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CHAPITRE XII.
ОглавлениеInfluence de la capitale sur la révolution; formes anciennes pour la convocation de ses habitans; différend entre le prévôt des marchands et celui de Paris; plan de l’hôtel-de-ville pour la convocation; lettre de convocation pour Paris; règlement pour les trois ordres; opinion du public sur ce règlement; scène burlesque à Coutances; insulte à un prélat; aveu et portrait d’un factieux subalterne; insurrection à Nancy; vœu de quelques cahiers sur M. de Calonne; maladie du dauphin; danger que court le roi; intrigues pour élever M. de Machault au ministère; atroces impostures contre la noblesse.
Avril1789.
LA capitale du royaume a eu une telle influence sur la révolution, soit par l’aveugle facilité avec laquelle elle a reçu toutes les impressions qui lui ont été données, soit par la fatale rapidité avec laquelle elle les a communiquées aux provinces, que je dois développer avec une certaine étendue tous les événemens dont elle a été ou la cause ou le théâtre. On l’a vue depuis le commencement de la monarchie, se livrer avec fureur, dans les tems orageux, à la licence et à la rebellion: elle resta devant Louis XIV dans un immobile respect; on la vit sous le régent seconder avec frénésie les désastreuses opérations de Law; elle voulut déifier Louis XV avant que Louis XV eut mérité son amour; elle calomnia le père du roi actuel lorsqu’il vécut, et ne lui rendit justice que lorsquil fut perdu pour la France. Aujourd’hui nous la voyons retenir dans ses murs le descendant de Henri IV, et se repaître sans émotion du spectacle d’un jeune roi et d’une jeune reine innondant de leurs larmes le plus beau trône de l’univers; spectacle douloureux que l’étranger n’ose venir contempler, et qui fait sourire des François. Quel inconcevable délire! Et moi-même en songeant aux attentats que j’ai à décrire, en me rappellant les forfaits dont Paris sest souillé, je frémis d’avance. Je n’en dissimulerai aucun; je dirai la vérité, et la dirai avec sévérité, car je ne sais pas plus flatter les cités que les rois. Je connois et je brave tout le danger qui peut être le prix de ma franchise. Les bourreaux et les assassins dont je me suis vu plus d’une fois environné dans les murs de cette ville, ne m’ont jamais effrayé, et me fit-on subir mille morts, ces pages que je jette à la postérité, ne descendront pas avec moi dans le tombeau.
Avant que les lettres de convocation pour la capitale parussent, il s’étoit élevé une difficulté entre son prévôt ou son lieutenant, et le prévôt des marchands. Tous les deux se disputoient le droit d’assembler les habitans. Les formes auciennes et la raison décidoient la question en faveur du prévôt des marchands.
Dans les lettres adressées pour la tenue des derniers états-généranx, tant au prévôt de Paris qu’à celui des marchands, on lit ces expressions:
«S.M. desirant conserver en toutes choses les priviléges dont le corps municipal, les manans et habitans de Paris ont toujours accoutumé de jouir, étant d’ailleurs bien raisonnable que ladite ville qui est capitale du royaume, et qui a toujours servi de patron et de miroir d’obéissance à toutes les autres villes d’icelui, soit décorée de quelques priviléges pardessus toutes les autres, elle les maintient spécialement et positivement dans celui dont il s’agit de faire de son chef, dans les états-généraux, un corps à part d’avec le reste de la prévôté de Paris».
Dans l’arrêt du conseil du17mars1651, rendu pour la convocation des états-généraux qui n’eurent pas lieu, on lit ces autres expressions:
«Les rois nos prédécesseurs, pour la dignité et excellence de notre bonne ville de Paris, ont voulu constamment qu’elle fit de son chef, aux états-généraux, un corps à part d’avec le reste de la prévôté de Paris, ainsi qu’il a toujours été fait. Ils ont ordonne expressément que la convocation des habitans de la ville et fauxbourgs de Paris, ne seroit faite que par le prévôt des marchands et échevins; que le prévôt de Paris s’abstiendroit de cette convocation, ne s’y immisceroit pas, et borneroit la sienne aux habitans de la prévôté et vicomte; que les habitans de la bonne ville de Paris et de ses fauxbourgs ne seroient tenus aucunement de comparoir en la convocation et assemblée qui seroient faites par le prévôt de Paris, desquelles ils sont déclarés exempts, ensemble de la jurisdiction et connoissance dudit prévôt de Paris, pour le regard de ladite convocation, et sans que ledit prévôt de Paris se puisse aucunement commettre pour le fait desdits états en ce qui concernera la bonne ville de Paris et ses fauxbourgs.
On voit par ces monumens de notre ancienne législation, que le prévôt de Paris avoit toujours été chargé de convoquer la banlieue, et que la convocation des habitans de l’intérieur de la ville, avoit toujours été confiée au prévôt des marchands. Cet arrangement étoit sage, et la nombreuse population de la capitale le commandoit; c’étoit déja un assez grand inconvénient pour une sage élection que cette énorme population, que cette foule innombrable de citoyens étrangers les uns aux autres. On voit en effet qu’à Paris non-seulement les habitans du même quartier, mais encore les personnes qui logent dans la même maison, qui partagent le même étage, ne se connoissent pas. Il devoit donc arriver que, dans le choix des députés, la plupart des électeurs ne pouvant avoir une connoissance intime des moeurs et des lumières du sujet à élire, s’en rapporteroient au bruit public, à la réputation du candidat, et l’aveugle fortnne distribue bien souvent les réputations comme les richesses. Il eût donc été impolitique d’aggraver à cet inconvénient, en augmentant la confuse population de Paris de toute celle des environs; et il étoit au contraire de la sagesse du gouvernement, de diviser en plusieurs parties cette-énorme masse, et de rapprocher autant qu’il se pourroit dans les assemblées primaires, ceux des citoyens qu’on présumeroit se connoître davantage.
