fait-il pas présumer qu’il a le dessein d’amener les états-généraux à délibérer en commun? Et de l’autre, si sa demande est accueillie, ne sera-t-elle pas un obstacle à l’assentiment des deux premiers ordres à une pareille disposition? Et que faut-il donc de plus au tiers-état que l’abolition des priviléges pécuniaires? Le peuple est souvent inconsidéré dans ses prétentions; une première fois satisfaites, une suite d’autres pourront se succéder, et nous ramener à la démocratie. Il est considérable en nombre, il est vrai, mais distrait par diverses occupations lucratives; il ne prend aux questions politiques qu’un intérêt momentané; de plus cette foule de mercénaires, qui, par misère ou par ignorance, ne sont que les serviteurs des riches, ne seroient-ils pas plutôt du parti des seigneurs ecclésiastiques et laïcs, avec lesquels ils ont des liens de dépendance, que de celui des citoyens qui défendroient les droits communs de tous les non-privilègiés? Les deux premiers ordres ont moins d’intérêt que le troisième, à la réunion des trois ordres en états-généraux, et quand ils n’y seroient pas entraînés par un sentiment public, équitable et généreux, ils adopteroient facilement les mesures qui éloigneroient la tenue de ces états. Enfin ils connoissent mieux que le troisième, la cour et ses orages, et s’ils le vouloient, ils concerteroient avec plus de sûreté les démarches qui peuvent embarrasser le ministère, fatiguer sa constance, et rendre sa force impuissante».

Telles sont les les objections que se fit M. Necker dans le conseil du roi, et elles prouvent que s’il n’avoit pas la certitude que le but de la demande de la double représentation étoit, non pas de ramener, mais d’établir la démocratie, du moins il prévoyoit que tel pourroit être l’effet de l’accession à cette demande. Ces objections sont sans doute bien fortes; M. Necker les repoussa par les considérations suivantes:

Le droit qu’avoit le roi de satisfaire au vœu des communes de son royaume.

L’association qui s’étoit faite du tiers-état à la fortune publique, par les richesses mobiliaires et les emprunts du gouvernement.

Le vœu unanime du tiers-état, et ce vœu unanime, dit M. Necker, s’appellera toujours le vœu national.

L’opinion de la minorité des notables; celle de plusieurs gentilshommes qui n’étoient pas dans leur assemblée; le vœu des trois ordres du Dauphiné: la demande formée par diverses commissions aux bureaux intermédiaires des administrations provinciales; l’induction que l’on pouvoit tirer des états de Languedoc, et de la formation récente des états de Provence et du Hainault ou le tiers-état étoit en nombre égal aux deux autres ordres; l’arrêté du parlement de Paris, qui sen rapportoit à la sagesse du roi, sur les mesures nécessaires à prendre pour parvenir aux modifications que la raison, la liberté, la justice et le vœu général peuvent indiquer; les adresses sans nombre des villes et des communes du royaume; et enfin le bruit sourd de l’Europe.

Comme je ne veux, ni ne dois dissimuler aucune des raisons qu’employa M. Necker, pour égarer le conseil et le monarque, je rapporterai les maximes philosophiques avec lesquelles il étaya toutes ces considérations.

» Les connoissances et les lumières sont devenues un patrimoine commun: par-tout les esprits se sont échauffés; et c’est à un pareil effort que la nation doit en partie le renouvellement des états-généraux»

» Le grand nombre de députés du tiers-état est un moyen de rassembler les connoissances utiles au bien de l’état, et l’on ne peut contester que cette variété de connoissances appartient sur-tout à cet ordre, puisqu’il est une multitude d’affaires publiques dont il a seul l’instruction; telles que les transactions du commerce intérieur et extérieur, l’état des manufactures, les moyens les plus propres à les encourager, le crédit public, l’intérêt et la circulation de l’argent, l’abus des perceptions, celui des priviléges, et tant d’autres parties dont lui seul a l’expérience.

» La cause du tiers-état aura toujours pour elle l’opinion publique, parce qu’une telle cause se trouve liée aux sentimens généreux, les-seuls qu’on peut manifester hautement; ainsi elle sera constamment soutenue, et dans les conversations, et dans les écrits, par les hommes animés et capables d’entraîner ceux qui lisent ou qui écoutent.

