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CHAPITRE XXIII

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Table des matières

BRUITS d’une séance royale; efforts impuissans des ministres pour réprimer la licence des écrits; placards séditieux; estampe prophétique; imprévoyance des deux premiers ordres; création et organisation, par le tiers-état, de vingt bureaux; mécontentement de cet ordre contre M. le prince de Coudé; opinion de M. Malouet sur la constitution de la chambre du tiers-état; ridicules conséquences de cette opinion; effet qu’elle produit dans la chambre du tiers-état; comment elle est combattue; conduite des trois ordres après la clôture des procès-verbaux; première motion de M. l’abbé Sieyes; comment elle est accueillie; opinion remarquable de M. de Mirabeau; développement des vues de son parti; opinion de M. Target; son portrait; décision du tiers-état sur la proposition de M. l’abbé Sieyes; effet qu’elle produit; tentatives auprès du clergé du second ordre; efforts de M. l’abbé Coster pour retenir les curés dans leur chambre; portrait de cet ecclésiastique.

Suite de Juin1789.

L’ACTIVITÉ de la noblesse, sans accord et sans correspondance avec les deux autres ordres, n’étoit pas plus utile, au royaume, que l’inaction de ceux-ci. Cette stagnation étoit affligeante et funeste, et il n’étoit pas possible qu’elle subsistât plus long-tems. Les hommes de tous les partis le sentoient, et ceux qui étoient nourris dans le respect pour les formes antiques, désiroient, avec impatience, que le gouvernement rendît une décision qui fixât enfin un mode de délibération pour les trois ordres; le jour même de la clôture du procès-verbal des conférences, le bruit se répandit que, dès le lendemain, le roi viendroit tenir une séance royale aux états-généraux.

Il est vraisemblable qu’il en fut question à la cour; mais l’irrésolution des ministres ne savoit se fixer à aucune détermination, et il est à remarquer que, dans ces momens orageux, le tiers-état, du moins ceux qui le guidoient, étoient les seuls qui eussent un pian arrêté,&qui avançassent vers un but. Aussi ne voit-on ni embarras, ni vacillation dans leur marche.

Les ministres s’apperçurent enfin que l’opinion s’égaroit; ils crurent que les députés du tiers-état puisoient leur hardiesse et leur hauteur dans les écrits où on exaltoit leur fermeté. C’étoit prendre l’effet pour la cause. Les écrivains ne se montroient eux-mêmes aussi entreprenans, que parce qu’ils étoient encouragés&animés par le parti qui dominoit dans le tiers-état.

Les ministres crurent donc qu’il étoit important de réprimer la licence des écrits. M. de Maissemy, directeur général de la librairie, eût ordre de ne rien laisser imprimer sur les affaires du moment. Les rédacteurs du journal de Paris, eurent seuls la permission de rendre compte de ce qui se passoit aux états-généraux; mais il leur fut défendu de se permettre aucune réflexion. Il n’étoit plus rems de vouloir arrêter un torrent que la stupide et funeste politique de M. Necker avoit laissé débroder. On rit de ces tardives et impuissantes mesures. M. de Maissemy fut insulté dans mille pamphlets; il n’y avoit pas d’heure dans la journée où il ne reçut des paquets d’épigrammes et de lettres anonymes, où on l’injurioit, et où on lui faisoit un crim@ d’une défense qu’il n’avoit point provoquée.

La conduite du journaliste de Paris fut vue avec plus d’amertume; on ne lui pardonnoit pas de refuser, à la chambre du tiers-état, le nom de communes. Il est vrai que, dans cette feuille, dont l’esprit et les principes ont bien changé depuis, on se conformoit avec trop de scrupule, aux intentions des ministres. On y poussoit la complaisance jusqu’à dénaturer les arrêtés du troisième ordre. Par-tout où cet ordre se qualifioit de communes, les rédacteurs remplaçoient ce mot par celui de tiers-état. C’étoit évidemment pousser l’obéissance trop loin; car des historiens, en rapportant les paroles d’un individu, ou d’une assemblée, doivent les rendre telles qu’elles ont été prononcées, sauf à les approuver ou à les improuver.

Le bruit d’une prochaine séance royale,&d’une résolution extraordinaire de la part de la cour, étoit beaucoup accrédité par les mouvemens qu’on voyoit dans les troupes; elles étoient contituellement sous les armes, et, dans tous les quartiers, on rencontroit des pelotons de gens armés.

Toutes ces dispositions servoient plutôt à nourrir la méfiance qu’à assurer la tranquillité; la conséquence qu’on en tiroit, et qu’on insinuoit au peuple, c’étoit que la cour se proposoit de dissoudre, de force, les états-généraux. Sous les yeux même des soldats, et en plein midi, on vit des hommes assez hardis pour afficher sur le pont-neuf, et au coin des rues, des placards portant ces mots: «Avis au public. Les états-généraux seront dissous avant d’être formés».

La sécurité avec laquelle se faisoient ces séditieuses annonces, tandis que, d’un autre côté, on frappoit les yeux de la multitude, par l’appareil effrayant des armes, sembleroit faire croire que, parmi ceux mêmes qui approchoient le plus près du monarque, il se trouvoit des hommes qui avoit en vue de déterminer, par la terreur, le peuple à brusquer une révolution.

