Читать книгу Histoire de la Révolution de France et de l'Assemblée nationale - Galart de Montjoie - Страница 7

CHAPITRE IV.

Оглавление

Table des matières

Lit de justice; rétablissement de la cour plénière; oppositions des cours souveraines et des pairs; fermentation dans quelques provinces; première séance de la cour plénière; coalition des gentils-hommes bretons; insurrection en Bretagne; mouvemens dans les provinces.

Mai, Juin, Juillet1788.

LE surlendemain de la scène que je viens de décrire, et dès les cinq heures du matin, le parlement, suivant l’ordre qu’il en avoit reçu, se rendit à Versailles où le roi tint un lit de justice, qui, si les choses ne changent, sera la dernière cérémonie de ce genre.

Après un discours de S.M., du garde-des-sceaux, et du premier président, qui renouvella les protestations de sa compagnie, il fut lu un édit qui augmentoit la compétence des présidiaux jusqu’à4,000liv., et établissoit dans le ressort du parlement, onze grands bailliages, qui auroient jugé définitivement jusqu’à concurrence de20,000liv. Cet édit fut enregistré suivant la forme ordinaire des lits-de-justice. Personne ne réclama, à l’exception du duc de Charost, qui chargea le garde-des-sceaux de faire part au roi de son adhésion aux protestations et aux arrêtés du parlement, auxquels il dit avoir regret de n’avoir pas assisté.

Le second édit étoit relatif à la suppression de toutes les chambres du trésor et du domaine, des élections, des bureaux de finances, eaux et forêts, greniers à sel et autres petites jurisdictions, à une partie desquelles cependant le roi laissoit la police de leur jurisdiction.

Le troisième édit, relatif au code criminel, supprimoit l’usage de la selette et de la question, déja défendues par une déclaration antécédente, et accordoit un mois de retard après la lecture d’un jugement à mort.

Le quatrième édit portoit suppression de la seconde et troisième chambre des enquêtes du parlement, et de la chambre des requêtes. L’édit réduisoit le parlement à67conseillers, pris de suite parmi les anciens; ils auroient formé la grand’chambre, laquelle auroit été composée de36conseillers, et d’une seule chambre des enquêtes; celle-ci auroit eu31membres. Les présidens à mortier auroient servi alternativement a ces deux chambres, ainsi qu’à la Tournelle. A l’égard des présidens des enquêtes et requêtes, ils étoient joints à la grand’chambre comme surnuméraires.

Le cinquième édit étoit intitulé: rétablissement de la cour plénière. Elle eût été composée du roi, du chancelier, et en son absence, du garde-des-sceaux, des présidens de la grand’chambre du parlement de Paris, des princes du sang, du grand aumônier et des autres grands officiers de la couronne, des pairs, de deux archevêques, deux évêques, deux maréchaux de France, deux commandans de province, deux lieutenans-généraux, et en outre de quatre personnes qualifiées, d’un certain nombre de conseillers d’état et de maîtres de requêtes, d’un député de chaque province; et quand un grand nombre de magistrats se seroit trouve absent, ils eussent été remplacés par des magistrats du conseil.

Le sixième et dernier édit contenoit, après un préambule succint, une suspension totale du parlement de Paris, jusqu’à ce que les grands bailliages et autres établissemens portés dans les précédens édits, eussent eu leur entière exécution.

Les gens du roi, après chaque édit, conclurent à s’en rapporter à la sagesse de S.M. Mais, après ce dernier, ils conclurent que, pour le bien public, S.M. le retirât.

Cette séance se termina par un discours très-court du roi, qui ordonna aux membres de la nouvelle grand’chambre de rester, et aux autres, de se retirer.

Il fut fait défense au parlement de Paris, de s’assembler, ni délibérer sur aucune affaire particulière eu publique. La nouvelle grand’chambre retirée fit parvenir au roi la lettre suivante.

SIRE,

«Vos fidèles magistrats, consternes des innovations destructives de la constitution de la monarchie, dont on essayeroit envain de les rendre participans, supplient votre majesté de leur permettre de lui déclarer l’impossibilité absolue où ils sont d’accepter aucune des fonctions qui leur sont attribuées par les édits dont ils viennent d’entendre la lecture. C’est le zèle le plus pur qui dicte à vos magistrats, la déclaration qu’ils viennent déposer aux pieds du trône.» Cette lettre fut signée de tous les magistrats conservés.

