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CHAPITRE XI.

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Table des matières

Liste indicative des amis du peuple; attentat horrible d’un libelliste; opinion du roi sur les écrits du moment; extrait des vœux contenus dans les différens cahiers que l’opinion publique indiqua comme le plus sagement rédiges; belle conduite des électeurs du bailliage de Château-Thierry; exemple sublime de générosité que donna un curé; intrigues du lieutenant-civil de Marseille; bizarre élection faite par le tiers-état de cette ville; conduite du clergé et de la noblesse de Bretagne lors des élections.

Mars1789.

PLUS on avançoit vers l’époque de l’ouverture des états-généraux, et plus la crainte qu’ils n’eussent pas lieu, sembloit s’accroître. Il pouvoit bien se trouver à la cour des hommes qui fussent effrayés et de la protection accordée au tiers-état, et de la hauteur avec laquelle parloient ceux qui jouissoient de la confiance de cet ordre; mais le roi, dans cette occasion, comme dans toutes celles de sa vie, étoit de la meilleure foi; le conseil entier agissoit avec la même franchise: quant à M. Necker il étoit plus éloigné que jamais d’abandonner les hautes espérances qu’il concevoit. Tout le monde donc à la cour ne desiroit pas moins les états-généraux que le peuple, et c’étoit sans doute pour plaisanter qu’on disoit à Paris qu’on avoit entendu à l’œil-de-bœuf des courtisans se demander: «quand verrons-nous donc arriver à Versailles les douze cents bêtes tant desirées?»

A Paris, tous ceux qui avoient l’ambition de fixer sur eux la pluralité des suffrages, se donnoient beaucoup de mouvement. L’on vit circuler deux listes contenant les noms des citoyens qui méritoient la faveur du peuple.

La première, manuscrite, n’étoit qu’une ironie sanglante et injuste. Elle présentoit les noms de MM. de Calonne, le Noir, de Lamoignon, le cardinal de Loménie, Bergasse, Linguet, Cagliostro, etc., etc. On voit que tous ces noms étoient fort mal accolés, et que ceux de MM. de Loménie, Linguet, Cagliostro, décèlent la véritable intention de l’auteur qui avoit dressé cette liste. Il ne convenoit pas sur-tout de présenter M. Bergasse, un des plus beaux génies, et un des hommes les plus vertueux de ce siècle, comme indigne d’être député d’une nation dont il méritoit plus qu’un autre toute la confiance.

L’autre liste qui fut imprimée et répandue avec profusion, distribuée même aux passans sur le Pont-Neuf et dans tous les passages publics, n’étoit point une plaisanterie. On y désignoit au public ceux pour lesquels on vouloit réellement conquérir le vœu des électeurs. Cette liste doit trouver place ici, parce qu’on y voit tout-à-la-fois quelques-uns des hommes qui avoient su se tirer de la foule, et leurs titres de recommandation. Elle étoit intitulée: Liste des amis du peuple qui méritent de fixer le choix des électeurs de Paris. On lisoit en tête cet avertissement.

«On a distribué dans Paris des listes de noms, dont quelques-uns célèbres, entre-mêlés de noms obscurs, ou de noms d’hommes dangereux. Dans celle-ci l’on n’a inscrit que des personnes qui ont fait publiquement profession de défendre la cause du peuple.»

Voici les noms de ces amis du peuple, avec les réflexions qui les accompagnoient.

Messieurs le marquis de Condorcet, quoique no ble, ami du tiers-état; il en a donné des preuves dans son essai sur l’administration provinciale.

«Target, auteur de bons écrits qui ont servi à la révolution actuelle.

» Brissot de Warville, connu depuis long-tems par l’énergie avec laquelle il a défendu le peuple et les constitutions libres. Voyez sur-tout son examen des voyages de Chatelux.

» Le docteur Guillotin, auteur de la pétition du peuple de Paris.

» L’abbé Syeyes, auteur de l’essai sur les priviléges, et qu’est-ce que le tiers-état?

» L’abbé Cerutti, aussi mielleux que l’abbé Syeyes est énergique, mais pourtant défenseur de la bonne cause dans son mémoire pour le peuple.

» Clavières, n’eut-il fait que l’ouvrage de la foi publique, il auroit donné les plus grandes preuves de ses connoissances profondes dans les finances et la politique.

» La Métherie a fait un chapitre hardi en faveur de la liberté dans ses principes de philosophie.

» Falconet, ennemi des parlemens, martyr du despotisme de l’ordre des avocats.

» De Bourges a fait différens ouvrages dans les troubles actuels, et toujours en faveur du peuple.

» De Chénier, poéte tragique, qui vient de donner un cahier de doléances rempli d’excellentes vues.

» Perreau, un de ceux qui ont préparé la révolution, auteur de romans politiques, auteur de Mirthine.

» Gallois, auteur de l’examen de la constitution d’Angleterre.

» Esmangard le jeune, ami du tiers-état, quoique parlementaire, jeune, et par conséquent étranger encore à l’esprit de corps

» Bernardin de Saint-Pierre, un véritable ami des hommes; voyez ses excellentes études de la nature.