Le prévôt de Paris cependant soutint ses prétentions avec chaleur; on lui répondit par le défi de montrer, depuis la première époque des assemblées nationales, l’exemple d’une seule députation aux états-généraux dont les membres n’eussent pas été élus dans les assemblées convoquées à l’hôtel-de-ville, en vertu des lettres-de-cachet adressées par le roi au prévôt des marchands et échevins.
Le prévôt de Paris ne répliqua point à ce défi; mais il proposa des voies de conciliation, qui ne pouvoient être acceptées, puisque la nature de l’objet contesté n’en comportoit pas une division. Le chàtelet annonça alors un combat judiciaire; pour l’annoncer, il n’y avoit pas d’autre moyen que de former opposition à l’arrêt du conseil dont j’ai parlé plus haut, et qui, comme on l’a vu, avoit déja décidé la question.
Le prévôt des marchands fit mettre sous les yeux du roi un mémoire dans lequel se trouvoient établis avec justice, avec clarté, avec précision les droits de la ville de Paris: les lettres de convocation des douze septembre mil cinq cent soixante et douze, neuf juin mil six cent quatorze, et dix-sept mars mil six cent cinquante-un, servoient de pièces justificatives à ce mémoire, et elles étoient sans réplique.
Le public voyoit avec impatience ces démêlés, il craignoit qu’ils ne reculassent encore le moment après lequel on soupiroit; mais personne ne prenoit parti dans la querelle; il paroissoit indifférent aux habitans d’être convoqués par le châtelet ou par l’hôtel-de-ville. Il étoit cependant aisé de voir que l’innovation que proposoit le prévôt de Paris n’étoit justifiée par aucun motif d’utilité générale ou particulière; et il eût dû paroitre plus naturel et plus avantageux aux bourgeois de la capitale d’être convoqués par un corps qui étoit censé les représenter, que par un juge royal.
Une autre question bien plus difficile encore, se présentoit à résoudre. Il s’agissoit de déterminer les moyens par lesquels on pouvoit parvenir à former une assemblée générale avec ordre, sans inconvénient, sans embarras, et tellement organisée qu’elle répondît à l’attente et au vœu de tous.
L’hôtel-de-ville s’occupa de ce travail. Dans le plan qu’il traça, il excluoit de l’assemblée générale les femmes, les mineurs, les manœuvres, les gens en service, sans domicile, sans aveu, ceux repris de justice, ou sous le poids d’une interdiction civile; les étrangers, ceux qui, quoique domiciliés n’étoient pas naturalisés; enfin tous les citoyens qui payoient moins de six livres de capitation.
Cette dernière disposition étoit sage, car quiconque vent contribuer par lui-même à la législation de son pays doit en être membres; il doit y tenir par ses propriétés, et contribuer aux charges publiques. Il est d’ailleurs dans tous les états une classe d’hommes qui, par son éducation, sa misère, le genre de ses travaux, doit être avec soin éloignée des fonctions publiques, parce qu’elle n’y prend aucun intérêt, parce que ses idées sont étroites, ses principes nuls, et que son ignorance égale son indifférence pour tout ce qui s’élève au-dessus des besoins individuels.
Suivant ce plan, les rôles de capitation auroient fourni rue par rue, et conséquemment quartier par quartier, l’état numérique et nominatif des habitans à convoquer. Chaque quartinier auroit fait proclamer sa convocation, et les habitans seraient venus, munis de leur extrait baptistaire et de leur quittance de capitation, se faire inscrire sur son registre.
Pour éviter un trop grand rassemblement sur un même point, on aurait formé, sous l’inspection des cinquanteniers et des dixainiers, des sous-districts. On estimoit que parmi les citoyens ayant les qualités requises, il n’y aurait pas plus de quarante à cinquante mille votans. Ainsi les seize quartiers de Paris, sous-divisés en cinq districts, auroient formé quatre-vingts assemblées particulières, dont chacune aurait été composée de cinq à six cens votans.
La réunion d’un si grand nombre d’individus demandoit un vaste emplacement; l’hôtel-de-ville ne vit rien de mieux à cet égard, que d’employer une église pour chacune de ces assemblées. Idée malheureuse qui a converti nos temples en corps-de-garde, et a accoutumé le petit peuple à les regarder moins comme la demeure même de la divinité, que comme des salles de spectacle.
Le quartinier, faisant les fonctions de président de son assemblée, aurait appellé individuellement tous ceux dont les noms auroient été inscrits sur son registre. Si, dans le cours de l’appel, il se fut élevé quelque contestation sommaire sur des moyens de récusation, ou sur tout autre objet, elle aurait été décidée sur-le-champ, par cinq des principaux membres de l’assemblée réunis au quartinier. Cette forme étoit simple, expéditive et populaire.
Le scrutin paroissoit à l’hôtel-de-ville, le moyen le plus propre à prévenir la vénalité, la complaisance et tous les genres de corruption. On aurait imprimé des billets d’un format suffisant, dans lesquels il n’y auroit eu à remplir que le nom de l’électeur et la signature du votant qui aurait jetté son billet dans la boite destinée à le recevoir. La signature du votant n’étoit pas une formalité admissible, parce qu’elle pouvoit gêner la liberté des suffrages. Il falloit laisser chacun maître de se livrer à l’impulsion de sa conscience, et démentir, dans le secret, les engagemens qu’il aurait pu prendre avec un protecteur ou un ami.
