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CHAPITRE III.
ОглавлениеEnvoi au parlement des impôts du timbre et de l’impôt territorial; séance royale; protestation du duc d’Orléans; ordres décernés contre deux conseillers; résistance du parlement; siége du palais.
Avril et Mai1788.
PEUT-ÊTRE faut-il regarder comme un événement qui appartient à l’histoire de la révolution, la mort prématurée du dauphin, père du roi actuel. Ce prince calomnié, tant qu’il vécut, avec un acharnement qui décéloit des desseins bien sinistres, et loué, même par ses ennemis, lorsqu’on n’eût plus à le redouter, étoit imbu de principes bien contraires à ceux qu’on met aujourd’hui en pratique; et tout ce qu’on connoissoit de sa vie privée, annonçoit qu’il soutiendrait avec fermeté ses opinions religieuses et politiques. Il avoit des mœurs pures, l’ame sensible et bienfaisante, du courage, l’amour de l’étude, l’esprit cultivé, le jugement sain, un cœur droit; tout annonçoit en un mot qu’il seroit un digne successeur de Louis IX, de Henri IV, de Louis XIV; et il est incontestable que s’il eût régné, la monarchie existeroit encore sur ses bases; il les eût affermies, et nous n’eussions jamais vu établi le gouvernement populaire. Sa mort fut donc une véritable conquête pour les novateurs. Je n’entends pas pour cela leur attribuer ce nouveau régicide; mais il est incontestable que les forfaits qu’a enfantés le désir d’une révolution, ne sont pas tous bien connus; il en est de secrets, et qu’il n’est pas tems de révéler; il est certain encore que la postérité aura de grands reproches à faire au feu duc de Choiseuil, et qu’elle lui demandera compte de son intimité avec les prétendus philosophes, et de son antipathie pour un prince qui avoit toutes les qualités d’un sage.
Par quelle fatalité se fait-il que, depuis la révocation de l’édit de Nantes, et depuis les progrès d’une philosophie séditieuse, la famille royale se soit vue enlever, par une mort prématurée, les princes qui ne dissimuloient point leur attachement pour la religion et les lois de leur pays? La France seroit-elle ce qu’elle est aujourd’hui, si le duc de Bourgogne, élève de Fénélon, fut monté sur le trône? Aurions-nous des évêques élus dans des clubs si le père de Louis XVI eût régné, si le jeune duc de Bourgogne lui eût succédé?
Mais j’abandonne les événemens éloignés, et me rapprochant des tems qu’on peut regarder comme l’aurore du jour de deuil qui s’est levé sur la France, je passe à l’histoire des convulsions qui ont précédé la crise et le démembrement de notre patrie.
On ressentit la première de ces convulsions, lorsque M. Necker, pour la première fois, abandonna le ministére; sa retraite causa au corps politique une secousse, qui, pour le moment, n’eût aucune suite. Les esprits s’agitèrent; l’inquiétude et l’intrigue formèrent des attroupemens; on assiégea la caisse d’escompte; la sagesse des administrateurs de cette compagnie, et les soins de la cour, dissipèrent sans effort cette effervescence. Ceux qui affectoient de regarder la retraite de M. Necker comme une calamité publique, ne purent du moins l’attribuer à la reine; car il est notoire que cette princesse y fit. obstacle, et que deux fois elle rendit au ministre sa démission,
M. de Brienne eut à peine succédé à M. de Calonne, que tout le royaume en ressentit un ébranlement qui n’a plus discontinué jusqu’à ce jour. Par ses conseils, le roi vint à Paris faire enregistrer les deux trop fameux édits de l’impôt du timbre et de l’impôt territorial. Cette démarche mit en feu, et la capitale, et les provinces. Un esprit de vertige s’empara du parlement; et cette sage compaguie, qui devoit sauver la monarchie, la perdit par la plus étrange déclaration, elle se dépouilla de la plus belle de ses prérogatives, et se reconnut incompétente pour l’enregistrement des impositions. La cour l’exila à Troyes, et, par cette rigueur, augmenta la fermentation.