La chambre des comptes et la cour des aides se rendirent aussi à Versailles, et reçurent l’ordre de leur suspension. Monsieur le signifia à la première, et M. le comte d’Artois à la seconde.

Pendant que ces choses se passoient à Versailles, le palais à Paris étoit encore une fois investi. Les troupes s’emparèrent des cours, des salles, et des portes de tous les tribunaux. Le duc de Brissac, gouverneur de Paris, et M. de la Porte, maître des requêtes, vinrent notifier à la cour des monnoies, l’ordre de suspension donné aux autres cours souveraines.

Tous les corps étoient ébranlés, tous les esprits s’agitoient. Le roi, avant de tenir son lit-de-justice, avoit mandé les pairs, et leur avoit dit qu’il comptoit sur eux pour l’établissement de la cour plénière. Avant de se rendre aux ordres du roi, et après les avoir reçus, les pairs se réunirent chez le maréchal duc de Duras. Il en manqua plusieurs; l’ un d’eux ouvrit l’avis de s’adresser à Monsieur, pour obtenir la permission de s’assembler et de délibérer en corps. Cet avis fut rejetté sur l’observation que, si la demande étoit refusée, ce seroit un obstacle de plus a la convocation desirée, et par la-même à l’exécution de ce qu’on voudroit entreprendre. L’opinion du plus grand nombre fut alors pour une protestation, que onze pairs signèrent aussi-tôt. Mais le jeune évêque comte de Châlons, lorsque son tour de parler lut venu, représenta qu’une telle protestation déplairoit infailliblement au roi, puisque n’étant pas le fruit d’une délibération générale, elle ne pourroit, être regardée comme l’expression du vœu général des pairs, et qu’elle auroit l’air au contraire d’avoir été dictée par un intérêt particulier. Le prélat représenta en outre que la cour plénière ne devant tenir sa première séance que dans quelques mois, on avoit tout le tems de se décider à une résolution définitive, et qu’avant de s’y arrêter, il convenoit de savoir, Io si la grand’chambre persisteroit dans sa protestation; 2o. quelle seroit la conduite des autres parlemens; 3o. Si l’organisation de la cour plénière attentoit aux droits de la pairie.

Cet avis sage prévalut: quatorze pairs revinrent de leur première opinion; six seulement persistèrent dans l’avis qu’avoit combattu M. l’évêque de Châlons, et écrivirent, chacun en particulier, une lettre au roi, contenant leur protestation individuelle. Ces six pairs furent les ducs de Fitz-James, d’Uzès, de Piney, d’Aumont, de Praslin, de la Rochefoucault.

Les ministres passoient à Versailles leur tems en négociations avec les magistrats conservés; ceux-ci se montrèrent inflexibles, et ceux-là n’en tentoient pas moins tous les moyens qui étoient en leur pouvoir, pour arriver au bout de la carrière qu’ils s’étoient ouverte. Les troupes ne désemparoient point du palais; l’opération qui s’étoit faite à Versailles, avoit eu lieu dans toutes les provinces, et par-tout la résistance étoit la même. A Besançon, les écoliers se soulevèrent; à Toulouse, les rues furent dépavées; et le comte de Périgord, qui ne se croyoit pas en état de contenir les mutins, avec le seul régiment qui étoit à ses ordres, demanda à la cour un renfort. A Rouen, les membres du parlement firent une protestation solemnelle, et s’engagèrent, sous la foi de l’honneur et du serment, à y persister toujours. A Rennes, les magistrats firent siéger parmi eux soixante gentilshommes.

Autant la résistance étoit forte, autant les efforts des ministres étoient opiniâtres, et, sans considérer que l’autorité royale s’affoiblissoit par tous ces chocs, ils firent tenir au roi cette séance qui fut appelée la première séance de la cour plénière, et qui fut aussi la dernière; elle ne dura qu’autant de tems qu’il en fallut au roi pour prononcer le discours suivant:

«Messieurs, vous avez entendu mes volontés; je vous ai rassemblés pour vous les confirmer. Je persiste toujours dans l’exécution d’un plan qui a pour but l’ordre général de mon royaume et le bonheur de mes peuples: je compte sur votre zèle et votre fidélité à mon service; lorsque j’aurai déterminé les personnes qui composeront avec vous ma cour plénière, je vous réunirai même avant le tems ordinaire de vos séances, si le bien de mon service et la nécessité des circonstances l’exigent».

