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CHAPITRE V.
ОглавлениеPremière promesse des états-généraux; retraite de M. de Brienne; massacre du Pont-Neuf; seconde élévation de M. Necker; retraite de M. de Lamoignon; carnage des rues de Grenelle et Mêlée; premières associations au Palais-Royal; mort du maréchal de Biron.
Août, Septembre, Octobre, Novembre1788.
ENFIN les ministres cédèrent; il parut un arrêt du conseil, qui promettoit les états-généraux pour le mois de mai suivant, et suspendoit le rétablissement de la cour plénière jusqu’à leur convocation; c’étoit céder à l’opinion tout ce qu’elle demandoit; mais on crut l’avoir plutôt arraché qu’obtenu.
Les ministres cependant, en faisant ce sacrifice à l’opinion, fixoient, par un second arrêt du conseil, l’époque du remboursement des charges de judicature supprimées. Il émana en même tems un troisiême arrêt du conseil, qui allarma toute la classe des rentiers, et donna lieu à des conjectures allarmantes sur l’état du trésor royal. Cet arrêt portoit que les rentes perpétuelles et viagères au-dessus de500l. seroient payées, trois huitièmes en billets du trésor royal, et cinq huitièmes en argent, et celles au-dessus de 1,200I., trois cinquièmes en argent, et deux cinquièmes en billets.
On profita de ce dernier arrêt pour exciter des troubles; on se précipita en foule a la caisse d’escompte; des soldats en gardèrent l’intérieur et les environs. La cour sembla s’allarmer de ces mouvemens; il parut un nouvel arrêt du conseil, qui autorisa le caissier de cette compagnie, à payer, jusqu’au premier janvier suivant, en bons effets et lettres-de-changes.
Le petit peuple aussi se trouva frappé d’une certaine terreur; le prix du pain augmenta; il se répandit des bruits fâcheux sur la rareté de cet aliment de première nécessité. Les précautions que prenoit la police, en assurant la tranquillité publique, ajoutoient à l’inquiétude. Les commissaires des quartiers ne devoient pas bouger de chez eux; les soldats avoient ordre de rester dans leurs casernes, et à la première réquisition d’un commissaire, il devoit lui être envoyé douze fusiliers, deux caporaux et un sergent. Tous les marchés étoient environnés de troupes.
Trois hommes destinés à jouer un rôle dans la révolution, commencèrent à occuper d’eux le public. MM. le comte de Mirabeau, Bergasse et l’abbé Fauchet, se déclarèrent contre les opérations les ministres; le premier, dans des écrits contre les compagnies de finance; le second, dans une éloquente apologie, qu’il publia pour un de ses cliens; et le troisième, dans un discours sur le couronnement de la Rosière de Surène.
L’indignation de la multitude se manifesta contre ceux qu’on croyoit tenir au parti des ministres. Les membres du grand-conseil, qui avoient enregistré l’édit qui leur attribuoit les causes du grand criminel, étoient hués et insultés en sortant de leurs séances: on se porta même à des violences contre quelques-uns d’entre eux.
L’orage grossissoit, la France entière étoit dans les convulsions: on crut rétablir le calme, en donnant au vaisseau public un autre pilote; le jour même de la fête du roi, M. de Brienne abandonna les rênes du gouvernement; il donna sa démission à quatre heures après-midi, et, dès le lendemain matin, M. Necker parut à Versailles. M. Lambert, contrôleur-général, donna également sa démission.
L’élévation de M. Necker, à la place de ministre d’état et de directeur-général des finances, changea en un instant la face de la capitale; les effets publics haussèrent: on n’entendoit de tout côté et on ne voyoit que des témoignages d’allégresse; chaque jour, à l’approche de la nuit, tous les quartiers retentissoient des cris, vive le roi! et du bruit des feux d’artifice; mais les désastres ternirent ces jours de fête. On brûla burlesquement, à la place dauphine, un fantôme représentant le prélat ex-ministre. Le lendemain, dans la crainte qu’on ne renouvellât l’indécente farce de la veille, la garde de Paris eut ordre de ne laisser entrer personne à la place dauphine: pour s’y opposer, elle se porta sur le Pont-Neuf; il s’y engagea entr’elle et le peuple, une sorte de combat; celui-ci laissa environ150hommes sur la place. Au nombre des blessés, se rencontra le marquis de Nesle, qui eût la tête frappée d’un coup de bayonnette. Comme il n’étoit pas naturel qu’un gentilhomme se trouvât en tel lieu et à une telle heure, on supposa que dès-lors il se mêloit dans les attroupemens, des hommes qui excitoient le peuple à la sédition.