On auroit dit également que ce n’éroit pas bien sérieusement qu’on prenoit des mesures de rigueur contre l’audace que montroient, dans leurs écrits, les defenseurs de la cause du tiers-état; car ces mesures restoient sans exécution, et les libelles n’en circuloient pas moins avec la plus grande facilité. Il en étoit de même des estampes injurieuses aux deux premiers ordres, dont on laissoit toujours tapisser les quais et les places publiques. Une de ces estampes fixoit sur-tout les regards des passans, et flattoit la vanité du troisième ordre, parce qu’elle faisoit présager ce qui alloit arriver au premier jour. Elle représentoit un paysan assis au bord d’une rivière, et pêchant à la ligne; il retiroit au bout de sa ligne, et, tout à-la-fois, un prélat et un gentilhomme.

Il est visible que ceux qui étoient dépositaires de toute la force publique, ou ne vouloient, ou ne pouvoient pas oter cet aliment à la prévention où l’on entretenoit te peuple, Dans l’un et l’autre cas, les deux premiers ordres auroient dû concevoir des alarmes sur le sort qu’il leur étoit destiné. Ils n’en concevoient aucune. «L’imprévoyance, dit M. Malouet, qui alloit toujours en avant, fut peut-être égale à celle qui s’arrêtoit sur les bords d’un précipice sans y regarder».

On conçoit tout l’avantage que donnoit, au tiers-8 état, l’irrésolution qui résultoit de cette imprévoyance. Cet ordre, sachant que la victoire lui resteroit, préparoit déja ses batteries. Sa chambre s’étoit formée en vingt bureaux, composés chacun de trente députés. Ils devoient s’assembler, le soir, pour préparer les matières qui seroient soumises à la délibération dans la séance du matin. Ils étoient, à-peu-près, ce que sont aujourd’hui les comités. L’organisation de ces bureaux ne fut pas remarquée par le clergé et la noblesse; elle méritoit cependant de l’être. Leur composition avoit pour but de confondre les intérêts et les vues des provinces, pour ne former qu’un esprit général, et ôter ainsi toute force à ceux des mandats qui réclamoient des priviléges particuliers.

On avoit organisé ces bureaux, de manière que deux députés d’un même bailliage, ne pouvoient être membres du même bureau. On suivit la liste générale des députés du tiers-état, par ordre alphabétique. Le premier sur la liste, fut membre du premier bureau; le second sur la liste, fut membre du second bureau; le troisième, du troisième, et ainsi de suite. Le vingt-unième, le quarante-unième sur la liste, étoient membres du premier bureau; le vingt-deuxèime, le quarante-deuxième, l’étoient du second, et toujours dans la même proportion pour tous les bureaux.

Il étoit aisé de voir que, par cette composition, on en vouloit venir à dicter des loix qui ne respecteroient ni les habitudes, ni les convenances, ni les prétentions locales. Voilà ce que le clergé et la noblesse ne voulurent pas voir, parce qu’ils n’ont voulu voir l’abîme qui se creusoit sous leurs pas, que quand l’abîme les a engloutis.

Lorsque ce partage, de toute la chambre en vingt bureaux, eut été arrêté, on éprouva quelque embarras à trouver vingt salles pour les réunir. On convint qu’une partie de la salle générale, et les pièces particulières qui l’environnoient seroient destinées a en contenir quelques-uns; mais tous ces emplacemens ne suffisant pas, on eût recours à M. le prince de Condé, et on lui demanda de vouloir bien céder son pavillon de grand-maître. Le prince qui, en sa qualité de grand-maître de la maison du roi, avoit l’usage de ce bâtiment, mais n’en avoit pas la propriété, répondit qu’il ne pouvoit en disposer sans un ordre supérieur, et cette réponse ajouta beaucoup à la haine qu’on lui portoit déja dans la chambre du tiers-état.

Cet ordre, on se livrant à ces dispositions, annon-| çoit qu’il n’attendoit plus rien des conférences, et qu’il alloit encrer dans la carrière.

L’époque où il se constitua étant, sans contredit, la première et la plus intéressante de la révolution, j’en dois écrire l’histoire avec une certaine etendue.

M. Malouet nous apprend que lorsqu’il la vit arriver, il ne se dissimula point l’importance des faits; il nous dit qu’il fut inquiet des résultats, et qu’il previt de grands dechiremens.

Pour les éviter, voici ce que M. Malouet imagina: il se persuada qu’il falloit fixer les bâses de la constitution, sans égard aux prétentions qui auroient été injustes de la part des premiers ordres. Ainsi, se disoit-il à lui-même, nous déterminerons la liberté individuelle, la liberté publique, les pouvoirs et la composition du corps législatif; nous proscrirons toutes les usurpations, tous les abus; nous prononcerons toutes les réformes, et nous finirons par proposer deux chambres.

Voilà comme l’anglomanie a fait errer l’homme le plus sage qui ait été envoyé aux états-généraux. Quelle folie de penser que le tiers-état eût le droit de poser les bâses d’une constitution quelconque, sans le concours du roi et des deux premiers ordres! Et qui avoit dit à M. Malouet que nous ne voulions pas des bâses actuellement existantes? Le tems pouvoit avoir détérioré quelques unes des parties de l’édifice public; mais les fondemens poses depuis quatorze siècles, étoient en leur entier; il falloit reconstruire, bâtir, si l’on vouloit, sur ces fondemens, mais non les arracher.

M. Malouet qui comprenoit que ce n’étoit pas assez davoir conçu ce plan, et qu’il falloit encore dire comment il seroit exécuté, faisoit cet autre raisonnement: ce plan sera accepté ou refusé par le clergé et la noblesse. Dans le premier cas, les principes constitutifs seront arrêtés sans commotion; il n’y aura plus qu’à en suivre les développemens. Dans le second cas, le tiers-état, assuré de la faveur du peuple, n’aura, pour vaincre, qu’à opposer à un premier refus, une insistance grave et ferme.