» Le comte de la Cépede, connu sur-tout par de bons ouvrages en physique, a caché son nom dans quelques brochures politiques.

» Piquet, négociant doué des plus vastes connoissances sur le commerce des Indes, et y a porté un esprit philosophique et indépendant.

» Réveillon, manufacturier de papier, émule par sa générosité, son caractère patriotique et industrieux, des manufacturiers anglois.

» Pastoret, a soutenu les bons principes dans son ouvrage sur Confucius et Mahomet.

» Bernardi, auteur d’un ouvrage excellent sur le jugement par jurés, qui servira à la réforme de nos inamovibles.

» Champfort, poëte qui, au milieu des plaisirs de la cour d’un prince, s’est toujours occupé de politique, et de défendre le peuple.

Je n’ai point envie d’ôter à aucun des personnages dénommés dans cette liste, la portion de gloire qu’elle leur attribue; mais si celui qui l’avoit composée eût eu réellement intention d’être utile à son pays, il eût considéré qu’il eût fallu sur-tout appeler aux états-généraux des hommes d’état et des administrateurs; que les poëtes, les romanciers étoient les derniers auxquels il falloit penser, et qu’un seul chapitre sur une matière abstraite n’étoit pas un titre suffifant pour y être admis.

De tous ceux au reste dont on lit les noms dans cette liste, deux seuls en effet ont été portés à l’assemblée nationale; l’un, M. Target, y a perdu sa célébrité; et l’autre, M. Guillotin, n’a pu en acquérir qu’en donnant son nom à un instrument de mort.

Tandis que des écrivains modérés en apparence employoient, pour dominer l’opinion, des moyens qui, dans le fond, n’avoient rien que d’innocent, les iibellistes prenoient toutes les formes pour prêcher, tous les forfaits, et un forcéné dans son écrit annonça déjà le projet d’un régicide. Il parut en effet un horrible libelle sous le titre de cahier du bailliage de Rioms, qu’on eût pendant quelques jours l’injustice de regarder comme étant réellement le vœu de ce bail]. liage. On y demandoit qu’avant la première séance des états-généraux, toutes les troupes fussent éloignées de Paris et de Versailles; que les bourgeois de ces deux villes prissent les armes, et composassent à eux seuls, tant la garde des deux villes, que celle du roi et de l’assemblée nationale. On y demandoit encore que toutes les lettres-de-cachet fussent à l’ instant levées; que toute l’autorité souveraine fût remise aux représentans de la nation, sans qu’il en restât la moindre portion au monarque; et enfin que l’auguste compagne du roi fût, pendant toute la durée de la session, détenue en charte privée, afin, disoit-on dans cet in fernal écrit, qu’elle ne pût pas influer sur les délibérations.

Les coeurs n’étoient point encore assez dépravés, tes esprits n’étoient point encore préparés à de tels attentats. Un cri général d’indignation repoussa cette sacrilège production, et elle fut livrée aux flammes par ceux dont on avoit osé usurper le nom.

Le roi, dans sa vie privée, sembloit partager avec ses sujets l’inquiète curiosité qui travailloit tous les esprits. Les brochures des différens partis lui parvenoient; il paroissoit les lire avec intérêt, mais il ne donnoit point à connoître son sentiment particulier sur tant de folies et tant de revêries républicaines qui dévoient paroitre encore plus extraordinaires au descendant de Louis XIV qu’au reste de ses sujets. On assure cependant qu’il dit un jour à M. de Barentin: «Je lis beaucoup; je remarque que tous les ouvrages que je lis parlent avantageusement de M. Necker, tandis que dans la courte durée du ministère de MM. de Brienne et de Lamoignon, je n’ai lu qu’une brochure, et que cette brochure étoit entièrement dirigée contre ces ministres».

Cette réponse supposeroit que M. Necker ne laissoit parvenir au roi que les écrits qui faisoient l’éloge de son administration et de ses vues, et qu’il repoussoit avec soin du trône ceux qu’il avoit proscrits, et dont j’ai donné plus haut le catalogue. A cet égard donc la conduite de M. Necker n’auroit pas été au-dessus de celle de MM. de Brienne et de Lamoignon eux-mêmes, qui défendoient l’entrée de la cour aux productions du moment, parce que, par la forte prévention qu’ils avoient inspirée, presque toutes les censuroient. M. Necker au contraire fournissoit au monarque une abondante lecture, parce que le prodigieux engouement qui infatuoit en sa faveur la presque totalité des écrivains, les productions que ceux-ci enfantoient étoient autant d’apologies qu’il ne risquoit point de mettre sous les yeux du monarque. Ainsi lui et ses prédécesseurs avoient des motifs semblables, et leur manège étoit le même.