Avant de se rendre à cette séance, les magistrats conservés avoient fait la protestation suivante:

«Nous soussignés, magistrats du parlement, retenus par ordre du roi dans la ville de Versailles, déclarons unanimement que, par suite de l’obéissance purement passive qui nous a conduits au lit-de-justice, nous nous rendons aujourd’hui à la séance à laquelle le roi nous ordonne d’assister, par de nouveaux ordres adressés à chacun de nous.

«Déclarons que nous n’entendons prendre aucune part à ce qui pourra se passer à ladite séance, et que de notre assistance, aucune sorte de consentement ou d’acquittement ne sera donné à la fonction de la cour plénière, dont notre serment, notre devoir et notre fidélité au service du roi, ne nous permettent pas d’être membres.

«Sera la présente déclaration remise entre les mains de M. le principal ministre, pour être à jamais le garant de nos sentimens, et la règle de notre conduite. Et sera M. le principal ministre prié de la remettre entre les mains du roi, avant la séance de cejourd’hui, nous reservant de renouveller ladite déclaration, dans toutes les occasions et autres formes qui seront les plus propres à lui donner l’authenticité et la publicité nécessaires».

Revenus de la séance, les mêmes magistrats firent cette autre protestation.

«Nous soussignés présidens à mortier, conseillers d’honneur, conseillers, greffier en chef du parlement de Paris, toujours unis à nos confrères illégalement supprimés, et contre toutes les lois du royaume, déclarons unanimement ne point nous désister de l’antique et légale formation du parlement, composé des princes du sang royal, des pairs de France, de l’universalité de tous ceux qui ont été revêtus d’offices inamovibles dans ladite cour.

«Déclarons ne pouvoir jamais exercer aucune des nouvelles fonctions qui nous sont attribuées;

«Déclarons que nous persisterons jusqu’à notre dernier soupir, dans les arrêtés précédemment pris par ladite cour, et dans les principes y contenus.

«Et afin que la présente déclaration soit ferme et stable a jamais, et connue de tous nos concitoyens, et dans l’impossibilité où nous sommes de la consigner dans le greffe du parlement, nous autorisons celui d’entre nous, qui sera porteur de la présente, de la déposer entre les mains de tel officier public qu’il jugera convenable, et d’en faire délivrer autant d’expéditions qu’il croira nécessaires».

Que pensera cependant la postérité? Quel jugement portera-t-elle, en contemplant, d’une part, tant de courage, lorsque la constitution n’étoit que menacée, et de l’autre, tant de résignation, lorsque les bases de l’autel et du trône ont été arrachées avec fureur et que les débris en ont été dispersés avec audace?,

Le collége des pairs marchoit avec plus de circonspection: six d’entreux seulement adressèrent au roi une lettre, conçue en ces termes:

SIRE,

«Je suis pénétré de douleur de la subversion presqu’entière que l’on tente d’opérer dans votre royaume. Je me ferai toujours un devoir de donner à tous vos sujets des exemples de respect et de soumission; mais ma conscience et la fidélité que je dois à V.M. ne me permettent pas de remplir les fonctions que les nouveaux édits attribuent à la pairie. Je prends la liberté de déposer aux pieds du trône la déclaration qu’exige mon honneur, et qui m’est dictée par le zèle le plus pur pour les intérêts de V.M., inséparables de ceux de la nation».

Le roi renvoya à chacun des six pairs sa lettre, avec la réponse suivante:

«Mon cousin, pour ne pas vous marquer trop de déplaisir de la lettre que vous m’avez écrite, je vous la renvoie: je veux bien ne l’attribuer qu’à un premier mouvement, et je vous prie d’y réfléchir sérieusement. Sur ce, etc.».

Après la réception de cette réponse, trois des six pairs se désistèrent de leur adhésion à la protestation du parlement.

Les officiers du châtelet visitèrent les magistrats de cette compagnie, et donnèrent des assurances d’une fermeté inébranlable à ne se prêter en aucune manière à l’exécution du nouveau plan: ils tinrent parole; ils refusèrent tout enregistrement.

Il n’y eut pas jusqu’au bureau de législation, institué pour s’occuper d’une réforme de la jurisprudence criminelle, et dont M. Target étoit un des membres, qui ne fit parvenir au garde des sceaux une lettre, par laquelle ils le prioient de permettre qu’ils suspendissent te travail qui leur avoit été confié, jusqu’à ce que le parlement eût repris ses fonctions accoutumées, et obtenu l’assurance que ses réclamations seroient exaucées, et qu’il ne seroit rien innové dans l’administration de la justice.