Ou ces dernières paroles n’ont aucun sens, ou M. Malouet entendoit qu’en cas d’un veto de la part des deux autres ordres, ou de l’un d’eux, on auroit recours à la force. Ainsi, en dernière analyse, M. Malouet adoptoit les mêmes moyens que ceux dont il a combattu les opinions; car, comme eux, il finissoit par la violence. Et je m’étonne que, parmi ses adversaires, personne ne lui en ait fait l’observation, que personne ne lui ait dit: vous avez votre opinion; nous avons la nôtre; dans la machine que vous construisez, le concours du roi, et des deux premiers ordres vous est inutile; il en est de même dans notre systême; pour en obtenir l’exécution, nous subjuguons tout par la force; vous eussiez fait de même si vous eussiez su vous saisir de cette force. De quel droit donc nous appelez-vous aujourd’hui des factieux?

Plein de ces idées, M. Malouet rédigea une adresse au roi, où elles se trouvèrent exprimées; il la communiqua à plusieurs députés, et en particulier, à M. Target, qui en changea quelques expressions, et l’engagea à un délai de quelques jours. M. Target voyoit encore un grand danger à se constituer en assemblée nationale, et il n’étoit pas le seul, même de son bord, à penser ainsi. Ce fait est certain, et un autre qui ne l’est pas moins, c’est que les plus zélés promoteurs de cette opinion, n’osèrent la manifester dans aucune des premières séances du mois de juin.

Dans celle du7, M. Malouet, par une précipitation qui ne pouvoit produire qu’un mauvais effet, et sans qu’il fût nullement question de cette affaire, développa ses sentimens; ce qui est étrange, c’est qu’il fut écouté sans être interrompu, et avec intérêt; et que, quand il eût fini de parler, l’assemblée parut très-partagée; les uns approuvoient, les autres désapprouvoient, et on ne pouvoit pas dire de quel côté étoit le plus grand nombre.

M. Malouet, dans l’exorde du discours où il développa son opinion, s’affligea des malheurs de la patrie, et se plaignit des parlemens, des intendans, des nobles, du clergé. Il vouloit, sans doute, par ces déclamations, se concilier les esprits; il ne voyoit pas qu’il armoit lui-même ses ennemis, et qu’ils concluoient de ses diatribes, qu’il falloit anéantir et les parlemens, et les intendans, et les nobles, et les ecclésiastiques.

Cet exorde fut suivi du développement de son systême; il exhorta ses co-députés à abandonner la projet de se constituer en assemblée nationale, à s’en tenir à leurs pouvoirs, à ce qu’ils étoient, à ne point faire, avec les deux premiers ordres, une scission éclatante qui déchireroit le royaume, et enfin à vérifier, sans délai, leurs pouvoirs respectifs pour se constituer simplement en représentans du peuple François.

Ce discours, cette conclusion, mirent toute l’assemblée dans l’agitation; elle se divisa en plusieurs petits grouppes, où l’on parloit avec beaucoup de feu. Enfin, un député du Languedoc la combattit, non en l’attaquant au fond, mais en représentant qu’elle étoit prématurée, et qu’au lieu de précéder la clôture du procès-verbal des conférences, elle auroit dû la suivre.

Ce député, au reste, dont le nom ne me revient pas, jetta, avec adresse, de la défaveur sur l’orateur; il le frappa de l’arme de l’ironie, et voulut qu’on prit, pour de l’affectation, le zèle avec lequel M. Malouet s’empressoit de parler sur toutes les matières qui lui paroissoient de quelque importance.

«Remercions M. Malouet, dit ce député, des idées qu’il nous a communiquées. Jusqu’ici il a bien voulu le faire à presque toutes les séances; espérons de son patriotisme, qu’il s’empressera, dans un moment plus favorable, de remettre sous nos yeux celles dont il vient de nous faire part, et qu’à l’avenir il ne cessera pas de nous communiquer ses réflexions, puisqu’il n’a jamais cessé de le faire».

Il faut convenir que la précipitation de M. Malouet, ne peut se concevoir. Il ne devoit point engager le combat, avant que les paroles de paix eussent été retirées; il devoit encore moins se laisser deviner par ceux qu’il auroit bientôt à combattre.

10.

M. Malouet fut le seul de son avis; chacun des trois ordres attendit, pour agir, la clôture des procès-verbaux. Dès qu’elle eût été annoncée officiellement, le clergé procéda à la vérification des pouvoirs de ses membres plusieurs curés firent la réserve que la vérification en chambre séparée, ne préjugeroit ni contre le principe qu’ils admettoient, de la vérification en commun, ni contre la réunion des trois ordres en une seule assemblée.

La noblesse, qui avoir déja vérifié ses pouvoirs, s’occupa de mettre la dernière main à un réglement pour la police intérieure de sa chambre,&dont le principal article portoit que le président seroit changé tous les deux mois. On voulut aussi nommer un orateur pour les différentes députations qui auroient lieu; mais il fut décidé que les députés le choisiroient parmi eux.

Quant au tiers-état, M. Bailly eût à peine annoncé que le procès-verbal des conférences étoit clos, que M. l’abbé Sieyes engagea le combat, et présenta un projet d’arrêté, qui contenoit l’opinion de son parti, sur l’ouverture proposée par les ministres du roi. Voici la copie littérale de cette motion, qu’on peut regarder comme le signal de la guerre qui alloit s’allumer.