Il n’en est pas moins vrai que jamais on ve vit plus qu’à celte époque les presses faire éclore des écrits vraiment utiles: ces écrits étoient les cahiers des différens bailliages qui arrivoient journellement à Paris, et qu’on y dévoroit à mesure qu’ils paroissoient. Je touche ici au point le plus essentiel de Cette histoire; j’ai à faire connoître les voeux d’un grand peuple qui, sous les auspices d’un roi juste, et enivré lui-même de la sublime ambition de rendre à jamais tous ses sujets heureux, soupiroit après la réforme des abus qui vicioient les établissemens les plus sages,

Le peuple demandoit la restauration générale de la monarchie, mais il n’en sollicitoit pas l’anéantissement. Les pouvoirs qu’il avoit confié à ses représentant, étoient pour eux un dépôt d’autant plus sacré, qu’outre l’obligation qui leur étoit imposée par la religion, par le droit des gens, par la foi publique, d’obéir aux volontés qui leur étoient manifestées, ils avoient fait le serment solemnel de s’y conformer.

Lors qu’il en sera tems, j’examinerai si les motifs dont on s’est servi pour violer ce serment étoient fondés, et s’il n’étoit pas plus loyal, et plus consciencieux de refuser les pouvoirs qui étoient offerts, que d’enfreindre l’engagement religieux qu’on avoit pris d’y obéir. Mon objet ici est simplement de présenter a mes lecteurs et à la postérité, les voeux que forma une nation généreuse et éclairée, qui soupi oit après une amélioration générale. La suite de cette histoire fera voir comment ceux qui étoient chargés de les réaliser, ont rempli cette sainte mission.

Dans la nécessité de me borner, je me contente de présenter l’extrait succinct des demandes contenues dans ceux des cahiers que l’opinion publique indique comme les plus sages et les mieux rédigés. Offrir cet extrait, c’est offrir le vœu national. Je ne parle point des demandes du cierge et de la noblesse, je me renferme dans celles du tiers-état, que dès-lors ou vouloit regarder comme composant à lui seul la niasse de la nation.

Les cahiers de cet ordre, que ses enthousiastes partisans mirent au-dessus de tous les autres, sont ceux de Toul, de Châlons, de Château-Thierry, de la province de Forez, de Riom, je parlerai plus loin de celui de Paris. Voici ce que pensoient et ce que desiroient ceux qui les rédigèrent, sur les différent objets qui devoient occuper leurs représentans;

SURLA CONSTITUTION.

Que l’assemblée des états-généraux soit reconnue solemnellement la seule puissance compétente, pour consentir et sanctionner les lois et les impôts.

Qu’il soit invariablement arrêté que les états s’assembleront tous les trois ans; qu’aucun impôt ne puisse, sous aucun prétexte et sous aucune forme, être prorogé et perçu au-delà de ce terme, à moins qu’il ne soit à l’expiration des trois années, confirme par les états-généraux, et ce, sous peine contre les percepteurs, d’être poursuivis comme concussionnaires.

Que tous les impôts qui seront consentis par les états-généraux, sous quelque forme et dénomination qu’ils puissent l’être, soient supportés également par tous les ordres, corporations et individus, proportionnellement à leur fortune, sans distinction d’aucunes espèces de biens, et sans aucune exception ni restriction en faveur de qui que ce soit, et nonobstant tout affranchissement et abonnement.

Que les états-généraux, divisés par ordre ou opinans par tête, reconnoissent dans les représentans des communes, une influence et un pouvoir égal à celui des deux autres ordres,

Que tous les sujets de l’empire depuis le premier rang jusqu’au dernier, dans les villes comme dans les campagnes, soient, également soumis aux lois et protégés par elles; qu’aucun domicilié qui ne sera pas actuellement dans les liens de la discipline militaire, ne puisse être arrêté sans décret judiciaire, excepté dans le cas de flagrant délit et de désignation d’un coupable par la clameur publique, auquel cas il sera remis dans les vingt-quatre heures entre les mains de son juge naturel,

Qu’il soit permis à tout homme qui signera un manuscrit de le faire imprimer, soit pour sa propre défense, soit pour l’instruction publique, sans autre censeur que sa conscience et les lois.

Que les états-provinciaux soient rétablis dans toutes les provinces d’une manière uniforme et avec la même organisation, autant que faire se pourra, des états-généraux.

On demandoit en outre comme bases de la constitution la responsabilité des ministres, que tout individu du peuple fût capable de toutes les places, offices et dignités militaires, judiciaires, ecclésiastiques et autres, s’il en étoit digne; que tout bienfait, toutes distinctions fussent désormais personnels, et ne pussent être substitués perpétuellement aux familles, à moins que la nation assemblée ne voulût récompenser quelques vertus rares et extraordinaires; que les états-généraux ne pussent jamais être composés que des trois ordres, du clergé, de la noblesse et du tiers-état, et de manière que les députés du tiers-état y fussent toujours au moins en nombre égal à ceux des deux autres ordres réunis, et que les députés de chaque ordre ne pussent être pris que dans l’ordre même; que la dette reconnue fût acceptée par les états comme dette de la nation; que pour tous les objets de dépense de la maison du roi, de la reine et de la famille royale, le roi fût supplié d’accepter une sommme annuelle qu’il détermineroit lui-même; que la liste des pensions et gratifications dans toutes les parties fût annuellement rendue publique par l’impression, et que les causes qui les auroient fait accorder fussent énoncées; qu’il n’y eût aucune commission intermédiaire dans l’intervalle des assemblées des états-généraux; qu’il ne subsistât aucune distinction humiliante pour le tiers-état; que les droits respectifs du roi et de la nation fussent déterminés irrévocablement; qu’aucune commission pour juger les procès civils ou criminels, ne pût à l’avenir être établie; que les dépôts confiés à la poste sous le sceau de la confiance publique et particulière, ne pussent en aucun cas être violés.