» Si quelque circonstance nécessitoit la réunion des trois ordres en une seule assemblée, cette disposition deviendroit inadmissible ou sans effet, si les représentans de la commune ne composoient pas la moitié de la représentation nationale.

» Le jugement de l’Europe encouragera le vœu du tiers-état, et le souverain ne peut que régler dans sa justice, ou avancer dans sa sagesse ce que les circonstances et les opinions doivent amener nécessairement».

Si c’est là le langage d’un philosophe, ce n’est certainement pas celui d’un homme d’état. M. Necker, en terminant la solution de cette seconde question, répétoit que le tiers-état ne devoit pas profiter du bienfait qu’on lui accordoit, pour forcer la délibération par tête. Tant il est vrai que sa persuasion, ou, si l’on veut, son pressentiment, ses craintes, perçoient à toutes les lignes de ce malheureux rapport.

Enfin, pour troisième et dernière question, M. Necker se demandoit: Chaque ordre doit-il être restreint à ne choisir ses députés que dans son ordre? Il répondoit:

» La plus parfaite liberté dans l’élection de chaque ordre paroît constitutionnelle… Qu’est-ce qui pourra séparer les intérêts du tiers-état des intérêts des deux premiers ordres? Le tiers-état, comme la noblesse, comme le clergé, comme tous les françois, n’a-t-il pas intérêt à l’ordre des finances, à la modération des charges publiques, à la justice des lois civiles et criminelles, à la tranquillité et à la puissance du royaume, au bonheur et à la gloire du souverain?»

Le ministre, après avoir ainsi arme, contre les deux premiers ordres, l’ennemi qui devoit les combattre sans ménagement, comme sans pitié, chercha à les rassurer; il leur dit:

Que les ministres de la religion ne voient dans les représentans du tiers-état, que les indicateurs des besoins multipliés d’un grand peuple; que la noblesse, à l’aspect de ces nombreux députés des communes, se rappelle, avec satisfaction et avec gloire, qu’elle doit aux vertus et aux exploits de ses ancêtres d’avoir, sur les intérêts généraux de la nation, une influence égale à celle des députés de tout un royaume».

Revenant ensuite à ses terreurs sur les suites que pourroit avoir sa condescendance pour le tiers-état, il adressoit à ses députés cet avis:

«Que les députés du tiers-état ne pensent jamais que ce soit par le nombre, ni avec un moyen de contrainte, mais par la persuasion, par l’éloquence de la vérité, qu’ils peuvent obtenir le redressement des griefs de leurs constituans».

Il fallut aussi dissiper les justes inquiétudes du monarque, «Ah! Sire, lui disoit son ministre, encore un peu de tems, et tout se terminera bien; vous ne direz pas toujours ce que je vous ai entendu prononcer sur les affaires publiques: Je n’ai eu, disiez-vous, je n’ai eu, depuis quelques années, que des instans de bonheur. Vous le retrouverez, ce bonheur, Sire; vous en jouirez. Vous commandez à Une nation qui sait aimer, et que des nouveautés politiques, auxquelles elle n’est pas encore faite, distraient de son caractère naturel; mais fixée par vos bienfaits, et affermie dans sa confiance, par la pureté de vos intentions, elle ne pensera plus ensuite qu’à jouir de l’ordre heureux et constant dont elle vous sera redevable».

Qu’eût dit M. Neeker à celui qui, le6octobre, lui eût rappellé ces impolitiques prophéties? Ne pouvant cependant se dissimuler que la nouveauté qu’il introduisoit, tendoit à altérer la puissance royale, il en consoloit le monarque par ces autres maximes de philosophie.