«L’assemblée des communes délibérant, tant individuellement qu’en général, sur l’ouverture de conciliation proposée par MM. les commissaires du roi, a cru devoir prendre en même-tems en considération l’arrêté que les députés de la noblesse se sont hâtés de faire, et qui, malgré l’acquiescement annoncé d’abord, établit bientôt après des modifications qui le rétractent presqu’entièrement, de manière que leur arrêté, à cet égard, ne peut être regardé que comme un refus positif. Par cette considération,&attendu que MM. de la noblesse ne se sont pas même désistés de leur précédente délibération contraire à tout projet de réunion, les députés des communes pensent qu’il devient absolument inutile de s’occuper davantage d’un moyen qui ne peut plus être dit conciliatoire, du moment qu’il a été rejetté par une des parties à concilier».

«Dans cet état des choses, qui replace les députés des communes dans leur première position, l’assemblée juge qu’elle ne peut plus attendre, dans l’inaction, les classes privilégiées, sans se rendre coupable envers la nation, qui a droit, sans doute, d’exiger d’elle un meilleur emploi de son tems. Elle juge que c’est un devoir pressant pour tous les représentans de la nation, quelle que soit la classe de citoyens à laquelle ils appartiennent, de se constituer, sans délai, en assemblée active, capable de commencer à remplir l’objet de leur mission».

«L’assemblée charge les commissaires qui ont suivi les différentes conférences, d’écrire le récit des longs et vains efforts des députés des communes, pour tâcher d’amener les classes privilégiées aux vrais principes. Elle les charge d’exposer les motifs qui la forcent de passer de l’état d’attente à celui d’action».

«Enfin elle ordonne que ce récit&les motifs seront imprimes à la tête de la délibération; mais puisqu’il n’est pas possible de se former en assemblée active, sans reconnoître, au préalable, ceux qui ont droit de la composer, c’est à dire, ceux qui ont qualité pour voter comme représentans de la nation, les mêmes députes des communes croient devoir faire une dernière tentative auprès de ceux de MM. du clergé &de la noblesse, qui annoncent la même qualité, et qui néanmoins ont refusé, jusqu’à présent, de se faire reconnoître. Au surplus, l’assemblée ayant intérêt de constater le refus de ces deux classes de députés, dans le cas où ils persisteroient à vouloir rester inconnus, elle juge indispensable de joindre, à ses nouvelles instances, une nouvelle invitation, qui leur sera portée par des députés chargés de leur en faire lecture, et de leur en laisser copie, dans les termes suivans:

«Messieurs, nous sommes chargés par les députés des communes de France, de vous prévenir qu’ils ne peuvent pas différer davantage de satisfaire à l’obligation imposée à tous les représentans de la nation. Il est tems, assurément, que ceux qui annoncent cette qualité, se reconnoissent par une vérification commune de leurs pouvoirs, et commencent enfin à s’occuper de l’intérêt national, qui seul, à l’exclusion des intérêts particuliers, se présente comme le grand but auquel tous les députés doivent tendre d’un commun effort».

«En conséquence, attendu la nécessité ou sont les représentans de la nation, de se mettre en activité, sans autre délai, les députés des communes vous prient de nouveau, messieurs, et le devoir leur prescrit, de vous sommer de venir dans la salle des états pour assister, concourir, et vous soumettre, comme eux, à la vérification commune des pouvoirs. Nous sommes, en même tems, chargés de vous avertir que l’appel général de tous les baillages se fera dans une heure d’ici, et que, faute de se présenter, il sera prononcé défaut contre les non-comparans».

Cette motion étoit spécieuse: elle mettoit tout le tort du côté du clergé&de la noblesse; cependant, pour être juste, il auroit fallu y énoncer aussi les motifs qui détournoient ces deux ordres d’une vérification en commun et ces motifs étoient tout au moins plausibles, puisqu’ils portoient sur des loix fonda mentales, sur un usage constamment suivi dans tous les états-genéraux.

Pourquoi d’ailleurs exiger que le clergé et la noblesse reconnussent la dénomination de communes, que prenoit le tiers-état?

Que vouloit dire encore cette prétention, qui a entraîné dans de si funestes erreurs, de métamorphoser les députés aux états-genéraux, en représentans de la nation? Le seul individu qui pût se dire le représentant de la nation, c’étoit le roi qui la représente en effet collectivement, et d’une manière irrévocable et perpétuelle. Chaque député aux états-généraux étoit le representant d’un bailliage, mais non de l’universalité des bailliages.

Enfin, sous quelque rapport que l’on envisageât les prétentions respectives des trois ordres, on ne pouvoir les considérer que comme un grand procès qui s’élevoit entr’eux. A qui appartenoit-il de le juger? Etoit-ce à une ou à deux des trois chambres? non, sans doute, car comme elles étoient parties intéressées dans la querelle, celle qui auroit juge, auroit jugé dans sa propre cause. Il n’y avoit donc pas de milieu. Le: jugement appartenoit ou à une autorité supérieure aux trois ordres et légale, ou à la force.

Dans le premier cas, il falloit recourir à la décision du roi, qui dans un moment où, à la rigueur, il n’y avoit pas même de députés aux états généraux, puisque les titres n’étoient pas encore vérifias, possédoit très-certainement, tout au moins, la législation provisoire du royaume. Comment celui qui; avoit eu le droit de convoquer, d’organiser les états-généraux, n’auroit-il pas eu le droit de les constituer, surtout quand il n’existoit aucune autorité qui pût le remplacer dans cette fonction?