L’ouverture de la boîte se serait faite avec la plus grande authenticité, en presence de toute l’assemblée.
Cette forme d’élection offrait un grand avantage; c’est qu’en reunissant sur des points éloignés, et à des jours différens, ces différentes assemblées partielles, toute la force publique aurait pu se porter vers le lieu où elles auraient été convoquées, s’il s’y étoit manifesté quelque mouvement dont on eût craint les suites pour la tranquillité du reste de la ville.
Enfin, la convocation des habitans de Paris offrait un troisième problême à résoudre, et celui-ci étoit le plus important: devoit-on dans les assemblées primaires réunir ou diviser les trois ordres? Si l’on eût voulu encore ici consulter les monumens anciens et une réglé invariablement suivie depuis un tems immémorial, la question n’auroit pas même été proposée. En effet, par un usage bien respectable, et qui avoit force de loi, tous les habitans de la capitale étoient unis par un même lien. Ecclésiastiques, princes, nobles, plébéiens, nous étions tous bourgeois de Paris. Tous les titres, toutes les distinctions, ’toutes les différences alloient se perdre dans cette qualité que le monarque le plus digne d’être comparé à Louis XVI s’honoroit de prendre.
La commune de Paris étoit dans ces tems-là une mère qui ne voyoit plus dans ses enfans, lorsqu’ils étoient réunis sous ses yeux, que des-frères parfaitement égaux, et parmi lesquels il n’en étoit pas un seul pour lequel elle voulût avoir une préférence qui l’auroit distingué de ses autres frères; ce n’étoit qu’en prenant la qualité de bourgeois de Paris qu’on devenoit membre de la commune, et qu’on en acquérait les titres et les droits. Il falloit donc respecter un usage dont la conservation n’avoit aucun inconvénient, et dont, dans la circonstance actuelle, on aurait pu tirer les plus grands avantages. Il falloit donc, puisque d’ailleurs on y étoit autorisé par les loix anciennes, rappeller aux habitans de la capitale qu’ils étoient tous bourgeois de Paris, et les réunir sans division d’ordre.
La cour ne se conforma qu’en partie, pour la solution de la première question, à ce qui avoit été établi jusqu’à ce moment. Elle distingua bien la population de la capitale de celle de la banlieue; mais le prévôt des marchands reçut seulement le droit do convoquer les habitans composant le tiers-état de Paris.
La lettre de convocation pour le tiers-état fut donc adressée au prévôt des marchands. Entre les dispositions qui lui étoient communes avec celle adressée à tous les bailliages et à toutes les sénéchaussées, il y en avoit de particulières pour Paris. Le roi y disoit:
«Vous mandons, et très-expressément enjoignons qu’incontinent la présente reçue, vous ayiez à convoquer et assembler, dans le plus bref tems que faire se pourra, tout le tiers-état de notre bonne ville de Paris, pour élire, pardevant vous, trois cens députés pour ledit ordre, lesquels se rendront an jour qui sera indiqué par le prévôt de Paris, en l’assemblée qui sera tenue pardevant lui, des trois états de notre-dite bonne ville, pour conférer et pour communiquer ensemble, tant des remontrances, plaintes et doléances, que des moyens et avis qu’ils auront a proposer en l’assemblée générale de nosdits états; et ce fait, élire, choisir et nommer dix députés de l’église, dix députés de la noblesse, et vingt députés du tiers-état, sans plus de chaque ordre, tous personnages dignes de cette grande marque de confiance, par leur intégrité et par le bon esprit dont ils seront animés: et qu’ensuite vous ayez à inviter lesdits quarante députés à se rendre dans une assemblée de votre hôtel-de-ville, pour concourir à la rédactiou du cahier particulier à la municipalité, lequel cahier ils porteront directement aux états-généraux: lesquelles convocations et élections seront faites dans les formes prescrites par le réglement annexe aux présentes lettres, et seront lesdits députés munis d’instructions et pouvoirs généraux et suffisans....»
Le reste de la lettre ne contenoit rien qui ne se trouvât dans celle envoyée dans tout le royaume. Sa suscription étoit: A nos très-chers et bien amés, le prévôt des marchands, et échevins de notre bonne ville de Paris.
Quant au réglement, voici les articles qui étoient particuliers au tiers-tat de la capitale.
1o. L’assemblée du tiers-état se tiendra le mardi 21avril; elle sera divisée en soixante arrondissemens ou quartiers. Les habitans composant le tiers-état, nés François ou naturalisés, âgés de vingt-cinq ans, et domiciliés, auront droit d’assister à l’assemblée déterminée pour le quartier dans lequel il réside actuellement, en remplissant les conditions suivantes, et nul ne pourra s’y faire représenter par procureur.
2o. Pour être admis dans l’assemblée de son quartier, il faudra pouvoir justifier d’un titre d’office; de grades dans une faculté; d’une commission ou emploi; de lettres de maîtrise, ou enfin de sa quittance ou avertissement de capitation, montant au moins à la somme de six livres en principal.
3o. Avant d’entrer dans l’assemblée, chacun sera tenu de remettre à celui qui aura été préposé à cet effet un quarré de papier sur lequel il aura écrit ou fait écrire lisiblement son nom, sa qualité, son état ou profession, et le nom de la rue où il a son domicile actuel; il recevra en échange le billet qui lui servira pour l’élection.
4o. Tous les quarrés de papier seront réunis par centaines, et remis au sur et mesure au greffier; ils serviront à faire l’appel à liante voix de toutes les personnes présentes rassemblées, ainsi que de leurs qualités, états et professions.