«La satisfaction attachée à un pouvoir sans limites, est toute d’imagination Votre majesté, en s’entourant des députés de la nation, se délivre d’une suite cruelle d’incertitudes et de balancemens, de défiance et de regrets, qui doivent faire le malheur d’un prince, tant qu’il demeure sensible au bien de l’état et à l’amour de ses peuples. Elle conservera les grandes fonctions du pouvoir suprême; car les assemblées nationales ont elles-mêmes besoin d’un défenseur des foibles, d’un protecteur de la justice; et si l’ordre se rétablit dans les finances, si toutes les forces de ce grand royaume viennent à se vivifier, votre majesté jouira, dans ses relations au-dehors, d’une augmentation d’ascendant qui appartient encore plus à une puissance réelle et bien ordonnée, qu’à une autorité sans règle

Retombant ensuite encore une fois dans ses craintes, M. Necker ajotitoit:

«Cependant, si une différence dans le nombre des députés du tiers-état, devenoit un sujet ou un prétexte de discorde; si l’on contestoit à V.M. le droit de donner une décision préliminaire, demandée avec tant d’instance par la plus grande partie de ses sujets, et qui conserve en entier les usages constitutifs des états-généraux.... si, par des vues particulières, on cherchoit à lasser l’honorable constance de V.M.; si votre volonté, SIRE, n’étoit pas suffisante pour lever ces obstacles, je détourne mes regards de toutes ces idées, je ne puis m’y arrêter, je ne puis y croire: alors cependant quel conseil pourrai-je donner à V.M. un seul, et ce seroit le dernier, celui de sacrifier le ministre qui auroit eu le plus de part à votre délibération»?

Si cette délibération eût porté sur un objet moins grave, on seroit tenté de rire d’un seul et dernier remède, que M. Necher trouvoit à des malheurs que son imagination, ses pressentimens ou ses remords lui rendoient sans cesse présens; et ce retour continuel, sur la chûte prochaine de la monarchie, en étoit lui-même un présage certain.

Hélas! cependant le roi et son conseil se laissèrent prendre à ce piège, et le public fut bientôt instruit du résultat de la délibération, dont voici la teneur:

«Le roi ayant entendu le rapport qui a été fait dans son conseil par le ministre de ses finances, relativement à la convocation prochaine des états-généraux, S.M. en a adopté les principes et les vues, et elle a ordonné ce qui suit: 1o. Que les députés aux prochains états-généraux seront au moins au nombre de mille; 2o. que ce nombre sera formé, autant qu’il sera possible, en raison composée de la population et des contributions de chaque bailliage; 3o. que le nombre des députés du tiers-état sera égal à celui des deux autres ordres réunis, et que cette proportion sera établie par les lettres de convocation; 4o. que les décisions préliminaires serviront de bases aux travaux nécessaires pour préparer, sans délai, les lettres de convocation, ainsi que les autres dispositions qui doivent les accompagner; 5o. que le rapport fait à S.M. sera imprimé à la suite du présent résultat».

Le peuple mené par lui-même, dit Montesquieu, porte toujours les choses aussi loin qu’elles peuvent aller. Tous les désordres qu’il commet sont extrêmes! Il voulut les états-généraux, on les lui accorda; il demanda qu’on rapprochât l’époque de leur convocation, il l’obtint; il désira la double représentation, on lui céda encore; il exigea la réunion des trois ordres, on ne sut pas la lui refuser; enfin il est parvenu à être lui seul la nation; il a prétendu qu’il étoit roi, pontife, législateur, juge, administrateur, et le gibet attend aujourd’hui quiconque s’élève contre cette gigantesque et monstrueuse puissance.

La consternation des deux premiers ordres fut grande, lorsqu’on ne put plus douter des intentions de la cour, et l’audace du troisième les menaça plus que jamais. La noblesse fut odieusement outragée dans plusieurs écrits, et particulièrement dans une brochure intitulée, ultimatum d’un citoyen au mémoire des princes qu’on pouvoit regarder comme une sorte de manifeste de la guerre qui commencoit; le clergé n’étoit pas traité avec plus de justice; ses intentions, sa conduite, ses moeurs, ses principes furent calomniés dans mille brochures, et entr’autres dans une prétendue lettre des curés du Dauphiné aux recteurs de Bretagne.

Les particuliers qui énonçoient une opinion contraire au vœu du tiers-état, étoient aussitôt déchirés par des libellistes; ainsi M. d’Eprémesnil, qui commençoit à redouter les entreprises de la licence, se vit impunément outragé et baffoué par un méprisable écrivain, qu’il avoit lui-même tiré des cachôts de Bicêtre; et le feu évêque de Nevers, pour avoir, dans quelques occasions, approuvé la forme de1614, fut indignement calomnié dans un petit écrit qui avoit pour titre, lettre d’un plaideur du Nivernois à son curé; on en publia les exemplaires avec profusion, et le prélat se montra trop sensible à l’atrocité de ces impostures.