Ces notions si simples ne furent pas présentées, je ne dis pas, par un seul homme de la chambre du tiers, mais même par un seul homme des deux autres chambres. Personne ne proposa le recours au roi. Faut-il s’étonner qu’on se soit égaré, lorsque de part et d’autre, on a consenti à marcher sans guide?

C’étoit cependant bien le moins que le tiers-état, en adoptant le projet que lui présentoit M. l’abbé Sieyes, fit part au monarque de sa résolution. M. Régnault de Saint-Jean-d’Angely en ouvrir l’avis; M. de Mirabeau le combattit, et insista pour qu’il ne fût rien changé à la forme du projet d’arrêté; ainsi que M. l’abbé Sieyes, il vouloit qu’on fit une sommation aux deux premiers ordres,&que, comme il se pratique dans les tribunaux, on prit défaut contr’eux, s’ils ne se présentoient pas.

Non-seulement cela ne paroissoit pas sage, même dans les vues de ceux dont M. de Mirabeau se rendoit l’organe; mais encore il ne sembloit pas possible que lui même pût avoir une telle opinion, parce qu’il devoit lui être intéressant, parce qu’il devoit entrer dans ses projets d’attirer tôt ou tard la majorité du clergé,&celle de la noblesse dans l’assemblée du tiers-état; or une telle sommation eût irrévocablement fermé la porte de cet ordre à ceux des deux premiers qui n’y eussent pas répondu.

Cette opinion de M. de Mirabeau est d’autant plus remarquable, que, quelques jours après, il en manifesta une plus modérée. Cela ne doit pas cependant étonner: peu importoit à cet homme, pour l’exécution du plan qu’il portoit aux états généraux, que les deux premiers ordres se réunissent en totalité, ou seulement en partie, ou même point du tout au tiers état. Il n’en seroit pas moins arrivé à ses fins, quelque fût l’issue de cette première attaque. Un grand déchirement qui eût donné une forte commotion, eût mieux secondé, surtout dans ces premiers instans, ses vues particulières, en même tems qu’il étoit plus analogue à son caractère qui préféra toujours les partis violens.

Je peux même assurer que ni Mirabeau, ni ses confidens ne s’attendoient que les ecclésiastiques&les gentilshommes viendroient, paisiblement, à la suite les uns des autres, se mettre dans les filets du tiers-état. Ils pensoient que leur ordre ne prendroit la supériorité que par une secousse extraordinaire, et je sais qu’ils ne doutoient point que le moment où il prétendroit former à lui seul les états-généraux, ne fut celui de la guerre civile. Elle eut été fort du goût de Mirabeau qui eût toujours été maître du grand nombre, sans compter que c’étoit réellement un besoin pour son ame de vivre au milieu du désordre, au milieu des ruines. Il pouvoit se faire illusion,& se croire né pour réformer un empire; la vérité est qu’il étoit né pour bouleverser toute société qui l’auroit laissé agir.

Quoique M. Target fût déjà fort avant dans la confidence de Mirabeau, et qu’il pensât, comme lui, que la guerre civile étoit nécessaire pour opérer la révolution, cependant il vota non pour une sommation, mais pour une simple invitation.

«Laissons, dit-il, une porte à la réunion; et lorsque les préjugés se seront évanouis, lorsqu’ils verront, ces deux ordres privilégiés, que vous n’attaquez ni leurs droits, ni leurs prérogatives, ils regretteront de s’être éloignés de ces lieux, où sont les amis de la justice et de l’équité, leurs frères, leurs concitoyens; de ces lieux où la nation se rassemble pour régénérer les loix et détruire les abus. Eh! sans doute, au moins espérons-le, si tous ne se réunissent pas à nous, au moins en aurons-nous une grande partie, qui, défavouant des usages absurdes et des préjugés superstitieux, viendront ici se joindre à la portion la plus nombreuse de l’état».

Comment M. Target, qui étoit aussi bien instruit des événemens qui se préparoient, pouvoit-il annoncer solemnellement aux deux premiers ordres, qu’on attaqueront ni leurs droits, ni leurs prérogatives? Il savoit que le clergé, que la noblesse et que la magistrature seroient anéantis, et il leur promettoit, en présence de la nation, que leurs droits&leurs prérogatives seroient conservés! C’est là un trait de perfidie si odieux, que Mirabeau lui-même n’eût osé s’en charger; il couvre à jamais de honte M. Target, dont le nom avoit été, jusqu’à ce jour, sans tache. Il pouvoit bien, puisqu’il en avoit pris l’engagement avec ses complices, déclarer une guerre opiniâtre aux corps qu’il appelloit aristocratiques; mais descendre, pour les vaincre, à la plus lâche des trahisons, c’est une bassesse qui a dû le rendre méprisable à son propre parti.

On s’étonnera peut-êrre que M. Target qui, dans des tems orageux, avoit embrassé avec fermeté les intérêts de la magistrature, eût abandonné aussi brusquement les principes qu’il n’avoit cessé de manifester. Il est vrai que, dans tous les orages, qui s’étoient élevés contre le parlement, M. Target avoit conformé sa conduite à celle de cette compagnie, et c’est pour cette raison qu’au barreau de Paris, on l’avoit surnommé La Vierge. On vouloit par-là donner à entendre qu’il avoir toujours partagé les disgraces des magistrats, et qu’il n’avoit jamais plaidé en leur absence.