5o. Chaque assemblée sera tenue et présidée par un des officiers du corps municipal, ancien ou actuel; chaque officier sera accompagné d’un greffier ou secretaire qui fera les fonctions de secrétaire de l’assemblée.
6o. L’assemblée commencera à sept heures du matin, et on y sera admis jusqu’à neuf heures précisés que les portes seront fermées. Dès qu’il y aura cent personnes réunies, le président, assiste de quatre notables, bourgeois domiciliés depuis plusieurs années dans le quartier, se fera représenter le titre ou la quittance de capitation de ceux qui ne leur seront pas connus, et la décision qui interviendra sera exécutée par provision, sans pouvoir servir ni préjudicier en aucun autre cas.
7o. Lorsque la vérification aura été achevée et que les portes auront été fermées, il sera procédé à haute voix à l’appel de tous les membres de l’assemblée, par leurs noms, qualités, états et professions; on comptera le nombre des assistans, et il servira à déterminer le nombre des représentans qui sera choisi; ce nombre sera d’un sur cent présens; de deux au-dessus de cent; de trois au-dessus de deux cent, et ainsi de suite.
8o. Quand le nombre des représentans à élire aura été déterminé, le président le fera connoître, et annoncera que le choix doit être fait parmi les personnes présentes ou parmi celles qui, à raison de leur domicile actuel dans le quartier, auroient eu le droit de se trouver à l’assemblée.
9o. Chacun écrira sur le billet qui lui aura été remis en entrant dans l’assemblée autant de noms qu’il doit être choisi de représentans. Le greffier fera l’appel à haute voix. Celui qui aura été appelle se présentera au président, et lui remettra son billet; et quand tous les billets auront été recueillis, le président en fera faire lecture à haute voix. Tous les noms compris dans les billets seront écrits aussitôt qu’ils seront proclamés; et ceux qui auront réuni le plus de suffrages seront élus.
10o. Le procès-verbal de l’assemblée contiendra les noms, qualités, états et professions des représentans qui auront été choisis.
110. Tous les représentans du tiers-état de la ville de Paris se rendront à l’assemblée du corps municipal qui sera convoquée pour le mercredi22avril. Les procès-verbaux faits dans les soixante divisions serviront à en faire l’appel. Il y sera formé une liste de tous les représentans, laquelle sera arrêtée et signée dans la forme usitée à l’hôtel-de-ville; et l’expédition en sera remise aux représentans qui La déposeront dans le jour au greffe du châtelet, pour servir à l’appel des représentans à l’assemblée des trois états.
Ces dispositions ne regardoient que le tiers-état; voici celles qui. concernoient Le clergé;
1o. Tous les curés de Paris tiendront dans le lieu qu’ils croiront le plus convenable, le mardi21avril, l’assemblée de tous les ecclésiastiques engagés dans les ordres, nés françois ou naturalisés, âges de vingt-cinq ans, et domiciliés sur leurs paroisses, qui ne possèdent point de bénéfice dans l’enceinte des murs. Cette assemblée procédera à la nomination d’un secrétaire et au choix de ses representans, raison d’un sur vingt présens, deux au-dessus de vingt jusqu’à quarante et ainsi de suite, non compris le curé à qui le droit de se rendre à l’assemblée des trois états de la ville de Paris appartient à raison de son bénéfice.
2o. Les chapitres séculiers d’hommes tiendront au plus tard le même jour21avril, leur assemblée, et procéderont au choix de leurs représentans. Tous les autres corps et communautés ecclésiastiques feront choix au plus tard le même jour de leurs fondés de pouvoirs.
3o. Les procès-verbaux de nomination des représentans choisis dans les paroisses, ainsi que les actes capitulaires des chapitres et des corps et communautés ecclésiastiques, seront remis le même jour au prévôt de Paris, et par lui déposés au greffe du Châtelet, après qu’ils auront servi à l’appel qui sera fait dans l’assemblée des états.
A l’égard de la noblesse le règlement contenoit les dispositions suivantes:
1o. L’assemblée générale de l’ordre de la noblesse se tiendra le20avril; elle sera divisée en vingt parties suivant les quartiers dont les limites, ainsi que le lieu de l’assemblée, seront déterminés par l’état qui sera annexé à l’ordonnance du prévôt de Paris ou lieutenant-civil.
2o. A chacune des assemblées assistera un magistrat du Châtelet qui aura son suffrage, s’il a la noblesse acquise et transmise; dès que l’assemblée sera formée elle se choisira un président; elle pourra aussi nommer un secrétaire, à moins qu’elle ne préfère de se servir pour la rédaction de son procès-verbal du ministère du greffier dont le magistrat du Châtelet sera assisté.
3o. Tous les nobles possédant fiefs dans l’enceinte des murs seront assignés pour comparoître ou en personne, ou par leurs fondés de pouvoirs, à celle de ces assemblées partielles que présidera le prévôt de Paris, assisté du lieutenant-civil et du procureur du roi.
4o. Tous les nobles ayant la noblesse acquise et transmissible, nés François ou naturalisés, âgés de vingt-cinq ans, justifiant de leur domicile à Paris (s’ils sont requis de le faire) par la quittance ou l’avertissement de leur capitation, auront le droit d’être admis dans l’assemblée déterminée pour le quartier dans lequel ils résident actuellement, et nul ne pourra s’y faire représenter par procureur.
5o. S’il s’élève quelque difficulté à raison de la qualité de noble, l’assemblée nommera quatre gentilshommes pour, avec le président qu’elle se sera choisi, assister le magistrat du Châtelet qui remplacera le lieutenant-civil; la décision qui interviendra sera exécutée par provision, sans pouvoir servir ni préjudicier dans aucun autre cas.