Le soir du jour qui suivit cette scène, la foule se rassembla de nouveau; le guet fut maltraité; des pelottons de fantassins et de cavaliers furent désarmés; on brûla quelques guerites, entr’autres celles du Pont-Neuf, et les incendiés faisoient retentir l’air des cris, vive Henri IV, vive les gardes-françoises, vive les gardes-suisses. Mais le peuple fut par-tout repoussé et battu; la garde fut même obligée, en quelques endroits, de faire feu sur les mutins. Parmi ces mutins, ceux qui se montroient les plus ardens à exciter les désordres, ont reparu dans toutes les scènes séditieuses qui se sont reproduites jusqu’à ce jour. Paris, comme presque toutes les capitales, renferme dans son sein une multitude prodigieuse de bandits, toujours prêts à se vendre aux premiers factieux qui veulent les soudoyer. C’est cette classe d’hommes qui, vers le milieu du dernier règne, seconda les grossiers prestiges d’une secte fanatique, et c’est elle que, de nos jours, on a entraînée à tons les forfaits.
Ces premiers essais de sa force, ne firent qu’accroître son audace: chaque soir le tumulte recommençoit. Le lendemain du désastre qui eût lieu sur le Pont-Neuf, la populace tenta d’incendier la maison du commandant du guet, et de forcer la prison où l’on avoit enfermé quelques-uns des mutins arrêtés la veille; mais ces projets s’évanouirent à la vue des gardes-françoises et gardes-suisses, qui marchèrent en ordre de bataille contre les séditieux, et firent bonne contenance; car les instigateurs de ces troubles n’avoient point encore ébranlé la fidélité des troupes.
La révolution ministérielle, prélude d’une plus grande révolution, rehaussa les espérances des perturbateurs; mais elle ne rehaussa pas celles des parlemens, qui n’aimoient pas M. Necker, et qui avoient raison de ne pas aimer un homme dont les idées populaires étoient en effet redoutables. Ils surent d’ailleurs que M. de Brienne, en quittant le ministère et la cour, avoit fait un dernier effort pour rendre leur fidélité suspecte au roi. Il est certain que ses adieux au monarque, furent l’avis suivant, sinon en propres termes, du moins en substance: «Sire, gardez-vous bien de rappeler les parlemens, sous aucune condition, sinon la France n’est plus une monarchie».
Le plus grand nombre cependant regardoit comme un bienfait le rappel de M. Necker, et si ceux qui en avoient cette idée avantageuse, eussent été justes, ils eussent reconnu qu’ils étoient redevables de ce bienfait à la reine, qui, entraînée par son désir de contribuer à la félicité publique, eût la principale part à la seconde élévation de ce ministre. Le billet qui lui en apprit la première nouvelle étoit écrit de la propre main de la reine, et en se rendant à Versailles, il parut d’abord dans le cabinet de cette souveraine, qui avoit prévenu tous les esprits en sa faveur. Il s’entretint avec elle pendant près d’une heure, au bout duquel tems, le roi survint, et lui dit à peu près: «je vous estimois, il y a7ans; aujourd’hui je vous estime et je vous aime».
Après une demi-heure d’entretien, le roi se retira, et M. de Villedeuil vint chercher le nouveau ministre, pour le présenter à la famille royale. Monsieur lui dit: cc Le vœu de la nation vous rappelle ici, et je vous y vois avec le plus grand plaisir. En81, j’avois quelque prévention contre vous, sans jamais cesser de vous estimer; vos ouvrages m’ont réconcilié avec le ministre des finances: à trente ans passés, on pense; on juge différemment qu’à vingt-cinq».