Enfin je remarque que dans plusieurs cahiers le tiers-état demandoit même pour la noblesse une juste influence dans les affaires publiques; celui du Forez vouloit que dans toutes les asssmblées elle eût deux représentans sur six.

Mais un point constitutionnel sur lequel tous les cahiers s’accordèrent, c’est qu’au roi seul appartient entièrement et exclusivement l’exécution des lois.

LÉGISLATION.

Le pouvoir législatif ne sera point exercé par le roi sans le concours de la nation assemblée par ses représentans, et aucune ordonnance émanée de l’autorité royale en l’absence des états-généraux, ne pourra être considérée que comme un acte d’administration provisoire, auquel les tribunaux ne pourront donner force de loi sans le consentement de la nation.

Aucun parlement, aucune cour souveraine ne pourra exercer, même provisoirement, le pouvoir de consentir et promulguer des lois que la nation n’auroit pas consenties, ni rejetter, ou modifier, ou différer la publication et l’exécution des lois que les états-généraux auront consenties.

La vénalité des charges sera abolie; cependant tous les officiers de judicature seront inamovibles, et ne pourront être destitues que pour forfaiture jugée selon les lois du royaume; aucun sujet ne pourra être admis sans avoir donné preuve de sa suffisance et de sa capacité. Il sera nécessaire d’avoir exercé utilement la profession d’avocat dans les cours souveraines, ou dans les justices royales inférieures, pendant le tems que les états-généraux jugeront à propos de fixer.

Les états-généraux pourront demander au roi l’érection des nouvelles cours, ou des nouveaux tribunaux qu’ils jugeront nécessaires pour juger de tous les abus d’autorité, et le roi ne pourra s’y refuser.

La composition, le ressort et la compétence de tous les tribunaux existans, leur utilité ou leur inutilité seront soumis à l’examen et à la décision des états-généraux. Les provinces qui demanderont la suppression ou l’érection dans leur ressort de nouveaux tribunaux seront entendues, et il sera fait droit à leur demande; mais aucun tribunal supérieur ou inférieur ne pourra être supprimé ou démembré dans une province, ou converti en un autre tribunal, sans le vœu des états-provinciaux exposé aux états-généraux.

Les intendans seront supprimés.

La police des villes sera exercée par les magistrats municipaux librement élus par les communes, approuvé par le roi, et distingué de ceux qui seront chargés de l’administration des affaires et des deniers de la commune.

Il sera établi une loi de secours qui assurera du travail à tous les pauvres valides, des moyens de soulagement aux infirmes, et des emprunts faciles aux laboureurs et artisans qui manquent d’ustensiles pour travailler.

On s’occupera sans délai de la confection d’un code national, civil et criminel qui puisse être connu et étudié de tous les citoyens. Il sera nommé à cet effet une commission dont la durée sera déterminée par les états-généraux, et laquelle sera composée de magistrats et de jurisconsultes éclairés, choisis et nommés par les états, et pris dans les différentes provinces. Il sera prescrit, dans la rédaction des lois criminelles; de classer les délits et les peines de manière qu’il n’y ait rien d’arbitraire et d’équivoque dans la définition du crime commis par l’accusé, et dans l’application de la peine encourue.

Il sera statué que les accusés pourront s’assister d’un conseil; toutes les instructions et procédures seront faites en sa présence, et les jugemens de toutes les affaires criminelles seront portés à l’audience.

Quant à ce qui regarde le code civil, les lois romaines, les coutumes des provinces qui ont acquis force de loi, et les lois du royaume seront fondues en un seul code.

L’éducation publique sera établie de manière a former des citoyens utiles dans toutes les professions. On rédigera et on mettra au nombre des livres classiques ceux qui contiendront les principes élémentaires de la morale et de la constitution fondamentale du royaume. Ils seront lus dans toutes les écoles et paroisses des campagnes. Il sera établi dans toutes les villes des maîtres de dessin et de géométrie-pratique et de mathématiques pour les enfans du peuple. Il sera établi des distinctions et des récompenses publiques pour les laboureurs, artistes et artisans qui excelleront dans leur art, qui perfectionneront les machines et ustensiles de l’agriculture et du commerce.

Les dignités et le traitement des curés ainsi que de leurs secondaires, seront pris en considération; il sera pourvu à leur honnête entretien; et ceux distingués par leurs vertus et leurs services, seront récompensés et appellés aux dignités ecclésiastiques.