On put dès-lors avoir une idée des troubles qui se préparoient, et de l’insolence de la populace parisienne. M. le comte d’Artois étant venu, par ordre du roi, faire enregistrer, à la cour des Aides, les deux édits qu’avoit repoussés le parlement, fut accueili, par la multitude, avec une indécence scandaleuse; il put entendre les propos les plus outrageans; sa vie même fut en danger. On tint une conduite différente à l’égard de Monsieur, quoiqu’il eût une mission semblable: on croyoit ce prince jaloux de la faveur populaire; on se trompoit, il fut toujours ennemi de la licence, et par caractère, et par principes. Il se montra insensible aux applaudissemens, qui, dans cette occasion, lui furent prodigués, et qui depuis ne lui ont plus été renouvellés.
M. de Brienne cependant s’efforçoit d’arrêter ou de détourner le torrent qui commencoit à se déborder. Il obtint du parlement une prorogation du deuxième vingtième: cette compagnie revint à Paris; et son retour y fut un prétexte, pour cette partie du peuple qu’il est aisé d’agiter, de former de nouveaux attroupemens.
La foible ressource de la prorogation du deuxième vingtième ne suffisant pas aux besoins de l’état, il fut décidé que le roi viendroit de nouveau à Paris, faire energistrer, en sa présence, un emprunt. L’embarras du gouvernement enhardit les factieux: il se tint des assemblées nocturnes au Palais Royal; tout étoit déjà prévu. M. de Lamoignon, élevé depuis peu à la place de garde-des-sceaux, s’entendit demander, en entrant dans le parquet, si l’enregistrement se feroit sans prendre les voix: Eh! sans doute, répond le ministre; est-ce que vous voulez que le roi ne soit qu’un conseiller au parlement? M. de Lamoignon développa cette idée pendant la cérémonie de l’enregistrement, et rappella que la France étoit une monarchie, et non. une aristocratie. C’est la première fois que ce funeste mot, qui a produit tant de crimes, a été prononcé.
Au moment ou l’on procédoit à l’enregistrement, M. le duc d’Orléans demande au roi, si c’est un lit-de-justice, ou une séance royale, que sa majesté entend tenir; et de suite, il dépose cette protestation: «Je supplie votre majesté de permettre que je dépose à ses pieds, et dans le sein de la cour, la déclaration, que je regarde cet enregistrement comme illégal, et qu’il seroit nécessaire, pour la décharge des personnes qui sont censées y avoir délibéré, d’y ajouter, que c’est par exprès commandement du roi».
Cette déclaration fut le signal de la scission dont les suites ont été si orageuses le prince et deux conseillers, MM. Fréteau et Sabathier furent exilés. Ce triple acte de rigueur remplit la France de troubles, les parlemens renouvelèrent cette coalition dont ils avoient donné l’exemple pendant la minorité de Louis XIV; et ils s’armèrent contre les plans de la cour, d’une défiance qu’il ne fut plus posssible de vaincre. Les calvinistes profitèrent de l’orage: la religion du roi fut surprise; ils obtinrent l’enregistrement de cet édit, qui n’étoit que le prélude des prétentions qu’ils avoient encore à faire.
La fermentation n’étoit pas moins grande dans les provinces que dans la capitale. Les remontrances des cours souveraines se multiplioient, et répandoient les premiers rayons de cette lumière dont on a tant abusé. A Toulouse, M. de Castellan, avocat-général, fut également frappé d’une lettre-de-cachet; et sa compagnie rendit un arrêt entièrement dirigé, et contre ces sortes d’ordres, et contre ceux qui les mettent à exécution. Le procureur-général, M. de Ressegnier, fut soupçonné d’être dévoué à la cour: le peuple s’atroupa autour de son hôtel; des gens promenèrent son effigie par les rues, et allèrent ensuite la brûler sur une place publique: ce fut la première des scènes de ce genre, qui se sont depuis si fort multipliées.
A Paris, les chambres s’assemblèrent pour prendre en considération ce qui s’étoit passé dans la séance royale: six pairs laïcs se trouvèrent à cette assemblée; M. d’Esprémesnil y rédigea des remontrances, qui furent ensuite portées au roi par trois présidens. Quelques jours après, et sur le soir, le parlement fut averti d’envoyer le lendemain, à Versailles, une grande députation. Les princes et les pairs recurent en même-tems une lettre qui leur marquoit de s’y trouver avec les députés du parlement; et M. le duc d’Orléans coucha au Palais Royal. Le lendemain, tous les princes se trouvèrent au lever du roi: M. le duc d’Orléans fut seul admis dans le cabinet du monarque; et ce ne fut qu’après un quart-d’heure d’entretien particulier entre sa majesté et ce prince, que la députation entra. Le roi la reçut en bottes et en habit de chasse, environné de tous ses ministres et de tous les princes de son sang; il lut lui-même sa réponse, qui consistoit à annoncer que les motifs et les ordres qui avoient éloigné de Paris M. le duc d’Orléans, ne subsistoient plus.