Ce fut sur-tout en Bretagne que la fermentation prit un caractère plus alarmant: les gentilshommes de cette province envoyèrent au roi des députés, auxquels il fit cette réponse:

«Je ne retirerai point mes édits, la loi étant générale pour tout le royaume. S’il s’y trouve des changemens contraires aux droits, franchises et libertés de la province, je recevrai les représentations des états, et j’aurai égard à celles qui seront fondées. S’il est constate que le nombre de48juges n’est pas suffisant, on pourra l’augmenter».

«Tout impôt nouveau qui sera enregistré par la cour plénière, ne pourra être levé en Bretagne, sans le consentement préalable des états, et sera enregistré au préalable. Toute loi particulière sera enregistrée au parlement, comme par le passé».

La noblesse de la province, dont celte réponse n’avoit apparemment pas calmé les inquiétudes, prit l’arrêté suivant;

«Nous, soussignés, membres de la noblesse de Bretagne, déclarons infâmes ceux qui pourroient accepter quelques places, soit dans l’administration nouvelle de la justice, soit dans l’administration des états, qui ne seraient pas avouées par les lois constitutionnelles de la province. Et ont tous unanimement signé».

Cette protestation fut portée au comte de Thyard, qui commandoit dans la province, par des députés, qui lui tinrent ce discours:

«Nous vous remettons la protestation que le procureur-général-syndic des états de Bretagne a déposée au parlement: elle exprime le vœu de la noblesse. Nous ne doutons pas que si S.M. en étoit instruite, elle ne retirât les ordres rigoureux que les ennemis de sa gloire et de la nation ont osé lui surprendre, et qu’un vrai serviteur du roi ne saurait exécuter».

De ces écrits, on vint aux voies de fait : trois officiels pavèrent de leur vie, leur soumission aux ordres dont ils étoient chargés. Un régiment de cavalerie s’étant présenté devant une ville, les portes lui en furent fermées; officiers et soldats furent obligés de se loger dans des couvens. Quinze gentilshommes provoquèrent et appelèrent en duel autant d’officiers. Le comte de Thyard ayant demandé les principaux de la noblesse, épuisa toutes les voies de conciliation pour les engager à se désister de leur opposition. N’y pouvant parvenir, il ajouta: «Je suis autorisé a vous dire que ceux d’entre vous qui refuseront de souscrire au nouveau plan que le gouvernement a adopte pour l’administration de la justice, n’auront plus aucun bienfait à espérer de S.M., ni pour eux-memes, ni pour leurs enfans.–Nous avons prévu, répondirent ces gentilshommes, cette déclaration et nous l’avons prévenue: ceux d’entre nous qui ont des enfans ou des parens au service de S.M. leur ont écrit de rentrer incessamment dans la province».

Il ne fallut pas moins enfin qu’une armée de quatorze nulle hommes, commandée par M. de Vaux, pour dissiper toutes les assemblées qu’on tenoit dans différentes villes de cette province. Mais il est à remarquer qu’au milieu des troubles qui l’agitoient, le peuple garda une parfaite neutralité.

La noblesse de Dauphiné ne mit pas autant d’ardeur dans son opposition; elle se contenta de demander, 1o. que les privilèges de la province fussent conservés; 2o. que ses anciens états fussent rétablis; 3o. que quatre membres de ces états fissent constamment partie de la cour plénière ; 4o. que, lorsque le parlement jugeroit un procès qui intéresseroit quelque membre de la noblesse, six gentilshommes, qui auroient voix délibérative, fussent appelés à prendre séance parmi les magistrats, pendant l’instruction et au jugement du procès, enfin, que le roi appelât auprès de sa personne quatre membres du parlement du Dauphiné, afin qu’ils pussent mettre sous les yeux de S.M. ce qu’ils croiraient voir de défectueux dans les nouvelles lois.

Toutes les cours souveraines de judicature exilées et suspendues de leurs fonctions, leurs tribunaux environnés de soldats, le sommeil de la justice, les mouvemens des troupes, qui se portoient dans les différentes villes, la résistance des corps, tout contribuoit, en entretenant une inquiétude universelle à accélérer la révolution. Le clergé seul, alors assemble a Paris, sembla quelque tems rester spectateur immobile de cette prodigieuse effervescence; mais le clergé aussi céda au torrent, il demanda que l’époque de la convocation des états-généraux fût accélérée.