Il sera assuré, autrement que par rétention sur les portions-congrues, une retraite aux curés vieux ou infirmes.

Les prérogatives et possessions légitimes des deux premiers ordres sont inviolables.

Les états-généraux s’occuperont d’une loi qui assure invariablement la constitution des troupes.

Les députés solliciteront le rachat général des droits féodaux, en conciliant, avec cet avantage, l’intérêt des propriétaires, par un dédommagement proportionné.

Ils demanderont que les poids et mesures aient une uniformité générale.

Ils solliciteront le remplacement de l’impôt sur le sel, la suppression des droits d’aides, celle de l’impôt du tabac, la réforme du contrôle des actes, le reculement aux frontières du royaume, des bureaux des traites, douanes et barrières.

Le procès-verbal de ce qui se passera dans l’assemblée des états-généraux, dans ses bureaux et comités sera rendu public par la voie de l’impression.

Toutes les charges anoblissantes seront supprimées.

Le tiers-état demanda en outre, la révision des échanges onéreux, et leur rescision, la rentrée dans les domaines engagés, la vente de tous les biens domaniaux à perpétuité, ou par bail emphytéotique à long terme; la suppression de toutes concessions et de tous priviléges exclusifs; un tarif modéré sur les marchandises manufacturées dans le royaume; l’exemption de tous droits sur les fers et aciers, et matières premières venant de l’étranger; la suppression des exceptions dans la levée des milices, son remplacement à prix d’argent; l’admission des pairs dans les jugemens; la suppression de la jurisdiction de la maréchaussée; la suppression du casuel accordé aux pasteurs, l’uniformité de la dîme, l’émission des vœux monastiques, pour l’un et l’autre sexe, fixés à majorité; l’abrogation des droits d’annate et de prévention en matière bénéficiale; l’autorisation, pour les évêques de France, d’accorder toutes les dispenses nécessaires d’alliance, affinité, même spirituelle et de parenté, jusqu’au degré des cousins-germains, oncle et tante inclusivement, et ce gratuitement; la résidance de trois mois au moins de l’année pour les benéficiers; la non-pluralité des bénéfices sur une même tête; l’entière suppression des capitaineries, la réforme du code des chasses, l’abolition de toutes les peines afflictives et infamantes pour les délits de ce genre; l’abolition du droit de confiscation des biens d’un condamné à mort, ou à la perte de la vie civile; la destruction absolue du préjugé qui note d’infamie les parens des suppliciés.

ADMINISTRATION DES FINANCES.

Tous les impôts actuellement établis, sous quelque dénomination que ce soit, seront supprimés; il en sera établi de nouveaux selon la proportion qu’exigeront les besoins de l’état; ils seront réduits au moindre nombre possible; ils seront simples et uniformes; ils ne pourront jamais affecter la personne; ils diminueront progressivement à mesure que les dettes de l’état s’éteindront, et la recette de chaque province sera versée directement au trésor-royal par les préposés des états-provinciaux.

La comptabilité, pardevant les chambres des comptes, sera anéantie et remplacée par une comptabilité réelle, pardevant les commissaires de chaque état-provincial, pour les recettes et dépenses de province; et pardevant les commissaires des états-généraux, pour les recettes et dépenses du trésor-royal.

On poursuivra la suppression de toutes les places et emplois qui ne sont pas évidemment nécessaires, et la réduction de tous les traitemens qui excèdent vingt mille livres.

Il sera accordé des fonds suffisans pour la nourriture et l’entretien des enfans-trouvés.

On demandera la vente des bénéfices simples, les moins utiles dans l’ordre de la religion.

Le prêt de l’argent à intérêt au taux de l’ordonnance, par billet ou obligation, sera permis indéfiniment à toute personne sans distinction.

Toutes les charges des finances seront supprimées, remboursées et réduites à de simples commissions.

Tous les offices d’huissiers-jurés-priseurs seront supprimés.

Toutes les jurandes seront supprimées.

Le colportage sera défendu.

Les droits sur les huiles, savons, cuirs, cartons, papiers, amidon, et de la marque d’or et d’argent, seront supprimés.

La compétence des jurisdictions consulaires sera rétablie dans l’état où elle étoit avant la déclaration du17Avril, et même augmentée s’il se peut.

La connoisance de tout ce qui concerne les faillites, leur sera attribuée exclusivement.

L’on n’accordera aucun arrêt de surséance, ni lettres de répi en matière de commerce.

Il sera établi dans chaque ville du royaume, pour favoriser le commerce, des caisses à l’instar de celle de Poissy.

Je ne donnerai pas plus d’étendue à ce tableau; je n’y ai rien omis d’essentiel; on peut le regarder comme l’extrait de tous les cahiers; il contient ce que desiroit, ce que demandoit la majorité des habitans du royaume, composant l’ordre du tiers-état, et je repète que les députés qui se chargèrent volontairement de porter ces vœux à l’assemblée, s’engagèrent, sous la foi du serment, à en procurer l’accomplissement.