Les chambres s’assemblent de nouveau à Paris: les princes et les pairs se trouvent à cette assemblée; on y arrête de complimenter M. le duc d’Orléans sur son retour. Dans une seconde assemblée, qui avoit toujours pour objet des remontrances sur la séance royale, il se trouva onze pairs, et pas un seul prince.
Vers ce tems, les commandans et intendan des provinces reçurent ordre de se rendre dans les villes qui étoient siége d’un parlement. Il se répandit aussi que le garde des sceaux refusoit l’agrément d’acquérir des charges dans les cours souveraines, à ceux qui le lui demandoient; de-là la crainte d’un bouleversement général dans l’ordre de la magistrature. A Versailles, il se tenoit, presque tous les jours, un comité des ministres chez le roi, avant le lever de sa majesté. A Paris, le parlement s’assembloit de nouveau; la foule accouroit au palais; la fermentation recevoit un aliment journalier. Dans une de ces assemblées, où se trouvèrent neuf pairs, un jeune conseiller des enquêtes y dénonça des abus qu’il prétendoit se commettre dans la perception des impôts: M. d’Eprémesnil, de son côté, y dénonça line lettre-de-cachet décernée contre un écrivain obscur; et comme ces dénonciations tendoient à rendre l’administration odieuse, elles étoient reçues avec avidité par ceux qui avoient intérêt à accroître les désordres.
La cour coutinuoit à s’envelopper d’un voile mystérieux: un conseiller d’état et un Me des requêtes furent envoyés dans chaque ville où il y avoit une cour souveraine de judicature; et en partant, ils furent informés, verbalement, qu’ils recevroient les ordres du roi, quand il en seroit tems, et que l’intention de sa majesté étoit, que sa volonté fut exécutée littéralement, sans interprétation, ni modification.
Les magistrats, à la vue de l’orage qui s’approchoit, affectoient une sécurité qu’ils n’avoient peut-être pas. Les ministres, de leur côté, dissimuloient. Quelqu’un ayant demandé au garde-des-sceaux ce qu’il falloit penser de l’opinion où étoit le public, qu’il alloit se faire une révolution importante, ce ministre répondit, qu’on s’inquiétoit pour très-peu de choses; et ajouta: Ce sera la montagne qui enfante la souris.
Il se faisoit cependant un travail mystérieux à l’imprimerie royale; des gardes en défendoient les portes: personne ne pouvoit y entrer, et aucun ouvrier n’avoit la liberté d’en sortir; mais M. d’Eprémesnil eut le secret de ces ténébreuses opérations: une épreuve du nouveau code que préparoient les ministres, fut mise dans une boule de terre-glaise, et jetée par une fenêtre. Aussi-tôt les chambres s’assemblèrent; et comme les délibérations qui furent prises dans cette séance, accrurent l’inquiétude, déja bien grande, et donnèrent l’alarme à tout le royaume, je dois consigner ici les principaux détails de cette mémorable assemblée.
Neuf pairs s’y trouvèrent, savoir: MM. de la Rochefoucault, d’Uzès, de Praslin, de Charost, de Fitz-James, de Piney, de Gêvres, d’Aumont et de Villars-Brancas. Un conseiller dénonça l’état actuel du royaume, le danger qui paroissoit menacer la constitution françoise et la magistrature, et pria le président de mettre en délibération ce qu’il convenoit de faire dans des circonstances aussi alarmantes.