M. Target n’en étoit pas pour cela plus ami du gouvernement monarchique. C’est l’homme de son siècle, le plus profondément dissimulé. Il a caché ses véritables opinions aussi long-tems qu’il a cru dangereux de s’en glorifier, Jetté dans la tourbe des sectateurs du philosophisme, il avoit épousé toutes leurs rêveries. Son plus intime ami fut un de ses confrères, appellé Elie de Beaumont, qui eut quelque célébrité au barreau, et qui ne la méritoit pas, car ; outre qu’il n’avoit qu’un esprit médiocre, il montroit peu de jugement, et dans les discussions des affaires dont il se chargeoit, et dans le choix de celles qu’il adoptoir. Il cherchent moins à defendre une cause juste, qu’une cause qui pouvoit fixer sur lui les yeux du public.

Elie de Beaumont se faisoit gloire d’allier au mépris pour les opinions religieuses, la haine pour les gouvernemens monarchiques. Il avoit, dans l’intérieur de son logement, élevé une sorte de temple aux hommes de tous les siècles, qui s’étoient rendus fameux par leur haine pour les rois et la royauté. Il vous introduisoit mystérieusement dans une petite salle, où l’on voyoit leurs portraits; vous les montroit, et jouissoit délicieusement de l’opinion qu’il croyoit que vous inspiroit, en sa faveur, la vue de ce spectacle.

Elie de Beaumont se plaisoit aussi à recueillir chez lui, et à traiter les Anglois qui visitoient la capitale; il tiroit vanité de son commerce avec eux; faisoit parade, devant eux, de sa démagogie, et ne manquoit pas de leur ouvrir les portes du mystérieux sallon. J’ai connu un de ces Anglois qui, dix ans après avoir vu Elie de Beaumont, rioit encore, aux éclats, des impertinences politiques que cet avocat lui avoit débitées.

On peut juger des inclinations&des principes de M. Target, par son intimité avec un homme dont toute l’ambition consistoit à passer pour républicain. Lors donc que M. Target se rangeoit sous les drapeaux du parlement, d’abord il avoit en vue de conquérir l’opinion publique, et de mériter la considération du plus grand nombre; ensuite il entroit dans son systême de seconder une attaque qu’il croyoit dirigée contre le trône. Mais lorsque, dans la suite, il vit qu’il étoit dans l’erreur sur les véritables intentions des parlemens, lorsqu’il vit que ces compagnies, après avoir protégé le peuple contre les fautes des ministres, venoient se placer au-devant du trône, pour le défendre contre les factieux, alors il se confondit avec ces derniers, et abandonna le corps des magistrats.

Une des plus grandes singularités de la vie de M. Target, c’est le contraste de la célébrité dont il jouissoit au barreau de Paris, et de l’obscurité où il est tombé aux états-généraux. Ce phénomène s’explique encore naturellement: M. Target étoit chéri par tous les magistrats du parlement, qui le voyoient avec complaisance ne point les abandonner dans leur mauvaise fortune, et ils n’étoient point fâchés d’opposer ce rival à M, Gerbier, autre avocat célebre, qui, ayant reçu d’eux tous les encouragemens et tous les moyens de se produire avec avantage, les avoit plus d’une fois payés d’ingratitude.

Les magistrats donc, par leurs recommandations, contribuèrent beaucoup à la réputation dont M. Target jouissoit auprès d’eux. Les philosophes&les gens de lettres, qu’il cultivoit,&dont il s’étoit fait le disciple, le prônèrent à leur tour; ainsi M. Target se vit en possession de la seconde place au barreau, et de la dernière à l’académie françoise.

Un travail assidu et des efforts continuels pour paroître éloquent, le tinrent à-peu-près, du moins aux yeux de la multitude, au niveau du rang où les magistrats et les philosophes l’avoient élevé.

Tout changea, à son égard, aux états-généraux. Cethéâtrene pouvoit luiconvenir sous aucun rapport. Des contestations judiciaires ne ressemblent point à des discussions politiques; dans les premières, l’esprit d’analyse et l’étude des loix d’une province suffisent pour obtenir des succès. Dans les secondes, il faut, à un esprit naturel, réunir une variété de connoissances que M. Target n’avoit point acquises. Comment eût-il pu, tout d’un coup, s’élever, des intérêts particuliers et souvent minutieux de quelques individus, aux intérêts généraux et graves des nations? Son génie ne pouvoit prendre un vol aussi rapide.

Son inexpérience à improviser lui a aussi beaucoup nui aux états-généraux. Au barreau, il lisoit tous ses plaidoyers; cette méthode, que proscrit la véritable éloquence, pouvoit n’être pas infiniment désavantageuse à un orateur parlant à la barre d’une cour de judicarure, parce qu’il arrivoit rarement qu’il fût interrompu, et s’il arrivoit qu’il le fût, il n’avoit à répondre qu’à son seul adversaire; mais dans la tribune des états-généraux, en présence de douze cents personnes, qui toutes s’arrogent le droit de vous interrompre, si l’on veut tout lire, on n’est point orateur.

Dans une telle tribune encore, M. Target paroissoit avec d’autant plus de désavantage, qu’il ne pouvoit cacher, sous les plis d’une longue robe, l’attitude de son corps, qui est ignoble; et que ne voyant pas d’un oeil, n’entendant pas d’une oreille, semblant dédaigner, tantôt de regarder, tantôt d’écouter ceux qui lui présentoient des objections, il avoit toujours une contenance qui excitoit tour-à-tour le rire et la pitié.