Je remarque encore que, dans tous les cahiers, on respecta la prérogative royale, les droits honorifiques du clergé et de la noblesse; plusieurs votèrent pour l’érection d’un monument à la bienfaisance de Louis XVI. Celui de la province de Forez se terminoit par ces touchantes paroles:

«Un vœu du troisième ordre, non moins cher à son cœur, est que dans l’assemblée nationale et dans tout le royaume, on répète à grands cris: Vive Louis XVI! vive le clergé! vive la noblesse! vive à jamais la réunion des trois ordres pour le bonheur de la France!

Cette réunion eut lieu dans quelques bailliages, et pour ne point embrasser trop de faits particuliers, je dirai que dans celui entr’antres de Château-Thierry, elle se manifesta d’une manière touchante; les détails en sont précieux; ils prouvent ce qu’il étoit possible d’attendre pour la félicité publique, de l’époque qui s’approchoit, si par-tout on eût procédé avec cet esprit de fraternité. Ces détails d’ailleurs sont trop honorables pour les trois ordres en général de Château-Thierry, et en particulier à un membre du premier ordre, pour que je les passe sous silence.

Les trois ordres donc se réunirent sous la présidence de M. d’Oberlin-Mittersbach qui avoit été reçu la veille grand-bailli dans le choeur de l’église des Cordeliers. Après les formalités et le serment prescrit par le réglement, chacun des trois ordres se retira dans une salle particulière, pour procéder à la rédaction des cahiers et à l’élection des députés; celui du tiers-état se rendit à l’hôtel-de-ville. Lorsqu’il avoit terminé sa première séance, et comme il alloit se séparer, une députation de la noblesse se présenta; elle étoit composée de MM. de Vassan, de Mornay-d’Hangest de Nau de Saint-Sauveur et de Villelongue. M. de Vassan parlant au nom de son ordre dit: qu’il avoit été arrêté sur les registres des délibérations de la noblesse, qu’elle étoit dans la très-sincère disposition de renoncer à tous priviléges pécuniaires, c’est-à-dire qu’elle se soumettoit dès-à-présent à supporter, avec égalité, toutes les impositions publiques présentes et à venir, consenties par la nation assemblée en états-généraux.

Qu’il avoit également été arrêté que les députés de l’ordre de la noblesse seroient tenus de faire le serment, qu’ils ne consentiroient jamais à recevoir de la cour aucunes graces de quelqu’espèce qu’elles soient, à compter du jour de la nomination jusques et compris la deuxième année révolue après la clôture des états-généraux.

La députation de la noblesse étoit à peine retirée qu’il en arriva une du clergé, chargée de la même mission. Sensibles à cette démarche des deux premiers ordres, les membres du troisième arrêtèrent unanimement qu’ils recevoient avec recconnoissance les déclarations qui leur avoient été apportées, et que l’acceptation qu’ils en faisoient, en rendant hommage aux sentimens qui les avoient dictées, seroit portée et laissée sur les bureaux des deux premiers ordres, comme un monument de l’amour patriotique et de l’accord le plus parfait.

Toutes les élections faites, les trois ordres se réunirent de nouveau dans l’église des Cordeliers. Là les députés, en acceptant la commission honorable confiée à leur zèle, prêtèrent le serment prescrit par le réglement, au milieu d’un nombre infini de spectateurs qui les environnoient; ils réitérèrent aussi leurs soumissions de n’accepter aucunes retributions, gratifications, ni graces de la cour, à compter du jour de leur nomination, jusqueset compris la deuxième année révolue après la clôture des états-généraux, et la fin de leur mission.

Cette réunion des trois ordres parut à tout le monde être celle des sentimens et des coeurs amis du bonheur commun et de l’harmonie la plus parfaite. Mais rien n’est plus digne d’admiration que la conduite noble et généreuse que tint, dans cette circonstance, M. Lemaire, curé de la paroisse de Chiary.

Ce respectable ecclésiastique élevant la voix au milieu de l’assemblée s’écria: «Il ne suffit point au clergé d’avoir fait l’abnégation de ses immunités: dans le moment de crise où se trouve l’état, il faut une subvention extraordinaire, des secours aussi prompts que le besoin est urgent».

Prêchant d’exemple, ce digne pasteur, quand il eut fini sa patriotique motion, s’approcha du bureau, et y déposa une bourse de vingt-cinq louis, fruit de ses privations; offrande d’autant plus touchante que le bénéfice de ce vénérable ecclésiastique étoit à simple portion-congrue.

Tous les spectateurs étoient touchés aux larmes de ce sacrifice, et gardoient un attendrissant silence. M. Paris de Treffond, membre de la noblesse, et recommandable par les qualités de l’esprit et du coeur, interrompit ce recueillement pour demander qu’il fût fait mention sur le registre de la noble action de M. Lemaire, comme d’un monument éternel de grandeur d’ame et de dévouement au bien public.