Le gouvernement voyoit ces excès, et ne se mettoit point en peine de les arrêter. Tant de complaisance de la part de M. Necker, non seulement pour les prétentions du tiers-etat, mais encore pour les attentats des libellistes, devoit naturellement lui gagner les cœurs de la multitude; il n’inspiroit cependant pas une confiance aveugle aux chefs de parti, et M. de Mirabeau l’aîné ne cessoit de répéter dans une foule de brochures, timeo Danaos et dona ferentes. Lui-même n’inspiroit pas encore au tiers-état cet enthousiasme qui, depuis, a été sans bornes: sa qualité de gentilhomme faisoit qu’on se tenoit en garde contre ses promesses et ses démarches; et si l’on veut une idée complette de l’opinion qu’on avoit alors de ses moeurs et de sa conduite, dans le parti dont il est devenu depuis l’idole, on l’a trouvera dans les vers suivans, qu’on supposoit avoir été faits pour être mis au bas de son portrait.

J’ai de l’esprit, et je m’en sers,

Esclave avili de Calon

Je respecte et chéris ses fers;

Mais aussi de l’or qu’il me donne,

Je sais acheter le plaisir.

Honneur, probité, conscience,

Qu’importe? Un comte veut jouir;

Pour lui tout est sans conséquence.

S’il étoit né du tiers-état,

Qui pourvoit excuser son crime?

A son gré l’on est scélérat,

L’on nargue la publique estime,

On est escroc, plat et rampant,

Indiscret, délateur, perfide,

Lorsqu’un nom de quatorze cent,

Contre le blâme est votre égide.

Dans son rapport au conseil, M, Necker avoit rendu un juste hommage aux sentimens et aux voeux de la reine pour la félicité publique; il s’étoit exprimé ainsi à l’égard de cette auguste princesse.

Je n’oublierai jamais qu’elle me disoit, il y a quelque teins: le roi ne se refusera point aux sacrifices qui pourront assurer le bonheur public; nos enfans penseront de même s’ils sont sages, et s’ils ne le sont pas, le roi auroit rempli un devoir en leur imposant quelque gêne».

Ces sublimes paroles furent accueillies sans aucune reconnoissance; on révoqua en doute que la reine les eût jamais prononcées; elle étoit environnée d’ingrats. Un grand alla jusqu’à dire, dans une compagnie composée de personnes de la première distinction, qu’elle desavouoit le paragraphe qui la concernoit, inséré dans le rapport de M. Necker. Quelqu’un ayant fait observer au courtisan, que sans doute il avoit un garant bien sûr de ce qu’il avançoit, il répondit qu’il tenoit le fait du marquis de Talaru, premier maître d’hôtel de la reine. Celui-ci, instruit du propos qu’on lui faisoit tenir, le démentit, et certifia publiquement que jamais la reine ne l’avoit honoré d’une telle confidence. Il ne s’en tint pas là: il demanda et obtint une audience particulière de cette princesse, dans laquelle il lui rendit compte des bruits qui se répandoient dans le public. La reine l’autorisa à déclarer que le paragraphe étoit conforme à l’exacte vérité, et que M. Necker ne l’avoit fait imprimer, qu’après le lui avoir fait lire, et avoir eu son agrément.

On peut juger par cette seule anecdote, de l’importance que l’on mettoit à tromper le peuple sur les véritables sentimens d’une reine, qui ne profitoit de l’ascendant qu’elle avoit sur son époux, que pour le porter aux sacrifices qui pourroient lui concilier la reconnoissance de ses sujets.

Quelque attention donc qu’apportassent et le souverain, et les grands, et le ministre, à calmer toutes les inquiétudes, ils ne pouvoient vaincre la défiance; on persistoit à croire qu’ils n’agissoient pas de bonne foi, et l’on annoncoit qu’on ne seroit rassuré, que lorsque les lettres pour la convocation des états-généraux auroient été publiées.

Enfin ces lettres, si long-tems attendues, et qui devoient, disoit-on, dissiper tous les soupçons, parurent. Je dois en faire connoître au moins la substance: c’est le dernier acte de souveraineté, de ce genre, qui émanera du trône; et c’est avec une sorte de vénération que je recueille, et que je transmets à la postérité, ces restes respectables de l’ancienne puissance de nos rois.