Ce fut sur-tout pendant sa présidence qu’il parut avec toute cette défaveur, parce que, dans cette place il faut improviser à chaque instant, il faut tout voir, tout entendre. Aussi, du moment où il quitta le fauteuil de président, le peu de gloire qui lui étoit resté, s’éclipsa entièrement.

Si M. Target n’a pas mieux réussi dans les comités que dans la tribune, et sur le fauteuil de président, il faut l’attribuer, sur-tout, à la trop haute idée qu’il avoit de lui-même. Les encouragemens qu’il avoit reçus au palais, les applaudissemens qu’il y avoit recueillis, son intimité avec les gens de lettres, lui avoient persuadé que la considération qu’on lui accordoit étoit le fruit de la conviction où l’on étoit généralement, qu’il honoroit son siècle par son savoir. Il sélança donc, dans la nouvelle carrière, avec toute la confiance d’un homme qui croyoit n’avoir que des lumières à communiquer, et plus rien à acquérir.

Mais comme réellement ses connoissances se bornoient à une légère teinture des belles-lettres, et à la jurisprudence des tribunaux du ressort du parlement de Paris, il resta infiniment au-dessous de toutes les matières qu’il voulut traiter, et son incapacité étonna tous les partis, parce que tous Ils partis s’étoient fait de son savoir, une idée avantageuse.

Si M. Target eut su s’apprécier lui-même, il eût pu retenir la portion de renommée qu’il s’étoit faite parce qu’au lieu de se hâter, de se confondre avec les orateurs, de prendre rang dans les comités, il se fût pendant quelque tems, tenu à l’écart, il eût suppléé à son insuffisance par de sérieuses études de ce qu’il ignoroit; et ce neut été qu’après s’être mis en état de combattre, qu’il se fût mêlé parmi les athlètes.

Telles sont les véritables causes qui ont fait éclipser toute la bonne réputation que M. Target avoit apportée aux états-généraux; car c’est une erreur de croire que les épigrammes auxquelles il a été long-tems en butte, ont contribué à jetter son nom dans l’obscurité. L’arme du ridicule ne fait jamais que glisser sur ceux qui ont un mérite réel. C’est une vérité attestée par tous les siècles. Perrault et Quinault, malgré les plaisanteries de Boileau, n’en sont pas moins immortels, et tous les sarcasmes de Voltaire n’empêcheront pas les chefs-d’oeuvres lyriques, et la Didon de Pompignan, de vivre aussi long-tems que la langue françoise.

Lauteur des actes des apôtres n’a pas versé moins de ridicule sur Mirabeau; mais il ne lui a rien fait perdre ni de sa célébrité, ni de son crédit auprès de ceux qu’il conduisoit, parce que Mirabeau avoit en lui-même des ressources qui lui faisoient braver la satyre; il avoit voyagé, observé, étudié, et M. Target n’avoit aucun de ces avantages.

Son ardeur à se mettre sur les rangs aussi-tôt qu’il se présentoit une questionim portante à discuter, prouve combien peu il se méfioit de lui-même; et dans cette première opinion sur les voies de conciliation il parut, à ceux qui l’examinèrent de près, chercher plutôt à se faire admirer, qu’à éclairer ses co-députés.

Cette opinion, au reste, à part la tache de perfidie qu’elle a imprimée sur son nom, étoit modérée. Deux de ses anciens confrères, MM. Martineau et Treilhard voulurent aussi discuter la matière, et l’un et l’autre le firent longuement, comme c’est l’usage des hommes de cette profession. Le premier vota pour l’acceptation pure et simple de l’ouverture faite par le ministre; le second se perdit dans des dissertations ampoulées, pour en revenir à l’invitation proposée par M. Target,

C’étoit perdre le tems en paroles oiseuses, et c’est ce qui est arrivé dans toutes les séances où les avocats ont voulu parler. La question y droit bien aisée à poser; elle se réduisoit à ceci: faut-il admettre, ou faut-il rejeter l’ouverture proposée par M. Necker?

Au lieu de s’occuper à résoudre cette question, on s’obstina à vouloir délibérer sur la motion de M. l’abbé Sieyes; 245voix l’acceptèrent, en substituant l’invitation à la sommation; 246l’acceptèrent avec le même adoucissement, et en outre avec la clause, ou l’amendement, comme on a parlé depuis, d’exposer par une députation, au roi, les motifs de cet arrêté. Quelques membres refusèrent de donner leurs voix; d’autres votèrent pour un renvoi aux bureaux.

Cette diversité d’opinions, et le peu d’expérience qu’on avoit à recueillir les voix, firent qu’on ne sût plus si la majorité étoit pour ou contre la proposition de M. l’abbé Sieyes. Dans le partage, en effet, de245 voix d’un côté, et de246de l’autre, on ne trouvoit point la moitié et une en sus, de toutes les voix de l’assemblée.

M. Bailly termina la difficulté en interprétant l’intention de ceux qui avoient voté pour l’invitation simple; il dit que probablement ils consentoient à l’amendement. On ne doit, dans aucune assemblée délibérante, interpréter ainsi les suffrages, et M. Bailly le fit, dans cette occasion, avec mal adresse: il eut mieux raisonné s’il eût dit; laissons un instant l’amendement de côté, 245voix d’une part demandent l’invitation; 246d’un autre côté, la demandent également; il y a donc, en faveur de cette motion, une majorité de491membres; il ne restoit plus alors que l’amendement à mettre aux voix.