Ce fut sous d’aussi heureux auspices, que se termina, après un Te Deum chanté en action de grâces, l’assemblée générale des trois ordres du bailliage de Château-Thierry. En la quittant, le vertueux pasteur qui avoit donné un aussi grand exemple de générosité, ne put se dérober aux acclamations, aux cris d’allégresse; il fut environné de tous les membres du tiers-état, qui, après avoir posé sur son front, la couronne civique, le portèrent dans leurs bras jusques dans la chambre de leur assemblée. Les membres du clergé et de la noblesse les y accompagnèrent; et dans ce moment de réunion, on n’entendoit prononcer que les noms de frères et d’amis, prononcés avec l’attendrissement de la joie et du patriotisme le plus pur.

Un si parfait accord eût été sans doute le présage d’un avenir heureux, si ceux qui maîtrisoient l’opinion, eussent su propager et diriger d’aussi favorables dispositions. Elles furent à-peu-près les mêmes à la Rochelle, et dans la plus grande partie de la Normandie, dont la noblesse se comporta avec une franchise et un désintéressement, qui lui valurent l’admiration du tiers-état de tout le reste du royaume.

Le lieutenant civil de Marseille ne procédoit pas avec la même loyauté, et il se distingua parmi les intriguans qui voulurent obtenir par ruse ou par force une confiance qui n’étoit pas due à leur qualité personnelle. Abusant de l’influence que lui donnoit sa place, il transgressa avec impudence les conditions prescrites par le réglement, et porta à un nombre excessif la totalité des électeurs, dont il composa la majeure partie d’hommes qui lui étoient entièrement dévoués. Le choix encore plus que le nombre des ces hommes, excita une grande rumeur dans la ville. Les négocians s’opposèrent à la tenue de l’assemblée, et dépêchèrent aussi-tôt en cour un député chargé d’obtenir du roi un arrêt du conseil qui cassoit l’ordonnance du lieutenant civil, et en outre des ordres positifs d’assembler les électeurs au nombre fixé parle réglement, et d’après un choix libre et volontaire. Ce député n’eut aucune peine à remplir à la satisfaction de ses commettans le double objet de sa mission.

Les assemblées se firent donc plus légalement à Marseille. Le tiers-état de Cette ville, qui avoit déjà étonné l’Europe entière par le choix qu’il avoit fait de M. de Mirabeau, pour un de ses députés, comme sil n’avoit pas eu dans son propre sein assez d’hommes dignes de la représenter, alla encore chercher un membre, ou plutôt un apostat du premier ordre, pour lui confier les intérêts les plus saints et les plus chers. Il ne fut pas un homme de bien dans l’empire, qui ne fut affligé en apprenant cette bisarre élection. Dans un état en effet monarchique et chrétien, le dernier citoyen à introduire au sein d’une assemblée nationale, c’étoit le trop fameux abbé Raynal. Digne patriarche de la secte qui avoit conspiré contre l’autel et le trône; l’imagination exaltée par les vapeurs du poison philosophique, dont il s’étoit abreuvé avec fureur à l’école de l’athée Diderot; il avoit avec un emportement qui tenoit du délire, contribué plus qu’un autre, à répandre dans tous les états de la société le poison de l’impiété et de la licence.

Appeller aux états-généraux un tel homme, flétri d’ailleurs personnellement par l’arrêt d’une cour souveraine, c’étoit annoncer à la France l’intention de la scandaliser par de grands attentats contre sa religion et son roi. Heureusement l’abbé Raynal octogénaire, et n’ayant plus d’autre ambition que de terminer dans ce repos une vie toute entière employée à menacer les rois, et a blasphêmer la divinité dont il étoit un des ministres, se déroba comme M. de Mirabeau, mais avec plus de sincérité que lui. à l’empressement du tiers-etat de Marseille, qui par une affligeante singularité, ayant voulu chercher hors de son sein deux de ses députés, fixa son choix sur deux hommes, qui tous les deux avoient été également rejettés par leur ordre.

Enfin les lettres du roi pour la convocation des trois ordres de Paris, attendues impatiemment, parurent, et furent suivies quelques jours après du réglement pour procéder à cette convocation. Je dirai dans le chapitre suivant, comment on accueillit ce bienfait, et comment on se conforma à ce qui étoit prescrit.

On étoit au31mars, et les élections n’étant point encore faites dans tout le royaume, les villes de Metz par exemple, et d’Arles ne reçurent leur lettre de convocation et le réglement que dans les premiers jours d’avril. En Bretagne, ce ne fut non plus que le premier jour d’avril qu’on pût s’assembler. Les deux premiers ordres qui s’étoient reunis à Saint-Brieux par ordre du roi, renoncèrent formellement a tous leurs priviléges pécuniaires; mais ils protestérent contre l’illégalité de la députation des communes, et refusèrent de nommer des députés aux états-généraux. Ils donnèrent pour motif de ce refus leur non-réunion en corps d’état, les priviléges de la province, et le serment qu’ils avoient faits précédemment. Le tiers-état et le bas clergé s’assemblèrent par bailliage.