Dans la lettre adressée aux provinces le roi disoit: «Nous avons besoin du concours de nos fidèles sujets, pour nous aider à surmonter toutes les difficultés où nous nous trouvons, relativement à l’état de nos finances, et pour établir, suivant nos vœux, un ordre constant et invariable dans toutes les parties du gouvernement qui intéressent le bonheur de nos sujets et la prospérité de notre royaume. Ces grands motifs nous ont déterminé à convoquer l’assemblée des états de toutes les provinces de notre obéissance, tant pour nous conseiller et nous assister dans toutes les choses qui seront mises sous ses yeux, que pour nous faire connoître les souhaits et les doléances de nos peuples; de manière que, par une mutuelle confiance et par un amour réciproque entre le souverain et ses sujets, il soit apporté, le plus promptement possible, un remède efficace aux maux de l’état, et que les abus de tout genre soient réformés et prévenus par de bons et solides moyens qui assurent la félicité publique, et qui nous rendent, à nous particuliérement, le le calme et la tranquillité, dont nous sommes privés depuis si long-tems».

C’étoit donc uniquement pour être conseillé, pour connoître les souhaits et les doléances de ses peuples, que le roi convoquoit les états-généraux, et non pour recevoir des lois; et n’etoit-il pas horrible de penser que le roi ait tout fait pour rendre ses sujets heureux, et que les sujets aient tout fait pour rendre leur souverain malheureux, et qu’ils se soient servis de ses propres bienfaits pour lui ravir ses prérogatives ses domaines, sa puissance et sa liberté?

Dans cette lettre, le roi, s’adressant à ses sujets, leur disoit . «Nous vous assurons que, de notre part vous trouverez toute bonne volonté et affection pour maintenir et faire exécuter tout ce qui aura été concerte entre nous et les états, soit relativement aux impôts qu’ils auront consentis, soit pour l’établissement d’une régie constante dans toute les parties de l’administration et de l’ordre public; leur promettant de demander et d’écouter favorablement leurs avis sur tout ce qui peut intéresser le bien de nos peuples, et de pourvoir sur les doléances et propositions qu’ils auront faites; de telle manière que notre royaume, et tous nos sujets en particulier, ressentent pour toujours les effets salutaires qu’ils doivent se promettre d’une telle et si notable assemblée».

A la lettre de convocation étoit annexé le réglement pour son exécution. Dans le préambule, le roi disoit: «Sa majesté a reconnu, avec une véritable satisfaction, qu’au moyen des assemblées graduelles ordonnées, dans toute la France, pour la représentation du tiers-état, elle auroit ainsi une sorte de communication avec tous les habitans de son royaume, et qu’elle se rapprocheroit de leurs besoins et de leurs vœux, d’une manière plus sûre et plus immédiate.

» Le roi appelle au droit d’être élus pour députés de la noblesse, tous les membres de cet ordre indistinctement, propriétaires ou non propriétaires: c’est par leurs qualités personnelles, c’est par les vertus dont ils sont comptables envers leurs ancêtres, qu’ils ont servi l’état dans tous les tems, et qu’ils le serviront encore; et le plus estimable d’entre eux sera toujours celui qui méritera le mieux de le représenter.....

» Sa majesté attend sur-tout que la voix de la conscience sera seule écoutée dans le choix des députés aux états-généraux; elle exhorte les électeurs à se rappeller que les hommes d’un esprit sage méritent la préférence, et que, par un heureux accord de la morale et de la politique, il est rare que, dans les affaires publiques et nationales, les plus honnêtes gens ne soient aussi les plus habiles…

» Sa majesté espère que tous ses sujets auront sans cesse devant leurs yeux, et comme présent à leur sentiment, le bien inappréciable que les états-généraux peuvent opérer, et qu’une si haute considération les détournera de se livrer prématurément à un esprit de défiance qui rend si facilement injuste, et qui empêcheroit de faire servir à la gloire et à la prospérité de l’état, la plus grande de toutes les forces, l’union des intérêts et des volontés. Enfin sa majesté, selon l’usage observé par les rois ses prédécesseurs, s’est déterminée à rassembler autour de sa personne les états-généraux du royaume, non pour gêner, en aucune manière, leurs délibérations, mais pour leur conserver le caractère le plus cher à son cœur, celui de conseil et d’ami».