Tel est l’accueil flatteur que M. Necker reçut à la cour: la suite de cette histoire fera connoître comment il a répondu à la confiance d’un roi dont l’ame ne s’est jamais ouverte au soupçon; d’une reine qui ne met point de bornes à son attachement; d’une famille enfin qui remettoit aveuglément son sort entre ses mains. Quel précieux dépôt! et quel homme que M. Necker! Comment son ame ne s’est-elle pas brisée de douleur, lorsqu’il a vu les marches du trône, sur lesquelles il avoit été élevé, teintes de sang? lorsqu’il a vu son auguste bienfaitrice menacée par des assassins? lorsqu’il a laissé enfin, à sa seconde retraite, le trône avili, et ceux qu’il étoit appelé à sauver, dans le deuil et dans les larmes? Il étoit possible, sans doute, que M. Necker, entraîné, par des circonstances qu’on ne peut pas toujours prévoir, trompât l’attente qu’il avoit lui-même provoquée par tant de promesses et d’écrits; mais qu’il ait survécu à l’entière destruction d’une monarchie qu’il se disoit destiné à sauver, c’est ce que l’homme sensible ne comprendra jamais.
La rentrée des cours souveraines donna une nouvelle impulsion aux esprits, et ajouta à l’effervescence, déja presque à son comble. A peine les magistrats du Parlement furent sur les fleurs de lys, qu’ils mandèrent le lieutenant de police, le commandant du guet, et rendirent un arrêté, dans lequel les princes, les pairs, et notamment le maréchal de Biron, étoient invités à venir prendre place dans l’assemblée des chambres. Un autre arrêté demandoit la liberté de tous ceux qui pourraient être prisonniers ou exilés à l’occasion des derniers troubles, et supplioit le roi de rendre justice à tous ceux qui se trouvoient, par l’effet des intrigues ministérielles, (ce sont les expressions de l’arrêté) privés de leur état et dignité; comme aussi de rétablir les militaires qui avoient été destitués de leurs emplois.
Le roi ne se contenta pas de rendre une déclaration qui remettoit toutes les choses comme elles étoient avant le8mai, il fit encore cette réponse au parlement: «Ma bonté a prévenu le vœu de mon parlement, en rappelant les personnes que j’avois jugé à propos d’éloigner. La distribution des graces et la discipline militaires ont des choses étrangères à mon parlement».
Cette compagnie, en rentrant, avoit aussi rendu un arrêt contre les attroupemens, mais ils ne cessoient pas pour cela; ils se multiplièrent, au contraire, d’une manière si alarmante, que les colonels des Gardes-Françoises et Gardes-Suisses furent autorisés, par une ordonnance du roi, à repousser la force par la force. L’augmentation du prix du pain faisoit murmurer le petit peuple; et ceux qui avoient intérêt à le tenir dans l’agitation, ne manquèrent pas de l’effrayer, par la crainte que cette augmentation ne fût portée plus haut.
La démission que M. de Lamoignon donna des sceaux, qui furent confiés à M. de Barentin, fut un nouveau prétexte pour recommencer le tumulte; on répéta, à cette occasion, à la place dauphine, les mêmes scènes qui avoient eu lieu lors de la retraite de M. de Brienne; tout à-coup la foule quitta la place, et se précipita, partie vers l’hôtel du commandant du guet, partie vers celui de M. de Brienne, et le reste vers celui de M. de Lamoignon. La garde accourut; et voyant parmi les séditieux des incendiaires, elle fut obligée, pour les disperser, de faire sur eux une decharge: deux cents environ restèrent sur la place.
Tous les soirs aussi, un grouppe d’hommes mal vêtus, se portoit devant la statue de Henri IV, et forçoit les passans à la saluer. La voiture même du duc d’Orléans fut arrêtée, et le prince obligé de manifester, à l’extérieur, des sentimens de vénération pour le chef de sa maison.
Comme le tems n’étoit pas encore venu d’élever des soupçons sur la fidélité des gardes-françoises, ceux qui se nourrissoient de projets de rebellion, concevoient celui de les effrayer, ou peut-être même de les égorger. On répandit du moins des billets qu’on glissoit jusques sous les portes des maisons, et par lesquels on avertissoit les habitans de ne pas se trouver dans les rues après onze heures du soir, parce qu’il devoit y avoir pendant une nuit, un combat sanglant entre le peuple et le régiment des Gardes.