Si le refus du haut clergé et de la noblesse de Bretagne eussent été imités par ces deux ordres dans tout le reste du royaume, il en fut résulté une scission fâcheuse, mais quelle qu’en eût été l’issue, le trône, les prêtres et les nobles ne seroient pas plus avilis qu’ils le sont aujourd’hui; ils eussent peut-être succombe dans la lutte qui se seroit élevée entre eux et le tiers-état, mais ils n’eussent dévoré ni plus d’affronts, ni plus d’injustices.

On regarda comme une espèce de rébellion la déclaration des ecclésiastiques et des nobles Bretons; leur refus pouvoit être impolitique, puisqu’il les livroit à la discrétion du troisième ordre de la province. qui dans les états-généraux, alloit se trouver, pour parler le style du barreau, sans plaidoierie contradictoire, juge et partie dans sa propre cause. Mais ce refus étoit-il en effet un attentat contre la société? En défendre les conventions, reclamer les conditions du pacte en vertu duquel on en fait partie, ce n’est point être rebelle. La constitution du royaume, c’est-à-dire la manière d’être depuis quatorze siècles la constitution particuliere de la province, étoient violées par la forme de convocation; elle annonçoit à ceux qui étudioient les mouvement qui avoient précédé, et qui suivoient cette convocation que l’ancienne constitution alloit être, non pas reformée, mais remplacée par une nouvelle.

Que pouvoient donc et que devoient faire les citoyens qui redoutaient les changemens qu’on préparoit? Ils avoient a opter entre deux partis; ou exiger l’exécution des lois de l’association qu’ils avoient faite avec leurs autres concitoyens, ou refuser de prendre aucune part à des délibérations dont le résultat devoit être de former une autre société que celle a laquelle ils s’étoient aggrégés. C’est ce dernier parti que prirent le clergé et la noblesse de Bretagne, et quiconque connoît le droit des gens, les règles de toute association, ne sauroit les blâmer.

Mais le roi n’avoit-il pas le pouvoir de changer l’ antique forme de convocation? Non si en la changeant il ne respectoit pas les privilèges des provmces, s’il donnent une autre manière d’être à l’association dont il étoit le chef et le protecteur. M. de Mirabeau prétendit le contraire dans les états de Provence, mais il le prouva par un sophisme. Le roi, dit-il est incontestablement le législateur provisoire de la nation, il a donc le droit de régler la manière dont elle doit être convoquée. Mais il étoit incontestable aussi qu’à l’époque où parloit M. de Mirabeau, cette nation étoit une monarchie tempérée; le monarque étoit donc tenu d’obéir lui-même aux lois fondamentales de son ampire; sas fonctions de législateur n’alloient pas jusqu’à les révoquer, car eu montant sur le trône il avoit juré aux pieds des autels d’être à cet égard le premier sujet du royaume, et l’évènement a montré ce que les rois eux-mêmes les mieux affermis sur leur trône, gagnent aux innovations constitutives.

A dieu ne plaise que j’entende par ces réflexions reprocher a Louis XVI les malheurs dont il a été lui-même la victime! Il s’est immolé à l’amour qu’il n’a cesse de porter à ses sujets; mais les malheureux qui ont égaré ceux-ci les perfides qui n’ont pas su mettre des bornes a l’héroïque dévouement du monarque, voila les vrais coupables. Si Titus eût eu un Séjan ou un Catilina pour ministre, il eût eu peut-être le sort de Charles premier; et je me flatte que ceux qui me liront avec attention me rendront cette justice que, bien loin d’imputer à Louis XVI les maux de ma patrie, j’écris cette histoire avec la pleine conviction qu’aucun de ses aïeux ne mérita plus que lui de regner sur un peuple heureux, parce qu’aucun deux ne réunit a un plus haut degré toutes les qualités qui constituent un excellent prince.

Telle etoit donc la situation de la France à la fin de mars1789. A cette époque, le caractère national change, les moeurs ne sont plus les mêmes, les esprits prennent une autre direction; et dans les scènes que je vais décrire, on croit voir un nouveau peuple remplacer le peuple françois.

Je ne terminerai pas ce chapitre sans faire une réflexion importante: le trop court intervalle qui fut mis entre l’envoi des lettres de convocation et l’élection des députés aux états-généraux, eut un double inconvénient; les électeurs n’eurent point le tems de se connoitre et de s’étudier mutuellement, et les cahiers furent rédigés avec trop de précipitation, mais à cet égard il n’y a peut-être aucun reproche a faire à la cour; elle avoit reçu et donne tout-à-la-fois l’impulsion: la très-majeure partie de la nation desiroit ardemment qu’il ne fut apporte aucun délai a l’ouverture des états-généraux; elle se livroit à ce désir avec impétuosité, et le plus léger obstacle qui eût fait effort contre cette impétuosité, en donnant à la défiance un aliment et aux mal-intentionnés un prétexte, eût vraisemblablement été le signal d’une épouvantable guerre civile.

Histoire de la Révolution de France et de l'Assemblée nationale

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