6o. Le nombre des présens déterminera celui des représentans à nommer, et quand le nombre aura été constaté, on procédera au choix des représentans dans la proportion d’un sur dix, de deux au-dessus de dix jusqu’à vingt, et ainsi de suite. Ils seront choisis parmi les membres de l’assemblée, ou parmi ceux qui, à raison de leur domicile actuel dans le quartier, auroient eu le droit de s’y trouver.
Le règlement contenoit encore ces trois autres dispositions.
1o. Quoique l’assemblée des trois états de la ville de Paris, composée d’un grand nombre de représentans qui auront obtenu la confiance de leur ordre, donne l’assurance que les cahiers seront rédigés avec le soin qu’on doit attendre de la réunion des talens, des lumières et du zèle; il sera libre néanmoins à tous ceux qui voudroient présenter des observations ou instructions, de les déposer au châtelet ou à l’hôtel-de-ville, dans le lieu préparé pour les recevoir, et ils seront remis aux commissaires chargés de la rédaction des cahiers.
2o. L’université de Paris ayant joui long-tems delà prérogative d’envoyer des députés aux états-généraux, aura le droit de nommer des représentans qui iront directement à l’assemblée des trois états, de la ville de Paris; permet en conséquence sa majesté aux quatre facultés qui composent ladite université, de s’assembler dans la forme accoutumée, et de choisir quatre de ses membres, un du clergé, un de la noblesse et deux du tiers-état, qui se rangeront à l’assemblée générale, dans leur ordre respectif, et concourront à la rédaction des cahiers, et à l’élection des députés aux états-généraux, sans préjudice du droit individuel des membres de ladite université, d’assister à la première assemblée de leur ordre.
Le peu de sagesse de quelques articles de ce réglement, est sans doute le fruit de la précipitation avec lequel il fut redigé; mais la cour qui devoit voir par la disposition où étoient les esprits, que le tiers-état n’adopteroit de ces articles que ceux qui lui conviendroient n’auront-elle pas mieux fait de se-contenter de poser des règles générales que d’entrer dans des détails qui étant impraticables, accoutumoient à enfreindre les volontés du roi?
L’ensemble, comme les détails, tout déplut dans ce réglement, et excita un murmure général; il n’étoit pas sans fondement. Les intérêts de la capitale étoient blessés; les droits et les priviléges qui appartenoient à l’universalité des citoyens des trois ordres étoient violés. L’hôtel-de-ville avoit droit de se plaindre qu’on eût méconnu ses prérogatives. La commune, dont tous les habitans de Paris avoient fait partie jusqu’à ce moment, sans distinction d’état, ni de naissance, étoit détruite.
La noblesse elle-même n’avoit pas lieu d’être contente; son droit d’élection étoit affoibli, et on la soumettoit à une réduction qui n’avoit pas eu lieu dans les provinces.
La loi imposée à chaque assemblée, de choisir les représentans dans son sein ou dans son quartier, à l’exclusion des autres assemblées et des autres quartiers rendoit à peu-près illusoire le droit réciproque d’élire et d’être élu; car il pouvoit très-bien se faire que le votant ne trouvât ni dans l’assemblée, ni dans son quartier, l’objet de sa confiance. Je remarque de plus que par la manière dont on avoit fait la démarcation de ces quartiers, deux citoyens dont l’ un logeoit dans la maison située vis-à-vis celle qu’habitoit l’autre, ne se trouvoient pas membres de la même assemblée.
Un des incovéniens contre lesquels on se recriroit le plus, c’est que les habitans fussent privés de l’avantage de concourir par eux-mêmes à la rédaction de leurs cahiers, et de s’en rapporter à cet égard à une élection, comme si l’on pouvoit transmettre sa volonté, en même-tems que son pouvoir. Il étoit difficile de remédier à ce dernier inconvénient, qui étoit cependant le plus contraire à l’intérêt particulier et général. L’intervalle étoit trop court entre la publication du réglement et l’ouverture des états-généraux, pour que chaque assemblée eût le tems de rédiger un cahier avec toute la maturité qu’exigeoit un travail de cette importance. Il auroit fallu ensuite que les électeurs étudiassent ces cahiers, qu’ils les comparassent, et que de tous ces voeux partiels, ils n’en composassent qu’un seul qui eût l’assentiment de toutes les assemblées primaires. Mais ces opérations eussent entraîné des longueurs qui auroient reculé de plusieurs mois la prmière séance de l’assemblée nationale; et on craignoit trop de laisser gagner du tems aux ministres, dont on soupçonnoit toujours les intentions, pour prendre une marche aussi lente.
On feignit donc d’acepter le réglement, et on l’accepta en effet sans réclamation authentique; niais on invita par un avis circulaire, tous les habitans à ne point se départir de deux mesures qui remédiroient, dit-on, a tout, autant qu’il étoit possible.
La première de ces mesures étoit de ne point se conformer au réglement sur l’article des élections par quartier, et d’élire franchement d’un quartier à l’autre les personnes qu’on croiroit les plus dignes de cette marque de confiance.
La seconde mesure étoit d’imposer aux députés la loi de ne point délibérer sur la dette publique ni sur d’autres matières, sans avoir assuré:
La liberté individuelle des citoyens.
La liberté de la presse.
La périodicité des états-généraux.
La cessation des pouvoirs des députés, après un terme révolu.
Leur droit de faire les lois avec la sanction du roi.
Leur droit d’accorder des subsides déterminés, quant a la somme, pour un an seulement, ou tout au plus, pendant la durée de leurs pouvoirs.