Lavis le plus général fut de nommer des commissaires, qui se retireroient à l’instant dans la chambre de Saint-Louis, pour y rédiger un arrêté convenable à la position où l’on se trouvoit, et que, pendant ce tems-là, les chambres resteraient assemblées; mais un magistrat, qui avoit déjà rédigé lui-même un modèle d’arrêté, observa, lorsque son tour d’opiner fut venu, la nécessité où se trouvoit le parlement de prendre des mesures qu’il pouvoit être dangereux de différer, même de quelques heures, pour prévenir les événemens et leurs suites: il essaya de prouver que les auteurs de ces projets désastreux ne pouvoient fonder leur réussite que sur la désunion qu’ils se flattoient de voir régner, soit entre les différentes cours souveraines du royaume, soit entre les différons membres d’une même cour; qu’il étoit donc essentiel de prendre un arrêté qui, en établissant les principes fondamentaux de la constitution, engageât en même-tems tous et chacun des membres de la compagnie à les maintenir.
En conséquence il fut fait lecture du projet d’arrêté, et le conseiller le soumit, si on le jugeoit à propos, à l’examen des commissaires qui seraient nommés sur l’heure. Cet arrêté ayant d’abord été adopté par acclamation, il fut observé par plusieurs que, dans une matière aussi importante, il étoit nécessaire que les voix fussent recueillies dans la forme la plus rigoureuse. Les suffrages ayant donc été recueillis, l’unanimité de92, membres ayant voix, fut pour adopter l’arrêté conçu en ces ternies: il est important qu’il soit déposé dans cette histoire de la révolution, comme un monument des principes du parlement, et comme une des causes qui, en voulant préserver le royaume d’un bouleversement, en a cependant, en se combinant avec d’autres causes, hâté la chute, par la facilité qu’il a donnée aux factieux d’aggraver les désordres.
«La cour, justement alarmée des événemens funestes dont une notoriété trop constante paraît menacer la constitution de l’état et la magistrature;
«Considérant que les motifs qui portent les ministres à vouloir anéantir les lois et les magistrats, sont la résistance inébranlable que ceux-ci ont mise à s’opposer à deux impôts désastreux; la demande constante qu’ils n’ont cessé de faire des états-généraux, avant tout impôt nouveau; les projets que peuvent avoir ces ministres de libérer l’état, sans les convoquer, et en se servant d’un moyen auquel ils prévoyent bien que les cours souveraines s’oppeseront constamment;»
«Desirant ladite cour, avant tous événemens, poser les principes d’une manière précise;»
«Déclare que la France est une monarchie dans laquelle le roi gouverne par des lois fixes et établies; qu’au nombre de ces lois, il en est de fondamentales: celles qui assurent la couronne à la maison régnante et aux descendans d’icelle, de mâles en mâles, par ordre de primogéniture; celle qui conserve aux états-généraux seuls, convoqués légalement, le droit d’octroyer les impôts; celle qui assure l’inamovibilité des offices de magistrature; celles qui maintiennent la liberté individuelle et la propriété des citoyens, etc. etc.;»
«Déclare en outre ladite cour, que, dans le cas où, subjuguée par la force, elle se trouveroit dans l’impossibilité de veiller par elle-même aux principes ci-dessus établis, elle dépose dès-à-présent ce dépôt entre les mains du roi lui-même, des princes de son auguste maison, des pairs du royaume, des états-généraux et de tout le royaume;»
«Déclare qu’elle n’entend prendre aucune part à tout ce qui pourroit être tenté contre ces principes, et que dans le cas où l’on prétendroit établir un corps quelconque pour représenter la cour des pairs, aucun membre de ladite cour ne peut, ni n’entend y prendre séance, et n’entend reconnnoître pour telle que celle qui existe».
Tel a été le dernier cri du parlement. Que ne l’a-t-il renouvelé dans ces derniers tems! Il se fut enseveli avec gloire sous les débris de la monarchie. Ce cri, qui devoit rallier autour de lui tous les citoyens amis de leur patrie, rallia aussi tous ceux qui projetoient de grands désordres, et le vaisseau public recevant des mouvemens contraires, perdit de vue le port, et ne fit plus qu’errer sur une mer orageuse.
Ce dernier cri du parlement fut immédiatement suivi du dernier effort de l’autorité royale; depuis elle n’a fait que déchoir, et chaque nouvelle convulsion qu’a reçu le royaume, a hâté le honteux avilissement où nous la voyons aujourd’hui réduite.