Les ministres ne cédoient point; les édits portant suppression de divers offices dans les cours de parlemens, furent publiés, et quelques grands bailliages commencèrent leurs fonctions; mais la haine aussi contre les membres de l’administration, ne faisoit que s’accroître: les arrêts et arrêtés émanés des différentes compagnies de magistrature, lui servoient d’aliment, et elle fut portée au point qu’on osa placarder contre une des loges de la comédie italienne, cette menace: Les tyrans seront assassinés. Ce placard resta assez long-tems en place pour qu’une grande partie des spectateurs pût le lire. Dans d’autres placards affichés aux coins des rues, on annoncoit l’arrivée d’une armée de quarante mille hommes, si on ne rendoit a la capitale son parlement. Bien loin de se laisser intimider par ces menaces, les ministres firent enfermer à la Bastille douze gentilshommes bretons, députés, non par les états de leur province, mais par une assemblée particulière, et dont les instructions portoient en deux mots: Audience ou prison. Quelques personnes de la cour furent enveloppées dans la disgrace de ces gentilshommes, qui s’étoient fait un parti dans lequel étoit entré M. de Boisgelin, maître de la garde-robe du roi. Sa majesté en témoigna à celui-ci son mécontentement par une lettre, dont voici la teneur.

«La conduite que vous tenez depuis quinze jours M. de Boisgelin, étant contraire à mes intérêts, je vous écris celle-ci, pour que vous ayez à me rendre votre démission de la place de maître de la garde-robe, que vous tenez auprès de ma personne, et à ne paraître à la cour que lorsque vous en aurez obtenu ma permission»,

MM. de Chabot et de la Fayette furent privés de leurs pensions, et la duchesse de Praslin perdit sa place de dame du palais de la reine.

L’agitation alloit toujours croissant, et gagnoit toutes les classes de la societé. On eut, à cette époque, le premier exemple d’une insurrection dans un corps militaire. Les officiers du régiment de Bassigny firent un arrêté, par lequel ils déclarèrent qu’ils ne monteroient point la garde; ils le répandirent dans le public, et offrirent aux officiers des autres régimens de le signer: des ordres partirent à l’instant de la cour, qui cassèrent le régiment, et déclarèrent les officiers incapables de servir le roi. Les soldats furent incorporés dans d’autres corps.

A Paris et dans les provinces, le vœu général repoussoit les nouveaux édits, et hâtoit la convocation des états-généraux. Voici ce qu’on lisoit dans un écrit intitulé, Mémoire au roi pour la noblesse du Dauphiné: «descendant de S. Louise, successeur de Charles V et de Louis XII, héritier d’Henri IV, chef d’un grand royaume, vous n’avez intérêt qu’à son bonheur. Plein de bonté, de justice et de principes, vous ne voulez régner que par les lois; vous n’avez pas besoin, d’inspirer la crainte, et vous pouvez tout par l’amour: vous avez goûté le bonheur que donnent les acclamations d’une province: vos simples desirs seront toujours plus puissans sur notre cœur que les menaces. Enfin, nous sommes vos enfans, et vous n’avez qu’à paroître pour trouver dans toutes les ames, la confiance, le dévouement et le zèle qu’un père adoré recueille au milieu de sa tendre et respectueuse famille.» Sans doute elle eût toujours été tendre et respectueuse, si on ne l’eût égarée.

Dans un autre écrit qui parût vers le même tems, et qui avoit pour titre, Lettre au principal ministre, on lisoit: «le tems presse; environnez le roi de sa nation; qu’il se fie à elle; il en est encore aimé. Ne lui faites point perdre cet amour par un inutile et dangereux usage de ses soldats... Le roi a des droits, la nation a les siens. Portez-en la discussion importante au tribunal de la raison. Lassée d’obéir à des volontés, ne voyez-vous pas qu’enfin la nation françoise veut être gouvernée par des lois? Prenez confiance dans les lumières de ce siècle et l’intérêt de tous. Permettez d’écrire; c’est la seule barrière que vous puissiez opposer au danger des fausses opinions... L’habileté des ministres consiste à faire vouloir aux rois ce qui plaît aux peuples, et aux peuples ce qui plait aux rois»

Tel étoit l’esprit et le but de tous les ouvrages que faisoit éclore la crise du moment; les pamphlets se mêloient aux écrits plus sérieux; et lorsque le comte de Caraman arriva en Provence pour y faire exécuter les nouveaux édits, on répandit avec profusion ces vers, qui manifestoient l’aversion qu’ils inspiroient:

Riquet, un petit mot d’avis,

Parlement, Mistral et Durance,

Sont les trois fléaux de Provence:

Parlement ne veut pas d’édits;

Mistral au diable les emporte,

Et la durance offre son lit

A l’imprudent qui les apporte.