Quoique M. Bailly ne procédât point avec cette forme, il n’en fut pas moins décidé que la motion de M. l’abbé Sieyes avoit été acceptée à une pluralité de491voix. Elle fut donc arrêtée comme elle avoit été proposée, mais avec le changement dont j’ai parlé, qui consistoit à substituer le mot invitation, à celui sommation.

Dès qu’on fut instruit de cette décision, et dans Versailles et dans Paris, il n’y eut personne qui ne regardât toute voie de conciliation comme impossible; et l’impatience de savoir quel effet produiroit cet arrêté dans les chambres du clergé et de la noblesse, fut extrême.

On ne put s’en occuper le lendemain du jour où il fut pris. Les chambres ne s’assemblèrent point à cause de la solemnité de la Fête-Dieu; elles ne se trouvèrent point en corps à la procession; le clergé et la noblesse y envoyèrent chacun12députés; le tiers-état en envoya24. Le roi, les princes et les princesses accompagnèrent le saint-sacrement; la reine, pour qui les sujets d’affliction se renouveloient journellement, n’assista point à la solemnité. Le deuil et la douleur la retinrent au château.

Mais quoique les chambres ne s’assemblassent pas; ce jour-là, les intrigans ne restèrent pas dans l’inaction. On fit un dernier effort auprès des curés; cent, à peu-près, se laissèrent ébranler; ils se réunirent en comité particulier; et là, cédant aux insinuations qui venoient de leur être données, ils résolurent de se rendre, dès le lendemain, dans la salle du tiers-état, sans même mettre l’affaire en délibération dans leur propre chambre.

Ils eussent, en effet, effectué ce projet, si les membres mêmes du tiers, qui le leur avoient fait concevoir, ne les en eussent détournés; ils leur représentèrent que quand ils se réuniroient sur le champ au tiers-état, il n’y en auroit pas moins une délibération dans la chambre du clergé, et qu’en ne s’y trouvant pas, ils priveroient leur parti d’autant de voix.

Cette observation suspendit leur empressement; mais en attendant la détermination ultérieure du clergé, ils firent une protestation contre la non-réunion, en cas que cette non-réunion fut arrêtée par leur ordre.

Les ecclésiastiques paroissoient s’agiter encore plus que les gentilshommes, et cela devoir être, parce que ces derniers étoient assurés de retenir la majorité, au lieu que les premiers, ayant parmi eux tant de membres du tiers-état, se voyoient menacés d’une désertion considérable.

M. l’abbé Coster se donnoit de grands mouvemens pour retenir, dans leur ordre, ceux de ses confrères qui vouloient l’abandonner; mais M. l’abbé Coster n’éroit nullement propre à cette sorte de négociation. Il ne tiroit point assez d’autorité ni de son nom, ni du rang qu’il tenoit dans le clergé, ses manières ne sont pas assez insinuantes; et la roideur qui se manifeste désagréablement sur son extérieur, se trouve dans son caractère. Son esprit d’ailleurs est tourné à la raillerie et au sarcasme, ce qui est bien le plus détestable de tous les genres, lorsqu’il s’agit de discuter de grands intérêts.

M. l’abbé Coster ne réussit donc pas, parce qu’il ne pouvoit manier les armes de la raison avec cette dignité et ces ménagemens qui attirent, et qui persua dent. Ce qui acheva de lui ôter tout crédit sur l’esprit de ceux qu’il vouloit convaincre, c’est qu’il ne se montra point ferme dans ses principes. Un jour il prétendit que, sur l’article de la réunion, la majorité des membres de sa chambre, devoir contraindre a minorité; et le lendemain, lorsqu’il vit son ordre me nacé d’une nombreuse défection, il soutint quea minorité ne pouvoit recevoir la loi, de la majorité. Cette versatilité acheva de le décrier.

Le zèle que M. l’abbé Coster montra dans cette occasion, est le seul titre qu’il ait acquis à la reconnoissance des amis de la bonne cause, et c’est aussi à ces négociations, que se bornent, à-peu-près, ses travaux publics. Réuni dans la salle du tiers-état, il n’a cessé de se montrer très-assidu aux séances; mais il en employa le tems à composer un bulletin satyrique de chacune des opérations de l’assemblée. Si ce recueil d’épigrammes passe à la postérité, elle s’étonnera que l’on pût ainsi se contenter d’opposer des plaisanteries amères aux entreprises les plus sérieuses et les plus désastreuses.

Que M. l’abbé Coster emploie les loisirs que lui laisse sa nullité dans les états-généraux, à la rédaction d’un bulletin, le mal n’est peut-être pas bien grand pour l’empire, quoique très-certainement, il n’ait point reçu une telle commission par les cahiers que lui ont remis ses commettans. Mais ce qui est véritablement contraire aux intentions de ceux-ci, et à la dignité de leur représentant, c’est que M. l’abbé Coster, imitant des hommes qu’il méprise, fasse trafic de ce bulletin, et le vende au poids de l’or. Je suis fâché que ce reproche coule de ma plume; mais m’étant imposé l’ obligation de traduire les hommes qui composent l’ assemblée nationale, au tribunal de la postérité, je lui dois leur portrait, et la justice que j’excrce envers ceux dont les principes religieux et politiques sont conformes aux miens, lui sera une preuve de mon impartialité.

Histoire de la Révolution de France et de l'Assemblée nationale

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