Leur droit de fixer les fonds de chaque département.
L’inamovibilité des juges.
La responsabilité des ministres, et celle des magistrats, s’il arrivoit que les premiers, par leurs signatures ou leurs conseils, et les derniers par leurs conseils portassent quelqu’atteinte à quelqu’un de ces neuf articles.
Ainsi, tandis qu’en Provence on établissoit pour vérité incontestable, que le roi étoit le législateur provisoire, et par conséquent qu’à lui seul appartenoit le pouvoir d’organiser les assemblées qui dévoient être les élémens de celle des états-généraux: à Paris, on prêchoit aux habitans une doctrine toute contraire, puiqu’on les engageoit à ne tenir aucun compte des décisions du souverain. Cette versalité dans les principes et les opinions, se reproduira a chaque occasion importante, à mesure que nous avancerons sur le but qu’on a voulu atteindre-: le roi etoit en1789, comme il devroit l’être encore aujourd’hui, non le législateur perpétuel, unique et nécessaire, Il avoit le droit, la puissance, et c’étoit pour lui une obligation essentielle, d’ordonner toutes les mesures à prendre pour une sage convocation d’états-généraux.
A cette première vérité, il falloit en ajouter une seconde, c’est que le roi en sa qualité de chef d’une monarchie tempérée, étoit tenu lui-même d’en respecter les lois fondamentales, et on ne dira pas qu’avant1789, nous n’avions point de lois fondamentales, puisque l’assemblée nationale elle-même en a reconnu. Le roi, à son sacre, a fait un pacte avec l’église, avec la noblesse, avec le reste de ses sujets. Très-certaine ment, il n’a jamais eu l’intention de violer les conditions de ce pacte.
Dans le cas donc où le roi en règlant tout ce qui avoit rapport aux états généraux, n’auroit point blessé les lois fondamentales de la monarchie, ses sujets devoient une entière obéissance aux dispositions qu’il auroit ordonnées; ils ne pouvoient les enfreindie, sans devenir des rebelles.
Si le roi au contraire eût méconnu quelques-unes de ces lois essentielles, il etoit évident que sa religion auroit surprise; c’eût été une erreur qui ne pouvoit lui être imputée, parce qu’il eut été absurde de s’imaginer que le roi eût agit contre ses propres intérêts; et de deux contractans, celui-là agit contre ses intérêts, qui manque à ses engagemens, parce qu’il autorise l’autre à manquer aux siens. Il falloit donc éclairer le roi sur son erreur, qui de sa part étoit involontaire; il falloit porter au pied du trône de respectueuses réclamations. Si le prince trompé par des conseillers persides en eut meconnu la justice, il falloit que tous les corps, toutes les corporations, tous les particuliers qui se, croyoient lèzés, substituassent à ces réclamations des protestations qui eussent donné à leurs droits une nouvelle force; voilà une seule insurrection, qui dans tout état bien ordonné, soit permise; et c’est seulement lorsqu’elle protège ainsi les bases de la société a laquelle on s’est agrégé, qu’on peut l’appeller le plus saint des devoirs: et si malgré de légales protestations, le monarque eût persiste à vouloir des formes inconciliables avec la conservation de la monarchie; il ne restait plus qu’un parti à prendre, c’etoit d’obéir, et d’attendre du tems, de la justice du roi, d’une autre circonstance, la restauration des droits contre lesquels des siècles même n’auroient pu prescrire, puisqu’ils étoient sous la sauve-garde des protestations.
Ce fut donc un grand mal, un exemple funeste, d’enfreindre le réglement du roi, sans faire précéder cette infraction des formalités légitimes. Les sujets se. sont ainsi accoutumés à la désobéissance, et à ne plus reconnoître d’autre volonté que la leur propre, et c’est un reproche de plus à faire au ministre qui fit émaner du trône des dispositions dont il savoir bien que quelques-unes étoient impraticables.
Le tiers-état trouvoit encore dans le réglement des distinctions humiliantes pour lui: il se plaignit, entr’autres, de ce qu’on ne lui laissoit pas, comme à la noblesse, le choix de son président. Il étoit aisé de ne point donner ce nouveau prétexte de jalousie contre le second ordre, et il étoit d’autant plus important d’éviter avec scrupule d’accroître cette jalousie, que le germe de la haine que, dans le troisième ordre, on portoit à la noblesse, s’étoit glisse jusques dans les dernières classes de la société. Une scène burlesque qui se passa a Coutances, en offrit une preuve affligeante.
Un gentilhomme se promenoit avec une dame aux environs de cette ville; il fut rencontré par un paysan monté sur son âne, qui vient droit à lui, le sépare pour se faire passage, d’avec sa compagne, et à cette première malhonnêteté en ajoute une seconde plus grossière encore, et que la décence ne permet pas de dire. Le gentilhomme se plaignit, fit des représentations, le rustre répliqua, fit, à sa manière des plaisanteries sur les plumets et les attributs de la noblesse. L’offensé se piqua, on se menaça, on finit par se frapper mutuellement. Le gentilhomme, dans ce genre de combat si peu fait pour lui, eut le dessous: il mordit la poussière.
Cette scène fit beaucoup de bruit à Coutances: le tiers-état regarda le paysan comme un champion qui honoroit son ordre, et la noblesse regarda l’adversaire du campagnard comme un imprudent; bien loin de prendre parti pour lui, elle témoigna de l’intérêt au paysan, et lui offrit une somme d’argent. Il la refusa, et se jetta dans le tiers-état, dont les membres se cotisèrent pour lui donner une fête qui fut une véritable insulte au second ordre. On le promena dans toutes les rues de la ville, monte sur son âne; le cavalier et l’animal étoient couverts de plumets, de cocardes, de rubans, et l’un et l’autre avoit à son côté une épée. Plusieurs ânes affublés des memes ornemens et de la même arme suivoient, et tout le cortège étoit fermé par un troupeau de cochons couverts également de plumets et de rubans, et ayant aussi chacun le corps ceint d’une épée.