Cette aversion fut portée à l’excès dans le Béarn ; le peuple de Pau se transporta tout-à-coup chez le marquis de Lons, demanda à grands cris le rétablissement du parlement, et mit tant de chaleur dans cette demande, que les magistrats se virent foi cese remonter sur leurs siéges, et de reprendre leurs fonctions.

A Rennes, l’intendant ayant voulu faire afficher l’arrêt du conseil qui supprimoit les arrêtés, les protestations et les délibérations du parlement de cette province, le peuple se jetta sur les afficheurs, les précipita de leurs échelles, s’empara des exemplaires de l’arrêt du conseil, et alla les brûler devant la porte de l’intendance. L’intendant lui-même fut obligé de s’évader à franc étrier. S’il fut parti quelques heures plus tard, il eût été peut-être assassine.

A Grenoble, hommes et femmes prirent les couleurs des derniers dauphins; cocardes, cordonse canes et de montres, tout étoit mêlangé de bleu et ce jaune; les bourgeois prirent les armes; plus de trois cents gentilhommes tinrent une assemblée, dans laquelle ils jurerent sur leurs épées de défendre, jusqu’à la derniere goutte de leur sang, les privilèges de la province, et se promirent d’aller renouveller ce serment sur le tombeau du chevalier Bavard.

De tous les moyens qu’on employa pour décrier l’ouvrage des ministres, aucun peut-être n’eut plus de succès qu’une petite brochure qui avoit pour titre: Apologie de la cour plénière. L’auteur y mania avec une supériorité victorieuse, l’arme du ridicule, cette arme qui, en France, fait des blessures inguérissables à ceux qui en sont frappés.

La haine contre MM. de Brienne et de Lamoignon, fut portée au plus haut degré. Le baron de Breteuil, alors ministre de Paris, soit qu’il craignit d’y être enveloppé, soit qu’il désapprouvât réellement les ordres dont il étoit l’exécuteur, , donna sa démission, et elle fut acceptée. M. de Villedeuil fut porte à sa place par la protection de M. le comte d’Artois.

On eut recours aussi dès ce tems-là à une manœuvre que nous voyons renouveller aujourd’hui.

Les comédiens francois donnerent une représentation d’Athalie; elle fut tumultueuse: on releva avec des transports bruyans, tous les endroits de la piece qu’on croyoit pouvoir s’appliquer aux circonstances. Il seroit sur-tout difficile de se peindre le délire que produisit ce vers:

Eh! quoi, Mathan, d’un prêtre est-ce là le langage?

Livresse fut telle, qu’au sortir de la piece, on se précipitoit dans les boutiques des libraires, et on y achetoit les oeuvres de Racine, pour relire Athalie, pour en répéter les vers, comme si on ne les savoit pas par cœur.

Quoique le duc d’Orléans, depuis qu’il étoit revenu de son exil, ne parut prendre aucune part au mécontentement et à l’impatience qui se manifestoient sans effort comme sans déguisement, le public ne laissoit pas de le croire contraire aux opérations des ministres. On supposa que le maréchal de Stainville, avant de partir pour Rennes, où la cour l’envoyoit avec une armée destinée à y rétablir l’ordre, avoit eu, avec le prince, cette conversation: » Où allez-vous, lui faisoit-on demander par M. le duc d’Orléans?–A Rennes, répondoit M. le maréchal.–M. de Thyard revient donc? Non, monseigneur. A quoi donc la présence de M. de Thyard à Rennes sera-t-elle nécessaire, si vous y allez?–Monseigneur, M. de Thyard reste à Rennes pour le civil...–Oh! j’entends, faisoit-on repliquer au prince; M. de Thyard reste là-bas pour le civil, et vous, vous y allez pour l’incivil.

On supposoit que le maréchal n’acceptoit lui-même qu’à regret la mission dont il étoit chargé. Ses amis, disoit-on, lui ayant témoigné de la surprise de ce qu’il l’avoit acceptée, il leur répondit: » Je n’accepte pas, » j’obéis».

Des troupes s’approchoient de Paris, et l’on ne rencontroit sur les routes publiques que des députés et des courriers envoyés par les différentes provinces, à la cour.

Histoire de la Révolution de France et de l'Assemblée nationale

Подняться наверх