La fermeté des troupes, et le zèle avec lequel elles dissipoient les attroupements à mesure qu’ils se formoient, maintinrent au moins une tranquillité apparente dans la capitale, quoiqu’on ne cessât d’effrayer le petit peuple par la crainte d’une disette de pain. On continuoit également à nourrir la prévention publique de libelles contre la reine; cette princesse n’igneroit pas l’effet que la calomnie avoit déjà produit. Elle recommanda un jour à M. Necker une personne pour une place qui vaquoit dans le département des finances. Le ministre lui représenta que cette personne ne connoissoit absolument rien au travail de la place, et qu’il lui paroîtroit plus convenable de la donner à une autre personne qu’il désigna, et dont il assura que les talens lui étoient parfaitement connus. La reine approuva beaucoup l’observation de M. Necker, et retira sa recommendation; mais celui-ci lui ayant ensuite demandé la permission de publier cette anecdote, afin qu’on rendît justice à S.M.: Gardez-vous eh bien, répondit la reine avec la plus grande sensibilité, hélas! ils ne le croiroient pas!
La confiance qu’inspiroit ce ministre tenoit de l’ivresse; et, avec un tel moyen, que n’eût-il pas pu faire? Il s’étoit répandu qu’il avoit trouvé le trésor royal entièrement dénué de numéraire, et de toute part on s’empressoit à seconder ses efforts pour la restauration des finances. L’Espagne prêta au gouvernement soixante-dix millions, la ville d’Hambourg dix, les notaires de Paris en prêterent sept les corps et métiers quatre.
Les gens de lettres secondoient par leurs écrits l’enthousiasme dont le ministre des finances étoit l’objet, et jamais Louis XIV lui-même ne fut adulé avec moins de pudeur. On fit ces vers pour être mis au bas de son portrait:
Rival de Colbert et d’Euclide,
Necker, dans ses droits rétabli,
De Minerve arborant l’égide,
Fait revivre le grand Sulli.
Tandis qu’à Versailles, on s’occupoit du travail nécessaire pour la prochaine convocation des états-généraux; à Paris on voyoit se former dans l’enceinte du palais royal, ces associations qui depuis ont si bien secondé les progrès de la licence. La première de ces associations ne donna aucun ombrage; elle n’étoit que ridicule. Elle prit le nom de chambre ardente; se dit appellée à administrer les provinces, et des trois hommes, qui y faisoient le plus de bruit, l’un disoit avoir dans son département sept provinces, l’autre neuf, le troisième dix-huit. Cette burlesque société n’étoit guere composée que de ces citoyens fainéans, qui passent toute la journée à entendre et à débiter dans les cafés, des rêveries. Cependant on distinguoit parmi eux des particuliers qui, par leurs places et leurs caracteres, sembloient devoir être étrangers à ces sortes d’aggrégations, et déjà on tenoit dans ces turbulentes cohues, des propos libres et hardis sur les personnages les plus augustes.
La mort du maréchal de Biron, arrivée au commencement de septembre, est encore un événement qui se lie à la révolution, parce que son successeur dans la place de colonel du régiment des Gardes-Françoises, trouvant dans ce corps la subordination en vigueur, eut le malheur d’en voir les liens se relâcher insensiblement, et enfin se briser tout-à-fait. On assure que le maréchal avoit une sorte de pressentiment, ou plutôt de crainte, d’être remplacé par M. le duc du Châtelet. Dans ses derniers momens, il écrivit au roi pour lui demander un adjoint. Le roi, qui partageoit avec le public l’estime qu’inspiroit ce vieux guerrier, dont la longue vie étoit sans tache, lui fit une réponse pleine de bonté; il lui marqua qu’il avoit toujours; craint de l’affliger en lui donnant un adjoint, mais que puisqu’il en faisoit lui-même la demande, il seroit incessamment exaucé. Le maréchal insista, et il écrivit de nouveau au roi, pour lui témoigner qu’il mourroit content, s’il pouvoit, avant de quitter la vie, savoir le nom de son successeur. Il n’eut pas cette derniere consolation: la réponse du roi, qui lui apprenoit que le successeur désigné étoit M. le duc du Châtelet, le trouva mort. Il fut enterré avec la plus grande pompe5et, quoiqu’on eût cherché à le rendre odieux au petit peuple, à l’occasion du courage et de la fidélité que son régiment avoit montrés dans les derniers troubles, il ne s’éleva pas une voix pour flétrir sa mémoire.