Je dois maintenant entrer dans les principaux détails des formes qui furent suivies pour la nomination des députés, telles qu’elles étoient prescrites par le réglement, du roi.

La lettre de convocation fut adressée aux gouverneurs des provinces, et ceux-ci la firent parvenir aux baillis et sénéchaux d’épée. Aussi-tôt après la reception de cette lettre, les baillis et sénéchaux la firent publier à l’audience, et enregistrer au greffe de leur siége; ils donnèrent ensuite assignation, à la requête du procureur du roi, de comparoître à l’assemblée générale du bailliage, ou de la sénéchaussée, aux évêques, abbés, chapitres, corps et communautés ecclésiastiques des deux sexes, et généralement a tous les ecclésiastiques possédant bénéfice ou commanderie, et à tous les nobles possédant fief.

En conséquence de cette assignation, chaque chapitre séculier d’hommes tint une assemblée qui se sépara en deux parties, l’une composée de chanoines, et l’autre de tous les ecclésiastiques engagés dans les ordres, et attaches par quelque fonction au service du chapitre; la première nomma un député à raison de dix chanoines présens et au-dessous; deux au-dessus de dix jusqu’à vingt, et ainsi de suite. La seconde nomma un député à raison de vingt ecclésiastiques présens et au-dessous; deux au-dessus de vingt jusqu’à quarante, et ainsi de suite.

Tous les autres corps et communautés ecclésiastiques, ainsi que les chapitres et communautés de filles n’eurent droit qu’à un représentant. Les séminaires, colléges et hôpitaux ne furent point admis à se faire représenter.

Dans chaque ville, tous les ecclésiastiques engagés dans les ordres, et non possédant bénéfices, s’assemblèrent chez le curé de la paroisse sur laquelle ils se trouvoient habitués ou domiciliés, pour nommer leurs députés à l’assemblée générale à laquelle le curé fut appelle de droit.

Huit jours après la notification des lettres de convocation, tous les habitans composant le tiers-état des villes, ainsi que ceux des bourgs, des paroisses et communautés de campagne ayant un rôle d’imposition, et nés français ou naturalisés, âgés de vingt-cinq ans, et domiciliés, s’assemblèrent devant le juge du lieu, pour concourir à la rédaction des cahiers et à la nomination des députés.

Dans les principales villes du royaume, les habitans s’assemblèrent d’abord par corporation. Chaque corporation choisit un député à raison de cent individus et au-dessous; deux au-dessus de cent, et ainsi de suite. Les corporations d’arts libéraux, celles des négocians, armateurs, et généralement tous les autres citoyens réunis par l’exercice des mêmes fonctions, et formant des assemblées ou des corps autorisés, nommèrent deux députés à raison de cent et au-dessous, quatre au-dessus de cent, six au-dessus de deux cens, et ainsi de suite.

Les habitans composant le tiers-état, qui ne se trouvoient compris dans aucun corps, aucune communauté, aucune corporation, s’assemblèrent à l’hôtel-de-ville, et y élurent leurs députés dans la proportion de deux pour cent individus et au-dessous; quatre au-dessus de cent; six au-dessus de deux cent, et toujours en augmentant dans la même proportion.

La seule ville de Paris obtint d’envoyer des députés particuliers. Le nombre de ceux qui furent choisis par les paroisses et les communautés de campagne, fut de deux à raison de deux cens feux et au-dessous; de trois au-dessus de deux cens feux; de quatre au-dessus de trois cens, et ainsi de suite.

Quelques jours avant l’assemblée générale des trois états du bailliage ou de la sénéchaussée, il se tint une assemblée préliminaire de tous les députés des villes et communautés, dans laquelle ils réduisirent tous leurs cahiers en un seul, et ils nommèrent ensuite le quart d’entr’eux pour porter ce cahier à l’assemblée des trois états du bailliage ou de la sene-chaussée.

Cette dernière assemblée de voit être composée des membres du clergé, de ceux de la noblesse, et des députés du tiers-état. Le clergé devoit avoir la droite, la noblesse la gauche, et le tiers-état être place en face; mais cette double disposition du réglement, comme j’aurai occasion de le raconter dans la suite, ne fut pas suivie par-tout.