Le lendemain donc du jour où les membres du parlement, forts du témoignage de leur conscience, et se croyant forts aussi de l’opinion publique, firent cette courageuse démarche, un officier de la prévôté, accompagné de quatre fusiliers, se présenta devant l’hôtel de M. d’Eprémesnil. La même chose eût lieu devant l’hôtel de M. Goislard de Monsabert. On n’ouvrit pas la porte, et les officiers ne firent aucune violence pour en exiger l’ouverture; ils se contentèrent de rester en-dehors avec leur monde. Ainsi se passa la nuit. Sur les cinq heures du matin, une voiture sortit de l’hôtel de M. d’Eprémesnil, allant au grand galop; elle fut arrêtée au bout de la rue; il se trouva dedans le fils de ce magistrat, et son précepteur. On les laissa librement continuer leur route. Pendant ce tems-là, M. d’Eprémesnil escalade les murs de son jardin, et, par des rues détournées, se rend au palais.
Les chambres s’étant incontinent assemblées, et inforemées que M. Goislard de Monsabert étoit gardé et retenu chez lui, arrêtent que tous les membres du parlement se rendront à pied dans sa maison, l’en retireront, et le conduiront avec eux au palais. Au moment où les magistrats alloient partir, M. de Monsabert arrive; comme M. d’Eprémesnil, il s’étoit évadé de chez lui.
Les chambres ayant entendu le récit de MM. d’Eprémesnil et de Monsabert, on écrivit une letre circulaire à tous les magistrats absens, ainsi qu’à tous les pairs, pour les inviter à se rendre au palais. M. l’archevêque de Paris s’y rendit en droiture en arrivant de S. Denis, où il avoit célébré un service pour le repos de l’ame de Louis XV. On vit aussi, peu après le départ des lettres, arriver M. de Clermont-Tonnerre, évêque-comte de Châlons, M. le duc de Luynes, qu’on fut obligé de porter jusques dans la grand’chambre, à cause d’une incommodité très-sésérieuse que ce seigneur avoit à une jambe. A mesure que les pairs arrivoient, une foule incroyable alloit au devant d’eux, et les accompagnoit jusqu’au palais avec de grandes acclamations. L’agitation étoit extrême, et l’on croyoit toucher au moment d’une épouvantable explosion.
Dans cette orageuse matinée, les chambres prirent l’arrêté suivant:
«La cour délibérant sur le récit fait par MM. Duval et Goislard, des mesures prises la nuit derrière pour les enlever de leur maison;
«Considérant que les ministres, loin d’être ramenés aux principes de la monarchie, par les démarches de la cour, toujours légales et toujours respectueuses envers le roi, ne s’occupant, au contraire, qu’a déployer toutes les ressources du despotisme, qu’ils s’efforcent de substituer aux lois;
» Que les ministres viennent encore d’attenter à la liberté de deux magistrats de la cour, dont tout le crime est d’avoir uni leur zèle à celui de leur compagnie, pour défendre les lois les plus sacrées de la nation;
«Considérant en outre que les ordres particuliers qui violent l’asyle des citoyens, les mettent dans l’impuissance de recourir aux lois, et ne tendent pas à remettre, sans délai, les personnes arrêtées entre les mains des juges compétens, n’obligent pas légalement les citoyens;
» A mis et met MM. Duval, Goislard, et tous autres magistrats et citoyens, sous la sauve-garde du roi et des lois;
» Et cependant a arrêté, que M. le premier président et quatre de MM. les conseillers, se transporteroient sur le champ à Versailles, à l’effet de représentet au roi l’excès des malheurs qui menacent la nation, et le supplier d’écouter dans sa sagesse d’autres conseils que ceux qui sont prêts d’entraîner l’autorité légitime et la liberté publique dans un abîme, dont il deviendrait peut-être impossible au zèle des magistrats de les tirer;
» A arrêté en outre, que la cour attendra, sans déplacer, le retour de M. le premier président et des députés de la cour; et qu’expédition en forme du préent arrêté sera délivrée à chacun de MM. Duval et Goislard».