L’allusion étoit aisée à saisir; la noblesse ne s’en offensa pas; elle jouit en souriant de ce grotesque spectable, et cette modération lui fit beaucoup d’honneur. Qui peut dire ce qui seroit arrivé, si elle se fût permise de telles plaisanteries sur le troisième ordre? Ces signes de licence n’étoient en eux-mêmes que méprisables, mais ils etoient alarroaus et auroient dû être réprimés, parce qu’ils préparoient à des atrocités.
On agissoit avec encore moins de ménagement, et sur le plus léger prétexte, envers les membres du premier ordre; et il est remarquable que dans toutes les humiliations qu’on a fait éprouver aux ecclésiastiques, on y a mis un caractère particulier d’animosité, un degré de haine de plus que dans les violences qu’ont eu à essuyer ceux qui n’etoient pas membres du clergé. Ainsi à Coutances on se contenu toit de mortifier la noblesse par, une indécente farce, mais à Mâcon, M. Moreau fut maltraité personnellement. Le petit peuple environna sa voiture, on lui jetta des pierres; ses gens furent frappés, ses chevaux blessés; des malheureux approchèrent même du son palais des matières enflammées.
Comme on lisoit à Paris, clans un des cafés du palais-royal, une lettre qui contenoit une relation de Ces excès, un homme se lève et s’écrie: Dieu soit loué! Il ajoute à celte exclamation des blasphêmes et des imprécations contre le prélat; et après avoir fait un long récit de prétendus griefs qu’il disoit avoir contre lui, il finit par cet aveu: aussi l’ai-je bien recommandé au peuple.
Cet homme, c’est ce marquis de Saint-Huruge, célèbre parmi les factieux subalternes, sans autre talent que celui de haranguer la vile populace. Et quel funeste usage n’a-t-il pas fait de ce talent? Orateur des cafés, oracle des bandits qui s’attroupoient au palais-royal, il a prêché tous les crimes. Digne émule du chevalier Rutleidge, comme lui échappé aux prisons de l’ancien régime, il a cherché à le surpasser dans l’art d’attiser le feu de la sédition, d’exciter des mouvemens populaires. Tous les deux intrépides au milieu de leurs crédules auditeurs, mais trop lâches pour courir au danger, se sont bornes a servir, par leurs clabauderies incendiaires, les principaux chefs de la rébellion, et ils il ont eu d’autre part aux mouvemens de la révolution, que d’avoir harangue des groupes d’assassins soudoyés. Tous les deux, traduits dans les tribunaux par leurs complices, ont été arrachés, par ceux qui les employoient, au glaive des loix; mais quel supplice vaudroit pour eux l’infamie dont ils sont couverts? Tous les deux enfin aventuriers obscurs, ont été, l’un le zoïle de ses bienfaiteurs, l’autre l’opprobre de sa famille.
Je n’ai point chargé le tableau, l’idée que le marquis de Saint-Huruge a de lui-même, ne dément pas l’opinion du public. Accosté en effet un jour au palais-royal, d’où il ne bouge, par un homme de qualité qui ne l’avoit vu depuis long-tems, et qui ne l’approchoit que pour lui demander l’adresse d’un marchand, il lui cria avec naïveté: «Ah! monsieur que faites-vous? vous êtes déshonoré si vous m’approchez; sachez que je suis la plus détestable compagnie de Paris». Je tiens ce fait du gentilhomme même a qui le marquis de Saint-Huruge a fait cette ingénue réponse. Ce gentilhomme est de la maison de Clermont-Tonnerre,
Dans toutes les villes du royaume, les chefs du parti qui se formoit avoient dès-lors des agens de cette trempe; leur grand moyen étoit d’effrayer le peuple par la crainte d’une disette de grains; ils excitèrent une insurrection à Nancy; la foule se précipita tout-à-coup vers le magasin qui renfermoit le bled nécessaire pour la consommation de la ville et le força. Le régiment du roi fut commandé pour marcher contre les mutins, et il se comporta avec une telle sagesse que, sans effusion de sang, il empêcha le pillage, et rétablit l’ordre. Le tems n’étoit pas éloigné où l’insurrection gagneroit les troupes elles-mêmes.
La cour sembloit sans inquiétude sur tous ce symptômes d’anarchie; elle avoit une confiance aveugle en M. Necker, qui lui-même n’étoit occupé qu’à hâter les préparatifs du grand jour qui s’approchoit, et paroissoit ne prendre aucune part à tout ce qui ne s’y rapportoit pas directement. Son insouciance alloit jusqu’à ne prendre, en apparence, aucun soin de sa propre réputation. M. de Calonne ne cessoit de demander qu’il lui fut permis de venir plaider, en présence de la nation assemblée, le procès qui s’étoit élevé entre lui et son successeur. M. Necker, avant sa seconde élévation, avoit sollicité la même faveur. Il ne fit aucune attention aux desirs réitérés de son rival, et ne se montra pas plus complaisant pour les voeux que manifestèrent à cet égard quelques cahiers. Celui du tiers-état de Cahors l’énonça sans détour. Le clergé d’Autun l’énonça aussi, mais avec plus de circonspection, comme s’il eût voulu ménager l’amour-propre du ministre actuel. Il s’enveloppa dans cette phrase adroite:
«Il faut juger le déficit, par conséquent examiner ses causes, flétrir ses auteurs coupables, permettre à ceux a qui on l’impute particulièrement, de venir se justifier
Sans inquiétude sur les fléaux qui dévoient désoler le royaume, lorsqu’il ne seroit plus tems d’en arrêter les progrès, la cour étoit cependant dant le deuil. La santé du jeune dauphin dépérissoit tous les jours, et les médecins ne donnoient sur sa guérison que des espérances incertaines. Son auguste mère l’arrosoit de ses larmes; ses plus doux momens étoient ceux qu’elle passoit auprès de cet enfant chéri qui souffroit les plus cruelles douleurs avec une patience inaltérable, et s’affligeoit des pleurs de sa mère. La tristesse de la reine se répandoit sur tous ceux qui l’entouroient, et déjà dans la plus brillante cour de l’Europe, on ne connoissoit plus le plaisir.