C’étoit le bailli ou le sénéchal, ou, en son absence, son lieutenant, qui devoit présider les trois ordres lorsqu’ils seraient réunis. Les assemblées particulières des trois ordres dévoient être présidées, savoir: le clergé par celui à qui l’ordre de la hiérarchie déférerait la présidence; la noblesse par le bailli ou sénéchal, et en son absence, par celui qu’elle auroit élu; le tiers-état devoit être présidé par le lieutenant du bailliage ou de la sénéchaussée, et en son absence, par celui qui devoit le remplacer. Le cierge et la noblesse avoient le droit de nommer leurs secrétaires; le greffier du bailliage devoit être le sécrétaire du tiers. On se conforma encore dans très-peu d’endroits à toute cette partie du réglement.

Il fut libre à chacun des trois ordres de rédiger ses cahiers, et de nommer ses députés en commun ou séparément; mais, dans le premier cas, le consentement des trois ordres devoit être pris séparément.

Les députés devoient être munis de pouvoirs généraux et suffisans pour proposer, remontrer, aviser et consentir. Ces paroles sont remarquables; car proposer, remontrer, aviser et consentir, n’est pas bouleverser, ordonner, et encore moins contraindre le roi à consentir.

Les élections des députés aux assemblées graduelles se firent à haute voix; mais les députes aux états-généraux furent élus par la voie du scrutin, et il ne me reste plus qu’à dire comment on procéda pour cette dernière et importante élection.

On fit d’abord choix au scrutin, de trois membres de l’assemblée, qui furent chargés d’ouvrir les billets, d’en vérifier le nombre, et de déclarer le choix de l’assemblée.

Les billets de ce premier scrutin furent déposés, par tous les députés successivement, dans un vase placé sur une table au-devant du secrétaire qui, assisté des trois plus anciens d’âge, en fit la vérification.

Les trois membres qui eurent le plus de voix furent les trois scrutateurs. Ils prirent place devant le bureau, au milieu de la salle, et déposèrent d’abord dans le vase, leur billet d’élection. Tous les électeurs furent ensuite, l’un après l’autre, déposer ostensiblement leurs billets dans le même vase.

Les électeurs étant revenus à leurs places, les scrutateurs procédèrent d’abord au compte et récensement des billets; si le nombre s’en trouvoit supérieur à celui des suffrages existans dans l’assemblée, on procédoit à un nouveau scrutin, et on brûloit les billets du premier.

Si un même billet portoit plusieurs noms, il étoit rejetté, et on ne recommençoit pas le scrutin; on faisoit de même lorsqu’il se trouvoit un ou plusieurs billets en blanc.

Le nombre des billets étant constaté, on les ouvroit, et les voix étoient vérifiées par les scrutateurs, à voix basse.

La pluralité étoit censée acquise par une seule voix au-dessus de la moitié des suffrages de l’assemblée. Au défaut de cette pluralité, on alloit une seconde fois au scrutin; et si le choix de l’assemblée n’étoit pas encore déterminé par la pluralité, les scrutateurs déclaroient les, deux sujets qui avoient réuni le plus de voix, et ces deux sujets étoient les seuls qui pussent concourir à l’élection qui étoit déterminée par un troisième tour de scrutin, de manière qu’il n’étoit jamais nécessaire de recourir plus de trois fois au scrutin.

En cas d’égalité parfaite de suffrages entre les concurrens dans le troisième tour de scrutin, le plus ancien d’âge étoit élu.

Tous les billets et toutes les notes des scrutateurs étoient brûlés après chaque tour de scrutin.

Il y eut un réglement particulier pour la ville de Paris, le pays des Basques, la Corse et les pays qui n’étoient pas réunis à la couronne à l’époque de 1614.

La voilà donc enfin promulguée cette faveur dont on n’avoit pas joui depuis plus d’un siècle et demi; telle fut la marche que Louis XVI traça à ses sujets, et la voie qu’il leur ouvrit pour qu’ils pussent se saisir d’un bonheur durable. Avant de raconter comment ils reçurent ce bienfait, je dois dire quelle étoit la disposition des esprits au moment même où il fut accordé.

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