Les députés furent MM. d’Ormesson, de Saron, Lefebvre d’Ammecourt, Robert de Saint-Vincent, Amelot et Barbier d’Ingreville: ils arrivèrent à Versailles vers les sept heures du soir; ils y apprirent que le roi étoit à Rambouillet, et qu’ils ne pourroient lui parler qu’à son retour. Le roi revenu, ils se rendirent chez le garde des sceaux; on leur dit qu’il étoit chez sa majesté: ils allèrent chez le principal ministre; on leur dit qu’il étoit aussi chez le roi. Le prélat-ministre étant informé de leur arrivée, leur lit savoir qu’il reviendroit bientôt; il revint, en effet, au bout de trois quarts-d’heures, s’entretint quelque tems avec eux, et leur dit que le garde des sceaux leur rapporteroit la réponse du roi. A dix heures du soir, il se rendirent chez le garde des sceaux, qui leur dit qu’il attendoit lui-même les intentions du roi. A minuit, enfin, la réponse de S.M. arriva: elle portoit, que S.M. ne recevroit pas les députés de son parlement, attendu qu’elle n’avoit pas été prévenue en la forme ordinaire.
A deux heures du matin, le régiment des Gardes-Françoises et celui des Gardes-Suisses investissent le palais, entrent dans les cours, pénètrent dans les salles. Quelques soldats étoient armés de massues et de haches. Dès qu’on se présente aux portes de la grand’chambre et du parquet, elles sont ouvertes sans aucune difficulté: un détachement de grenadiers se rend maître de l’intérieur de la grand’chambre, et un autre détachement, de l’intérieur du parquet; l’officier qui commande le premier, signifie à tous les membres de l’assemblée qu’ils sont prisonniers d’état. Dès cet instant, en effet, il ne leur est plus permis de communiquer avec qui que ce soit du dehors. Personne ne peut plus entrer au palais, ni en sortir; et lorsqu’un magistrat, soit conseiller, soit président, soit même duc, passe dans une piéce voisine, pour satisfaire quelque besoin, il est accompagné de deux fusiliers. Le duc de Mortemart se présente sur les six heures du matin, pour prendre place dans l’assemblée; mais on l’arrête dans la cour du palais, et il ne peut aller au-delà. Peu après, M. Séguier, qui avoit été obligé, la veille, de se retirer chez lui, se présente à son tour, et est refusé comme les autres. Au moment où les soldats entroient dans la grand’chambre, M. Titon de Villotran fut surpris d’un accès de goutte, dont la douleur lui parut si insupportable, qu’il demanda d’être transporté chez lui. L’officier qui commandoit, lui répondit, que l’ordre dont il étoit porteur, n’exceptoit personne.
Sur les onze heures du matin, M. le marquis d’Agoult se présenta au procureur-général, et demanda à être introduit dans la grand’chambre. M. Joly de Fleury, fondant en larmes, l’y conduisit. Le marquis d’Agoult y étant entré, demanda qu’on lui livrât MM. d’Eprémesnils et de Monsaberts: cc Toute la cour, s’écrie un jeune conseiller, est composée de d’Eprémesnils et de Monsaberts». Tous les autres membres de l’assemblée gardèrent un profond silence. Le marquis d’Agoult se retira; il rentra quelque tems après, et, par trois fois, demanda les deux conseillers; on ne lui répondit rien: il sortit de nouveau, et rentra presqu’aussi-tôt avec un officier de robe-courte, à qui il ordonna, de la part du roi, de lui montrer les deux magistrats. Cet officier, appelé Archier, répondit qu’il ne les voyoit pas. Alors MM. d’Eprémesnil et de Monsabert se firent connoître. Le marquis d’Agoult ordonna au premier de le suivre, et dit au second qu’il viendroit le chercher sous une demi-heure; ce qui eut lieu, en effet. M. d’Eprémesnil fut conduit aux isles Sainte-Marguerite, et son collégue à Pierre-Encise.
Dans l’après-midi, il fut ordonné à tous les membres de l’assemblée de se retirer. Ils se retirèrent, en effet, en présence des troupes, et en robe. Les officiers des Gardes-Françoises fermèrent les portes, et en gardèrent les clefs.
Telle fut cette scène, qui fut depuis surnommée le siége du palais, où l’autorité des ministres vint frapper une des colonnes de l’état. Ces deux colosses, en se heurtant, imprimèrent un frémissement à toute la masse du corps politique; et les parlemens, dans ce combat, invoquoient l’appui d’une autre puissance qui étoit encore à naître, et qui, dès qu’elle a paru, a brisé l’un et l’autre colosse.