Peu s’en fallut que ce deuil ne fût porté à l’excès; un malheur, dont la seule idée fait frémir, menaça la France entière: les jours du roi lui-même furent en danger. Ce prince visitoit un jour les réparations qui se faisoient à la couverture de cette partie de son château, qui est au-dessus de la cour de marbre. Sa majesté fit un faux pas, et le péril fut si grand qu’elle alla heurter la rampe qui termine le toît, et en fit voler un éclat dans la cour. Heureusement un des couvreurs qui se trouvoit à cette extrémité du toît, fut assez adroit et assez vigoureux pour retenir le roi, et le préserver d’une chûte. Cet homme, qu’on peut regarder comme l’ange tutélaire du royaume, reçut pour cet important service une pension de1200livres. de n’ose croire qu’elle soit du nombre de celles qui ont été supprimées dans ces derniers jours; mais la postérité s’étonnera que l’assemblée nationale n’ait pas témoigné honorablement à ce citoyen les actions de graces de la nation entière.
Les esprits étoient si préoccupés des affaires générales qu’à peine lit on attention à un événement qui mit le royaume à deux doigts de sa perte. On ne parloit à Paris que des états-généraux. L’hôtel-de-ville, mécontent du réglement, en ordonna cependant l’exécution; mais le prévôt des marchands, sensible aux atteintes portées à ses prérogatives, offrit sa démission, et on parla de lui donner M. de Tolozan pour successeur. On parloit beaucoup aussi à la cour de M. de Machault; il étoit question de le faire premier ministre, et on disoit que ce choix venoit des princes. Ce bruit n’étoit pas sans fondement; il est certain même qu’on fît des ouvertures à ce sujet à M. de Machault lui-même, qui se refusa à toute proposition; mais ce fut à l’insu du roi et de la reine. Leurs majestés ne furent instruites des démarches qui avoient été faites à cet égard, que lorsqu’elles eurent échoué par le refus de M. de Machault. La reine en fut la première avertie, et sut que son nom et celui du roi avoient été employés dans cette négociation. Elle en témoigna son chagrin au roi, et son ressentiment aux personnes qui l’avoient compromise.
Le public, lorsqu’il fut instruit de cette menée, se persuada qu’elle avoit pour but d’éloigner encore une fois M. Necker du ministère, et cette croyance ajouta à la haine qu’on portoit à ceux qui étoient soupçonnés d’avoir cette intention. On se persuada également que la cour ne pouvant plus se refuser à accorder les états-généraux, vouloit du moins se rendre maîtresse des délibérations, en effrayant les députés par un grand appareil de troupes. On assuroit que les régimens du Roi et de Penthièvre étoient déja aux portes de Paris.
Supposer de telles intentions à la cour, c’étoit la calomnier, et se hâter de présenter aux yeux du peuple un fantôme qui n’a jamais eu de réalité; et si les habisans de la capitale n’eussent pas été trompés sur leurs propres intérêts, ils eussent eux-mêmes sollicité du roi, de faire entrer dans la capitale un nombre de troupes suffisant, pour qu’au sein de l’effervescence qui alloit nécessairement éclater au moment des élections, la tranquillité et les propriétés fussent protégées.
La haine qu’on portoit à ceux que l’on soupçonnoit d’être contraires à la cause du tiers-état étoit parvenue à un tel degré d’injustice, qu’on alloit jusqu’à leur attribuer les désordres qui désoloient les provinces, et dont ils étoient les premières victimes. Des brigands, en Bretagne, pillèrent et brûlèrent plusieurs châteaux; de tous côtés on publia que ces brigands avoient été soudoyés par des gentilshommes et des magistrats du parlement de Rennes, comme s’il n’eût pas été plus naturel que la noblesse se servit des malfaiteurs qu’on supposoit à ses ordres, contre l’ennemi même qui lui déclaroit une guerre ouverte et si peu méritée. C’est outrager le bon sens de vouloir que des hommes, pour se venger de leurs adversaires, dévastent leurs propres possessions. La passion seule, et la passion la plus aveugle, peut forger de telles calomnies, que la conduite d’ailleurs pleine de modération, que la noblesse tient depuis le commencement de la révolution, n’a cessé de démentir.
A Paris, la haine s’attachoit sur-tout à trois princes, MM. le comte d’Artois, le prince de Condé et le prince de Conti. Justement alarmés de scènes orageuses qui se préparaient, ils firent un dernier effort auprès du roi; et quoiqu’ils n’ignorassent pas combien cette démarché accréditeroit les impostures qui les rendoient odieux, ils présentèrent à sa majesté un mémoire qui, si les esprits eussent été plus calmes, eut pu les ramener aux véritables principes; j’en parlerai dans le chapitre suivant.